Canada: Les évêques ne rendent pas publique la synthèse de la consultation sur la famille

Contrairement à l’Allemagne, la Suisse ou l’Autriche

Ottawa, 18 février 2014 (Apic) Contrairement à la pratique des conférences épiscopales d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) n’a pas rendu public le résultat de la consultation sur la famille. La CECC l’a envoyé directement au Saint-Siège en prévision du synode extraordinaire sur la famille qu’organise l’Eglise catholique à Rome en octobre prochain.

Les trois conférences épiscopales allemande, autrichienne et suisse ont, par contre, publié les synthèses issues des consultations réalisées auprès de la population. Le questionnaire élaboré par le Vatican en vue du synode sur la famille, qui se déroulera à Rome du 5 au 19 octobre prochain sur le thème des «défis pastoraux de la famille dans le contexte de la nouvelle évangélisation», a réservé pas mal de surprises, en Allemagne comme en Suisse et en Autriche. Ainsi, les évêques allemands constatent que l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité ne joue quasiment plus aucun rôle dans la vie quotidienne de nombreux catholiques. Les documents de ces conférences épiscopales révèlent sur bien des points les écarts entre la pensée des fidèles et le discours du magistère.

La synthèse de la consultation de la Conférence des évêques suisses montre que 90% des catholiques suisses voudraient que l’Eglise reconnaisse et bénisse les couples de divorcés-remariés. Les évêques suisses se réjouissent de l’ouverture d’esprit à l’égard de la foi constatée chez les 25’0000 répondants. Ils notent cependant que cette ouverture ne va pas forcément de pair avec une adhésion inconditionnelle à la doctrine de l’Eglise sur la famille, le mariage et la sexualité.

En Allemagne, les constats sont à peu près les mêmes. Mariages, divorces, contraception, homosexualité: les réponses reçues mettent en exergue les divergences entre les catholiques et les positions officielles. Afin que le document bénéficie d’une large diffusion, la conférence épiscopale d’Allemagne est même allée jusqu’à traduire sa synthèse en anglais et en italien. Dans un tel contexte, les catholiques canadiens attendaient avec fébrilité le dévoilement des résultats de la consultation nationale. En vain.

Au Canada aussi, la morale sexuelle catholique fait problème

Dans un communiqué diffusé début février, la CECC indiquait que sa synthèse avait été envoyée à Rome et qu’elle ne serait pas rendue publique. Sur un ton généralement positif, le communiqué de la Conférence des évêques catholiques du Canada laissait toutefois entendre que ce ne sont pas tous les catholiques qui suivent à la lettre l’enseignement du magistère sur les questions qui touchent à la famille et à la morale sexuelle.

Par ailleurs, notent les évêques catholiques canadiens, le processus a révélé qu’un certain nombre de catholiques «ne sont guère conscients du contenu positif et de la richesse de l’enseignement de l’Eglise sur le mariage et la famille, ce qui pourrait creuser un écart inquiétant entre la doctrine de l’Eglise et la pensée de nombreux catholiques».

Invitée à expliquer sa décision de ne pas rendre public le document, la CECC a indiqué via la plume de son secrétaire général qu’il ne s’agissait «ni d’une enquête, ni d’un sondage» et que les évêques canadiens n’ont fait que suivre les directives. Le pape a demandé une consultation large et rapide sur les thèmes proposés: «c’est ce que la CECC a fait. Il a demandé la confidentialité sur les réponses: c’est ce que la CECC fait aussi», fait valoir Mgr Patrick Powers, secrétaire général de la CECC.

A cet égard, la conférence épiscopale d’Angleterre et du Pays de Galles, tout comme celle d’Irlande, a eu une réponse similaire ces derniers jours. «En accord avec les souhaits du Saint-Siège, le sommaire des réponses envoyé au Synode des évêques est confidentiel», a indiqué un porte-parole au journal «Catholic Herald». Les catholiques anglais ont tout de même eu droit à un compte-rendu statistique de la participation à la consultation, où l’on apprenait notamment que 16’500 personnes ont répondu au questionnaire.

Déceptions au Québec

Malgré tout, au Canada et plus particulièrement au Québec, on n’hésite pas à manifester une vive déception face au choix de la CECC. «Ça me déçoit beaucoup», laisse entendre André Gadbois, le coordonnateur de l’équipe nationale pour le Réseau des Forums André-Naud (inspiré par théologien et philosophe montréalais André Naud, décédé en juin 2002, le Réseau vise à promouvoir la liberté de pensée et d’expression dans l’Eglise, ndr). Responsable du Forum de Montréal, il souligne que dans le Réseau, «il y avait une attente. Nous nous attendions à un mouvement d’aller-retour, et nous nous disions qu’une synthèse de la consultation allait nous revenir. Là, on tombe de haut…».

Plusieurs membres des Forums André-Naud ont pris part aux consultations, précise André Gadbois. Et s’il se dit déçu de la manière dont quelques diocèses ont mené l’exercice, il se réjouit néanmoins du travail accompli, notamment à Trois-Rivières, où la consultation a été très large. Il n’écarte pas la possibilité que le Forum André-Naud de Montréal demande à l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) de publier une synthèse provinciale des réponses. Les diocèses du Québec ont chacun mené leur consultation selon leurs propres ressources et modalités à partir du questionnaire envoyé par Rome, mais en employant diverses stratégies.

Parmi les 19 diocèses du Québec, c’est à Trois-Rivières que les efforts les plus considérables ont été déployés, relève l’émetteur chrétien «Radio Ville-Marie». 10 rencontres ouvertes avec la population ont été organisées, en plus de solliciter l’avis de diverses personnes dans des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), et des foyers pour personnes âgées autonomes.

Qu’en est-il de l’esprit de transparence voulu par le pape ?

Même la presse locale a été mise à contribution. Elle a d’ailleurs salué cet effort de consultation l’automne dernier. Le diocèse estime que plusieurs centaines de personnes ont ainsi contribué à l’exercice. Jasmine Johnson, directrice des communications du diocèse de Trois-Rivières, se dit «très étonnée» par la décision de la CECC de ne rien publier. Le diocèse évaluera de son côté la possibilité de publier sa propre synthèse, une démarche motivée par «un souci de transparence», selon Jasmine Johnson.

Spécialiste de la parole publique des évêques, le professeur Guy Jobin note pour sa part que dans le contexte ecclésial actuel caractérisé par la «franchise», la décision de la CECC de ne pas publier la synthèse de la consultation peut effectivement créer un malaise. «Ça détonne face à l’esprit qui anime la démarche», souligne celui qui enseigne à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.

«Il y a un climat de transparence à l’échelle de la planète: on incite à consulter le peuple de Dieu, pas juste la hiérarchie. Ça crée une attente, celle d’un retour. C’est normal, ce n’est pas un privilège», relève-t-il. Or, ce «dû» est repoussé, remis à la publication de l’instrument de travail. Cet instrument de travail sera le prochain document publié par la CECC au sujet du synode. Celui-ci sera notamment conçu en tenant compte des réponses de la consultation reçues de toutes les conférences épiscopales du monde. (apic/rvm/be)

18 février 2014 | 08:47
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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