Vaud: Le secret des évangéliques

Des Eglises modernes, entre transmission et évangélisation

Lausanne, 10 novembre 2011 (Apic) En Suisse, et plus généralement dans le monde entier, l’évangélisme apparaît comme une des confessions les plus innovantes et dynamiques. En transmettant leur foi à leurs enfants et en convainquant de nouveaux croyants, les évangéliques réussissent là où les confessions traditionnelles semblent échouer. Emmanuelle Buchard, scientifique des religions, chercheur à l’Université de Lausanne et co-auteur d’un ouvrage sur le sujet, explique ce «miracle».

Apic: En Europe, les églises traditionnelles se vident. Mais les lieux de culte évangéliques sont pleins. Quel est leur secret?

Emmanuelle Buchard: Les évangéliques ont un message qui correspond bien à la société contemporaine et ils savent le transmettre de façon moderne, par exemple en utilisant des moyens audiovisuels. C’est particulièrement frappant dans les Eglises charismatiques, où l’on insiste beaucoup sur l’épanouissement personnel, où l’on enjoint les membres d’être les «leaders» de leur propre vie.

Les évangéliques ont une identité forte, soutenue par une communauté soudée. L’inscription dans un milieu spécifique renforce les normes, les valeurs, les croyances et les pratiques. Or, la majorité des évangéliques sont mariés à des évangéliques et sont amis avec des évangéliques. Certains travaillent même dans le milieu évangélique.

Enfin, les évangéliques savent transmettre leur foi à leurs enfants et ils réussissent à attirer des personnes de l’extérieur, issues d’autres confessions ou d’autres religions.

Apic: Comment s’y prennent-ils pour transmettre leur foi à leurs enfants?

Emmanuelle Buchard: Tout d’abord, ils ont une approche différente de la majorité de leurs contemporains. Un évangélique ne dira jamais: «Peu importe ce que mon enfant croit, l’important c’est qu’il soit bien.» Car si l’enfant prend le mauvais chemin, s’il ne se convertit pas, il ira en enfer.

Dès l’enfance, les parents cherchent à transmettre leur foi à leur descendance, en priant, lisant la Bible, célébrant des cultes en famille. L’enfant est également rapidement inscrit dans une communauté religieuse qui offre des activités adaptées à son âge: garderies, cultes pour les enfants, colonies de vacances, puis groupes de jeunes.

Apic: Cela signifie que tous les enfants d’évangéliques restent dans ces Eglises?

Emmanuelle Buchard: Non, bien entendu certains quittent le milieu. Environ 26%. Lorsque la rupture a lieu à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, c’est souvent une expérience très douloureuse. L’identité évangélique est une identité globale, elle transcende toutes les facettes de l’individu. Cela signifie que lorsque le croyant commence à douter, à remettre sa foi en question, c’est toute sa vie qui vacille, tout son monde qui s’écroule.

Apic: Quelle est la part de l’évangélisation dans le succès des évangéliques?

Emmanuelle Buchard: L’évangélisation est essentielle pour les évangéliques. Les croyants ont la conviction qu’il faut transmettre l’Evangile, sauver les gens qui sont autour d’eux. Cependant, la forme de l’évangélisation a changé. C’en est fini des grandes rencontres prosélytes rassemblant des centaines de personnes. Les évangéliques préfèrent maintenant le témoignage personnel, par le récit et par les actes. Ils privilégient le face-à-face. Aujourd’hui, près de 35% des fidèles dans les Eglises ne sont pas nés de parents évangéliques.

Apic: Quel avenir se dessine pour le mouvement?

Emmanuelle Buchard: Je pense que le mouvement évangélique, et spécialement les charismatiques, a tout ce qu’il faut pour se développer dans notre société: la place privilégiée réservée aux émotions, l’importance de l’épanouissement personnel, la croyance aux miracles, des cultes dynamiques… Mais je crois aussi qu’il y aura, à un moment, un effet de seuil. Ils évoluent dans une société fortement sécularisée et pluralisée. Ils ne pourront pas convaincre tout le monde.

Encadré:

Qu’est-ce qu’un évangélique?

Le terme «évangélique» vient du grec «evangelion» et signifie «la bonne nouvelle». Fondamentalement, être évangélique, c’est faire sienne la Bonne Nouvelle que Dieu a envoyé un sauveur parmi les hommes.

Historiquement, l’évangélisme trouve ses racines dans la Réforme radicale, celle des anabaptistes, et dans les courants piétistes ultérieurs des XVIIIe et XIXe siècles.

Les chercheurs retiennent cinq caractéristiques essentielles de l’évangélisme: l’idée d’une inspiration divine des Ecritures qui légitime leur autorité, l’importance de la conversion comme choix de suivre le Christ, la centralité de Jésus comme modèle et soutien au quotidien, l’insistance sur l’évangélisation et le caractère interdénominationnel. Cela signifie qu’on trouve des évangéliques dans toutes les Eglises issues de la Réforme.

L’évangélisme est représenté par trois grandes tendances: les charismatiques, les classiques et les conservateurs (respectivement 56%, 32.5% et 10.7% en Suisse).

En 2003, ils représentaient entre 2 et 3% de la population totale du pays. Les croyants sont réunis au sein de 1’500 communautés, fédérées dans une quarantaine d’associations faîtières.

Notons qu’il ne faut pas confondre «évangélique» et «Evangéliste». Les Evangélistes – Marc, Matthieu, Luc et Jean – sont les auteurs des Evangiles.

Evangelical Identity Project 2

Financé par le Fond national suisse de la recherche scientifique (FNS), le projet EIP 2 (pour Evangelical Identity Project) s’inscrit dans la continuité du projet EIP 1, une enquête quantitative et qualitative réalisée en 2003 par Jörg Stolz et Olivier Favre. La nouvelle recherche, de type qualitatif, menée entre autres par Emmanuelle Buchard et Caroline Gachet, cherche à déterminer comment les membres des Eglises évangéliques construisent leur identité religieuse et comment ils communiquent cette identité à leurs enfants ou à l’extérieur. Un livre, reprenant les conclusions de l’enquête, devrait paraître au premier trimestre 2012 sous le titre «Le phénomène évangélique à l’intérieur d’un milieu compétitif». (apic/amc)

11 novembre 2011 | 16:49
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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