Simon Brechbühl est directeur de CSI Suisse depuis 2022 | © Annalena Müller
Suisse

Comment CSI libère des esclaves au Soudan

Simon Brechbühl est directeur de la branche suisse de l’ONG protestante Christian Solidarity International (CSI). Au Soudan du Sud, il a récemment rencontré 300 personnes libérées par CSI de leur condition d’esclavage au Soudan. Explications.

Annalena Müller, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Vous rentrez du Soudan du Sud, où vous avez rencontré 300 personnes auparavant réduites en esclavage au Soudan, que CSI a rachetées. Avec ce genre d’actions, l’organisation ne court-elle pas le risque de soutenir indirectement la traite des êtres humains?
Simon Brechbühl: Nous n’achetons pas la liberté des gens. Nous libérons des personnes asservies en offrant en échange aux propriétaires d’esclaves des vaccins pour le bétail. Aucun argent n’est versé. Au Soudan, ce sont surtout les grands propriétaires terriens qui utilisent des esclaves. Les vaccins pour le bétail ne sont généralement pas disponibles sur place et donc très convoités.

Simon Brechbühl (40 ans) est directeur de CSI Suisse depuis 2022. Habitant dans le canton de Berne, il est issu d’une église évangélique libre.

Comment ces personnes sont-elles tombées dans l’esclavage?
Il y a des raisons politiques. Le Soudan a été marqué par des guerres civiles depuis les années 1950 jusqu’en 2005. Un accord de paix a ensuite été signé et le Soudan du Sud est devenu indépendant en 2011. Les deux pays se distinguent à la fois sur le plan ethnique et religieux. Le Soudan est majoritairement musulman et les habitants se considèrent comme arabes.

«Ater, âgée de 33 ans, a été enlevée à l’âge de 13 ans, violée et mariée de force»

Le Soudan du Sud est majoritairement chrétien et des peuples d’Afrique noire y vivent, comme les Dinka. Jusqu’en 2005, des villages du Sud ont été régulièrement attaqués par des troupes du Nord, qui ont enlevé des personnes et les ont réduites en esclavage. Au Soudan, de nombreux Sud-Soudanais sont malheureusement toujours maintenus en esclavage par de grands propriétaires terriens et utilisés dans l’agriculture et l’élevage.

Comment CSI établit-il le contact sur place et mène-t-il à bien les négociations avec les grands propriétaires fonciers?
Nous travaillons en étroite collaboration avec les réseaux locaux. Le Soudan est un pays immense en termes de superficie et nos contacts connaissent bien le terrain. Ils se renseignent et trouvent les endroits où il y a potentiellement des esclaves. Ils cherchent à entrer en contact avec les personnes concernées ou directement avec les propriétaires terriens. Ensuite, ils négocient.

Les réseaux sur place reçoivent-ils de l’argent pour ces activités?
Ils reçoivent de la nourriture, des vêtements et aussi des vaccins pour le bétail.

Dans quelles conditions vivaient ces personnes avant d’être libérées?
C’est difficile à imaginer. Les histoires se ressemblent souvent. J’ai pu m’entretenir avec plusieurs personnes libérées. De nombreuses femmes subissent des violences sexuelles. J’ai notamment rencontré Ater. Elle a aujourd’hui 33 ans et a été réduite en esclavage à l’âge de 13 ans. Elle a été enlevée dans le nord alors qu’elle se rendait à pied chez sa tante. Là, elle a été violée et mariée de force. De ce mariage forcé est née une fille qui a aujourd’hui huit ans. Avant qu’Ater ne soit libérée, sa fille lui a été arrachée.

«Dhieu a été enlevé en 1994 à l’âge de 14 ans et a vécu 30 ans en servitude»

J’ai également parlé à un homme dénommé Dhieu. Les hommes sont surtout utilisés pour veiller sur le bétail. Dhieu a été enlevé en 1994 à l’âge de 14 ans et a vécu 30 ans en servitude. Il m’a raconté qu’il dormait à même le sol, qu’il avait souvent faim et qu’il était exposé à la violence lorsqu’il faisait une erreur aux yeux de son «maître». Il n’avait pas le droit de parler avec les autres esclaves de la ferme. En isolant les hommes, le propriétaire voulait les empêcher d’échanger et, le cas échéant, de s’unir. Les tentatives d’islamisation forcée sont également fréquentes.

CSI s’engage-t-il uniquement pour les chrétiens et les chrétiennes?
Non. Tous les esclaves libérés ne sont pas chrétiens. Une partie de notre travail est d’aider les chrétiens opprimés qui vivent dans un environnement hostile. Une autre est d’aider les représentants les plus faibles et les plus vulnérables de la société, indépendamment de leur origine ethnique ou religieuse.

«Nous ne faisons pas de prosélytisme»

Nous apportons également une aide humanitaire d’urgence, comme lors des inondations au Pakistan ou du tremblement de terre dans le sud-est de la Turquie et en Syrie, début 2023. Dans ces cas-là, nous ne posons pas de questions sur les origines ethniques ou religieuses, mais nous enquérons simplement des besoins des personnes concernées.

On entend régulièrement dire que la violence contre les chrétiens et les chrétiennes augmente dans le monde entier. L’écho dans les médias suisses reste relativement limité. A quoi cela est-il dû selon vous?
Nous nous posons aussi régulièrement cette question. Nous vivons certes dans une société marquée par le christianisme, mais où l’identité chrétienne joue un rôle de moins en moins important. En tant qu’organisation qui s’engage pour la liberté de religion mais aussi délibérément pour les chrétiens et chrétiennes opprimés, nous nous sentons souvent tenus d’expliquer pourquoi nous nous concentrons sur les chrétiens. Le fait est que les organisations laïques de défense des droits de l’homme sont probablement moins souvent interrogées sur les raisons de leur démarche. Ceci est sans doute également lié aux rapports de majorité et à l’identité de cette majorité.

Envoyez-vous en mission les personnes que vous libérez?
Non, nous ne faisons pas de prosélytisme. C’est d’ailleurs un point important. CSI se considère comme une organisation de défense des droits de l’homme, qui s’engage pour la liberté de religion, conformément à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous nous engageons dans le domaine humanitaire par des projets d’aide et au niveau politique par notre travail sur les droits de l’homme. (cath.ch/kath/am/rz)

Christian Solidarity International (CSI) est une organisation chrétienne de défense des droits de l’homme pour la liberté de religion et la dignité humaine. Elle a été fondée en 1977 par le pasteur zurichois Hansjürg Stückelberger. RZ

Simon Brechbühl est directeur de CSI Suisse depuis 2022 | © Annalena Müller
29 mars 2024 | 10:38
par Rédaction
Temps de lecture: env. 4 min.
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