Assassinats de syndicalistes: vers un boycott mondial de la société
Colombie: Coca Cola accusée d’être acoquinée avec les paramilitaires
Pierre Rottet, APIC
Fribourg/Bogota, 22 mars 2002 (APIC) La société Coca Cola en Colombie est sur la sellette. Accusée qu’elle est de s’être acoquinée avec les paramilitaires pour obliger les ouvriers à rompre avec les syndicats et renoncer à leur convention collective de travail. Des syndicalistes ont été assassinés. Rencontre avec le président d’un puissant syndicat colombien, en visite sur le vieux continent pour préparer une campagne de boycott de la firme d’Atlanta.
Plusieurs syndicalistes colombiens auraient été assassinés par les paramilitaires à la solde de l’entreprise et des centaines d’autres forcés à l’exil. A Atlanta, Coca Cola nie en bloc. Une procédure judiciaire est néanmoins en cours en Floride contre Coca Cola, avant le lancement d’une campagne de boycott.
Depuis une dizaine d’années, les syndicalistes des usines d’embouteillage de la société Coca Cola en Colombie endurent les pires violations des droits de l’homme: assassinats, déplacements sous la contrainte, menaces, enlèvements, tortures. Et gare à qui ne se plie pas. Depuis 1993, neuf syndicalistes des usines Coca Cola ont été assassinés par les paramilitaires, pour faire «respecter» la politique de restructuration néolibérale de la multinationale, témoignage aujourd’hui le président du Syndicat national des travailleurs de l’industrie alimentaire (SINALTRAINAL). Ce dernier, que nous nommerons Pablo, a requis l’anonymat. Pour des raisons évidentes de sécurité: plus de 4’000 syndicalistes ont été assassinés en Colombie ces 15 dernières années. Sur 4 syndicalistes abattus dans le monde, 3 sont Colombiens.
A Zurich, SOLIFONDS a été contacté
Pablo et quelques collègues parcourent aujourd’hui l’Europe dans le but de coordonner pour le 10 octobre prochain à Bruxelles une action d’envergure européenne, sinon mondiale: préparer le boycott de Coca Cola. Du côté de SOLIFONDS, le Fonds de solidarité pour les luttes de libération sociale dans le tiers monde, à Zurich, on confirme avoir eu un entretien avec le syndicaliste colombien. «Si un mouvement de boycott devait se décider, il appartiendrait à notre conseil d’en décider. Pour l’heure, relève Brigitte Anderegg. nous sommes davantage tournés vers ce qui se passe du côté des travailleurs de Nestlé. Mais nous avons fait part de notre intérêt à la question soulevée par le président de SINALTRAINAL».
En ce moment, précise d’emblée Pablo, des syndicalistes des Etats-Unis, accompagnés de leurs avocats, séjournent en Colombie afin de compléter l’enquête et le lourd dossier contenu dans la plante déposée le 20 juillet 2001 devant un Tribunal fédéral de Miami (Floride), contre Coca Cola et Panamco (Panamerican Beverages), son principal sous-traitant pour l’embouteillage en Amérique latine, par le syndicat des métallurgistes des Etats-Unis et la Fondation internationale pour les droits du travail. Cela dans l’attente d’un prochain procès qui pourrait faire date. Coca Cola est ni plus ni moins accusée d’avoir recours à des groupes paramilitaires colombiens pour «faire le ménage».
Aucun doute
«Il ne fait pas de doute que Coca Cola savait et a profité de la répression systématique des droits syndicaux dans ses usines d’embouteillage en Colombie, et cette plainte va permettre de faire rendre des comptes à la société, avait alors déclaré un des avocats, Terry Collingsworth.
Dans un pays rongé par la violence – on enregistre quotidiennement une centaine de meurtres -, gangrené par la corruption au plus haut niveau des instances politiques, judiciaires et autres, dominé par les barons de la drogue, le meurtre d’un syndicaliste ne représente guère qu’un épisode supplémentaire dans cette guerre que se livrent pouvoirs politiques, militaires, paramilitaires et guérillas.
Débaucher pour réembaucher
La politique pure et dure de restructuration de Coca Cola n’est certes pas différente de celle appliquée partout en Amérique latine, admet Pablo. Ce qui diffère, en revanche, c’est l’utilisation des forces paramilitaires pour obliger les travailleurs à renoncer à leur adhésion syndicale et au contrat collectif. But de l’opération: réduire les coûts salariaux, les charges sociales et augmenter les bénéfices. En d’autres termes: mettre les ouvriers à la porte pour ensuite réengager, à vil salaire.
«Dans les années 90, les salariés de Coca Cola étaient au bénéfice d’une stabilité de l’emploi, avec une assurance maladie et d’autres avantages sociaux supportés à parts égales par les 10’000 employés de Coca Cola et l’employeur. Aujourd’hui, l’entreprise compte toujours une dizaine de milliers d’ouvriers, mais seuls 1’500 d’entre eux bénéficient encore de la convention collective». Pour combien longtemps? «Jusqu’au moment où Coca Cola sera parvenu à faire en sorte qu’ils dénoncent leurs contrats sous la menace, afin de réengager des ouvriers à la petite semaine, sans contrat, sans assurance maladie». En 1990, un ouvrier gagnait 1 dollar l’heure, il en gagne aujourd’hui le quart, soit 25 centimes de dollar. Pour le même travail. «En moins de 10 ans, pour chaque dollar investi, l’entreprise gagnait 55 centimes. Elle en gagne le double actuellement».
A mesure que les violations des droits de l’homme s’accroissent, la compagnie augmente ses bénéfices, commente Pablo, chiffres et exemples à l’appui. La méthode est simple: un avertissement de la direction à renoncer purement et simplement au contrat et aux avantages, puis les menaces, avant l’intervention des paramilitaires. «Neuf de mes compagnons syndicalistes ont trouvé la mort depuis 1993, assassinés par les paramilitaires aux ordres de Coca Cola. Parmi eux, 7 appartenaient au syndicat que je représente. La peur est réelle. Sur l’ensemble des travailleurs, entre 700 et 750 demeurent malgré les menaces affiliés à notre syndicat. Sous la pression, des centaines de personnes ont dû fuir avec leur famille. Récemment encore, 50 compagnons ont été contraints à l’exil».
Un lourd dossier
Les méthodes sont souvent les mêmes: les paramilitaires entrent dans l’usine et obligent les travailleurs à renoncer à leur boulot. Si l’avertissement n’a pas porté, ils reviennent, tuent ou enlèvent les gens. «Aujourd’hui, ces faits se passent à l’intérieur même du périmètre, contrairement au début, où ils allaient faire leur sale besogne loin du lieu».
Dans une lettre adressée en novembre dernier à Douglas Daft, PDG de Coca Cola à Atlanta, Dale Clark, président des syndicats des travailleurs et travailleuses des postes du Canada (STTP), faisait part de son inquiétude sur ce qui s’est produit dans les établissements Coca Cola en Colombie au cours des dernières années. Le président du STTP ajoutait: «La société Coca Cola est sûrement aussi préoccupée par les allégations selon lesquelles elle entretiendrait des relations ouvertes avec des escadrons de la mort dans le cadre d’un programme visant à intimider les leaders syndicaux et qu’elle serait parmi les employeurs les plus ignobles de la Colombie».
Les familles de cinq syndicalistes assassinés et celles d’une trentaine de travailleurs déplacés de force se sont constituées partie civile contre l’entreprise, malgré les menaces. L’accusation présentée devant la Cour de Floride est précise: «La direction de l’usine de Coca Cola à Carepa, en Colombie, est à l’origine de l’assassinat du leader syndical Isidro Gil, perpétré sur les lieux mêmes du travail à la suite de menaces explicites du directeur selon lesquelles il éliminerait le syndicat. Le lendemain même de l’assassinat, la direction a permis à des paramilitaires de se rendre sur les lieux du travail et de proférer des menaces de mort pour inciter les travailleurs et les travailleuses à renoncer à leur adhésion syndicale».
«La direction de l’usine de Bucaramanga a porté des accusations criminelles non fondées contre cinq membres du Conseil exécutif du syndicat local pour se venger de la grève qu’ils avaient menée». Trois de ces leaders ont passé un an en prison dans des conditions horribles. Ils ont ensuite été relâchés, reconnus innocents. Mais sans aucune indemnité. La compagnie n’a pas été inquiétée pour faux témoignage.
«La direction des usines d’embouteillage de Coca Cola à Cucuta et à Barrancabermeja a incité les forces paramilitaires à menacer, à enlever et à torturer des syndicalistes de ces usines».
Le 21 juin dernier enfin, le leader syndical Oscar Soto Polo a été assassiné par des hommes armés au moment où débutaient des négociations avec un partenaire colombien de Coca Cola, Panamco (Panamerican Beverages), pour procurer une plus grande sécurité aux syndicats. Entre décembre et janvier derniers, des syndicalistes ont été enlevés, à Cucuta encore, afin de faire pression sur les témoins appelés à témoigner en Floride contre Coca Cola.
Coca Cola nie en bloc
Face aux terribles accusations, la compagnie Coca Cola a publié récemment deux communiqués, à Atlanta et en Colombie, pour rappeler ce qu’elle affirmait en juillet 2001 déjà. «Coca Cola nie tout type de lien avec toute violation des droits de l’homme de ce type», déclarait Rafael Fernandez Quiros, directeur des relations publiques internationales de Coca Cola, au siège central d’Atlanta.
Pourtant, les faits reprochés à la multinationale ne sont pas isolés et ne se résument pas à la seule Colombie. Selon Amnesty International, le 2 juillet 1989, à 10 heures du matin, José Rolando Pantaleón, employé chez Coca Cola au Guatemala, a été enlevé par des membres de la police nationale, puis torturé et tué. Il avait reçu des menaces de morts répétées de la part de membres de la direction de la compagnie. Dans les années 80 au Guatemala toujours, on dénonçait déjà les agissements de Coca Cola, «coupable de collusion avec des milices accusées d’avoir tué des syndicalistes».
Coca Cola est également montrée du doigt en 2000 aux Philippines pour violation des droits du travail, pour avoir congédié sans préavis, ainsi que pour discrimination raciale aux Etats-Unis. En 1999, la compagnie avait été accusée d’exploiter des enfants dans ses usines au Pakistan. Quatre ans plus tôt, en 1995, elle fut épinglée aux Etats-Unis pour violation du code du travail.
Pourquoi avoir déposé plainte en Floride et non en Colombie? Côté justice colombienne, il n’y a rien à attendre, relève Pablo. «Comme cette multinationale a son siège aux Etats-Unis, il a été possible d’intenter la procédure actuellement en cours en Floride». (apic/pr)