Philippines : Un leader indigène de Mindanao tué par l’armée
Conflit autour de l’exploitation minière pilotée par le géant suisse Xstrata
Mindanao, 1er février 2013 (Apic) Un leader indigène philippin engagé dans la lutte contre l’exploitation des ressources minières du site de Tampakan, sur l’île de Mindanao, ainsi que deux de ses lieutenants, ont été tués le 29 janvier 2013 par les militaires, rapporte l’agence d’information des Missions étrangères de Paris ’Eglises d’Asie’ (eda). Le projet d’exploitation minière, piloté par le géant suisse Xstrata, est un de plus importants d’Asie du sud-est. Il vise à extraire du cuivre et de l’or.
Kitari Capion était membre d’une lignée de chefs coutumiers appartenant au peuple B’lann, de Mindanao, dans le sud philippin. Lui et ses frères s’opposaient depuis plusieurs années au projet d’exploitation minière de Tampakan.
Ses morts soulignent l’acuité des conflits liés à l’exploitation minière, à un moment où le président Aquino doit préciser le cadre législatif et fiscal dans lequel opèrent les compagnies étrangères, très présentes aux Philippines depuis qu’une loi de 1995 les a autorisées à investir dans le pays.
La nouvelle de la mort de Kitari Capion intervient un peu plus de trois mois après un autre incident sanglant : le 18 octobre dernier, lors d’une opération militaire menée par l’armée pour capturer les frères Capion, des soldats avaient abattu la femme de son frère Daguil, Juvy Capion, enceinte de sept mois, et deux de ses fils, Pop, 13 ans, et John, 8 ans.
Tombé dans une embuscade de l’armée
Selon son frère Daguil, Kitari Capion, qui avait gagné le maquis il y a plusieurs années, était récemment entré en négociations avec un parent travaillant pour SMI (Sagittarius Mines Inc.), la société filiale de Xstrata chargée du projet de Tampakan, ainsi qu’un capitaine de l’armée philippine. L’objet des pourparlers était son renoncement à la lutte armée, sa sortie de la clandestinité et la continuation de son combat contre SMI par des voies pacifiques.
Le 29 janvier, Kitari Capion attendait à Kiblawan, dans la province de Davao del Sur, un messager porteur de la réponse des autorités philippines à sa proposition, mais c’est un détachement de l’armée qui a surgi. Deux des proches de Kitari Capion ont été abattus, tandis que lui-même était grièvement blessé. Selon son frère, il est mort des suites de ses blessures à son arrivée à l’hôpital.
Pour les Capion, qui descendent d’une longue lignée de chefs coutumiers, les opérations minières de la SMI ne feront que causer la fin du peuple B’laan en perturbant profondément leur mode de vie liée à la forêt. Pour les autorités philippines, les Capion et leurs partisans ne sont que des bandits armés.
La plus grande mine d’Asie du sud-est
Situé à Tampakan, dans la province de Cotabato-Sud, le site minier promet d’être la plus importante mine d’or et de cuivre d’Asie du sud-est. Depuis 2006, Xstrata, qui possède 62,5% des parts, et l’australien Indophil tentent d’accélérer la mise en route de la mine, dont l’exploitation se fera à ciel ouvert et s’étendra sur une superficie de 10’000 à 24’000 hectares sur le territoire revendiqué par les B’laan. Le démarrage de l’exploitation a été repoussé à plusieurs reprises et ne devrait pas intervenir avant 2016 ou 2018. Xstrata affirme que l’exploitation de la mine ajoutera un point de pourcentage au PIB philippin et évoque un investissement de 5,9 milliards de dollars, le plus important jamais réalisé dans le pays.
Opposition locale
Le géant minier suisse doit cependant composer avec l’opposition des populations indigènes, des pouvoirs politiques locaux et nationaux, des ONG, et des Eglises.
Si le peuple B’laan soutient les Capion dans leur combat, des divisions sont toutefois apparues. La SMI a en effet largement investi dans la construction de routes, d’écoles et de dispensaires, et a promis des emplois bien payés dans la future mine. Elle a recruté des habitants de la région pour la protection de ses installations; leur donnant une formation paramilitaire et les dotant d’armes. Elle est parvenue à affaiblir ainsi l’opposition locale.
La mobilisation des adversaires de la mine n’en demeure pas moins résolue. Le pouvoir provincial a voté l’interdiction de toute exploitation minière à ciel ouvert. Le diocèse catholique de Marbel, sur le territoire duquel se trouve la mine, est très engagé dans la défense des peuples indigènes et des populations locales. Selon le Père Romeo Buenaobra, responsable de l’action sociale pour le diocèse, des études indiquent que, sur le plan environnemental notamment, les inconvénients dus à la mine l’emportent sur les bienfaits éventuels.
Au plan national, une des priorités du président Aquino est d’obtenir du Congrès le vote d’une loi sur l’extraction minière. Il estime que les sociétés étrangères opérant dans ce domaine aux Philippines ne contribuent pas assez au budget national et il projette de relever de manière conséquente la fiscalité à laquelle elles sont soumises. (apic/eda/mp)