Christian Delorme, prêtre au service des immigrés (160590)

«Par amour et par colère»

Fribourg, 16mai(APIC) Celui qu’on appelle le «curé des Minguettes» ou

«l’abbé des Beurs» n’a que 35 ans, mais déjà une longue histoire au niveau

de son engagement. Christian Delorme, un Français de Lyon, est un prêtre

qui lutte aux côtés des immigrés, des Maghrébins, des prostituées, en un

mot des laissés-pour-compte de la société. Ses combats l’ont rendu célèbre.

Parce qu’il sait mettre ses révoltes en action et transformer ses actions

en victoires, l’auteur du livre «Par amour et par colère» est au coeur des

mouvements qui revendiquent un monde bâti sur la justice et l’amour. Avec

au centre de ses actions la non-violence comme maître-mot. Christian Delorme, hôte cette semaine du Mouvement international de la réconciliation

(MIR) pour une série de conférences en Suisse romande, a confié à l’agence

APIC les raisons de son engagement: «J’ai trouvé dans l’Evangile un message

de libération des exclus, j’ai eu envie de devenir prêtre».

On se souvient du mouvement des prostituées en France, en 1970, et de

l’occupation par ces dernières d’une quinzaine d’Eglises, occupation appuyée notamment par Christian Delorme. «Cette action a profondement dérangé

l’ordre, se rappelle ’l’abbé des Beurs’. Un acte non violent, mais provocateur. Personne n’est habitué à ce que des prostituées soient dans les églises et qui plus est, qu’une partie des responsables de l’Eglise se solidarisent avec elles». Onze ans plus tard, au printemps 81, l’auteur de «Par

amour et par colère» commence à Lyon une grève de la faim d’un mois pour

protester contre les expulsions d’immigrés. «L’action nous avait valu le

soutien de François Mitterrand… en campagne pour les présidentielles».

On se souvient aussi de l’impact de la marche pour l’égalité des jeunes

Maghrébins à travers la France en 1983. «Un jour, raconte-t-il, on s’est

dit qu’il fallait crier toute cette violence qui nous est faite. Ne plus

rester dans nos ghettos, enfermés à se plaindre, à pleurer… La marche est

partie de Marseille. Nous étions vingt au départ et progressivement, tout

au long du parcours, les gens ont été plus nombreux à nous rejoindre. La

presse locale, puis nationale, s’est emparée de l’événement. Nous nous sommes retrouvés 100’000 à Paris».

Il faut savoir organiser ses révoltes

Qui est Christian Delorme? «Un prêtre, tout simplement, engagé dans la

solidarité avec les communautés d’immigrés, engagé pour interpeller les

opinions publiques non-immigrées, les chrétiens. Je dépends de l’archevêque

de Lyon, détaché que je suis pour la rencontre avec les communautés musulmanes». Et d’expliquer: «Tout ceux qui ont un engagement dans l’Eglise sont

amenés à privilégier telle ou telle dimension de l’incarnation du Christ.

Certains vont davantage suivre le Christ dans la prière, voire dans sa sollitude, d’autres dans sa prédication. Et d’autres encore dans une des dimensions que je crois essentielles: la présence du Christ auprès des exclus, des rejetés. Personnellement, c’est cette dimension de l’Evangile qui

depuis mon enfance m’a le plus marqué. J’y ai été sensible, sans doute aussi en raison de mon histoire personnelle: celle d’un enfant d’une mère célibataire».

Trois événements ont influencé le choix de Christian Delorme quant à son

engagement. La guerre d’Algérie, le Concile Vatican II et la lutte contre

le racisme menée par les Noirs américains avec Martin Luther King, «le héros de mon adolescence». Pas étonnant dès lors que le mot non-violent revienne sans cesse dans le discours du prêtre des immigrés. «Comment la dénoncer, cette violence? Si on la dénonce par la violence, on ne sera pas

entendu par la majorité de nos opinions publiques. Je crois que pour être

audible, il faut savoir organiser sa révolte. Lorsque de jeunes Maghrébins

lançaient des pierres sur des policiers, l’opinion trouvait normale la riposte de ceux-ci. Mais à partir du moment où ces jeunes, pour faire entendre leur révolte ont été capables d’utiliser des grèves de la faim, des

marches ou un fonctionnement associatif, à partir de ce moment-là, ils devenaient plus difficile d’exercer une répression à leur encontre. Lorsqu’on

fait violence à des gens qui font preuve de non-violence, c’est celui qui

la commet, cette violence, que l’opinion va stigmatiser».

l’immigration? Une chance pour l’Europe

Les «folles de la place de mai», à Buenos Aires, ont fini par ébranler

la dictature et par ameuter l’opinion internationale, explique Christian

Delorme. L’Afrique du Sud… bien sûr, il y a eu la lutte armée de l’ANC,

il ne faut cependant pas oublier la lutte des Eglise contre l’apartheid.

Une lutte non-violente mais efficace pour la condamnation de ce système.

La lutte contre l’injustice par la non-violence, «l’abbé des Beurs» en a

fait une partie de son Credo quotidien. Tout comme celle qu’il mène en faveur de l’immigration: «elle est une chance pour l’Europe», affirme-t-il.

C’est du reste autour de ce thème que ses conférences données ces jours-ci

en Suisse romande s’articulent.

Ce que je veux dire aux gens, explique Christian Delorme, c’est que

l’Europe va connaître de nouveaux flux migratoires dans les années à venir.

«On aura beau dire que nous fermerons nos frontières sous prétexte du manque de capacité d’accueil. Le flux migratoire se produira tout simplement

en raison des déséquilibres de la planète. En dix ans, la population mondiale va augmenter d’un milliard d’habitants et les pays du tiers monde les

plus proches de nous sont en train de doubler de volume. Le Maghreb comptera 100 millions d’habitants en l’an 2’000, l’Egypte 100 millions en 2’020

et la Turquie sera deux fois plus importante en nombre d’habitants que la

RFA d’aujourd’hui. Tout ces pays-là ne parviendront pas à nourrir leur population. Ils n’y parviennent déjà pas aujourd’hui».

Je veux expliquer, poursuit-il, que l’Afrique noire est un continent

complètement sinistré. «Et même si la mortalité infantile reprend maintenant malheureusement… et que le sida fait des ravages, ce continent connaîta un excédent de population. Un milliard d’habitants en 2025, qu’elle

ne pourra pas nourrir». Quelle sera notre attitude? Nous ériger en forteresse imprenable en face du tiers monde? Une telle attitude ne sera pas

tenable: «Si nos pays veulent continuer à avoir le niveau de vie qui est le

leur, à jouer un rôle dans le monde, ils auront besoin, en raison du vieillissement de leurs populations et du recul démographique, de l’apport de

ces travailleurs. Il va faloir gérer ces flux migratoires, même si la majorité de ceux-ci se produiront à l’intérieur des continents concernés».

Plutôt que de subir les choses le moment venu ou de les organiser en catastrophe, mieux vaut les prévoir pour que tout se passe de manière pacifique. «La politique de l’autruche n’a jamais permis de construire l’avenir.

L’avenir, il faut le construire ensemble avec tous les hommes». (apic/Pierre Rottet)

16 mai 1990 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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