Fribourg: Le diable perd du terrain dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg
Désormais, il n’y a plus qu’un seul prêtre qui s’occupe d’exorcisme
Fribourg, 22 décembre 2013 (Apic) Le diable perd du terrain dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg … En l’espace de deux ans, l’évêché n’a été confronté qu’à un cas de possession diabolique avéré, où un exorcisme a dû être pratiqué. C’est pour cette raison qu’en été 2012, l’évêché a procédé à une réévaluation de son ministère d’»écoute et de délivrance». Depuis lors, un seul prêtre, engagé à 30%, s’occupe d’exorcisme, contre trois auparavant.
«Entre l’été 2012 et l’été 2013, nous avons eu une période transitoire pour évaluer la situation. Etant donné qu’un seul cas de possession avait été avéré depuis 2011, nous avons réduit le nombre de prêtres exorcistes à un seul», explique Mgr Alain Chardonnens, vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, et responsable du ministère d’»écoute et de délivrance». Auparavant, trois prêtres étaient chargés de cette tâche: les abbés Luigi Griffa, pour le canton de Vaud, Jacques Contraire pour Genève et Jacques Le Moual pour Fribourg.
Le fait qu’ils ne peuvent plus pratiquer de rituel d’exorcisme n’empêche pas les trois prêtres d’être toujours autant sollicités. Au fait, combien de demandes de ce type l’évêché enregistre-t-il par année? «Je ne peux pas donner de chiffres, car les demandes sont confidentielles», répond Mgr Alain Chardonnens. Selon un article du quotidien romand «Le Matin», en 2009 les trois prêtres exorcistes ont rencontré 550 personnes qui se disaient possédées par le diable. Leur nombre était alors en augmentation.
De rares cas de possession
Mais rares sont les vraies situations de possession. «L’Eglise catholique a déterminé les critères de la possession diabolique: l’aversion pour les signes religieux, le fait de parler ou de comprendre une langue inconnue, de dévoiler des faits lointains ou cachés et de présenter une force supérieure à ses capacités. Tous ces critères expliquent que, dans 99% des cas, l’exorcisme n’est pas approprié».
De quoi souffrent les personnes qui se croient possédées? «Les gens qui s’adressent à nous demandent à être soulagés d’une souffrance. Nous devons discerner de quelle souffrance il s’agit, trier le spirituel du psychiatrique, et trouver quel est le meilleur moyen de répondre à cette souffrance», poursuit Mgr Chardonnens. Un long processus de discernement et d’encadrement se met alors en place.
Un nouveau système
Les personnes qui appellent l’évêché sont renvoyées vers le curé de leur paroisse, qui pourra dans un premier temps agir par le conseil spirituel et la prière. «Ce système est intéressant d’abord par son aspect local: les gens s’aperçoivent qu’ils font partie d’une communauté et qu’ils ne sont pas seuls. Ensuite, ce qui est très positif dans cette démarche, c’est que le prêtre peut accompagner la personne dans la durée», affirme Mgr Chardonnens.
Le curé contactera dans un deuxième temps une équipe de laïcs «écoutants» mise en place par le diocèse, qui comprend une quinzaine de personnes parmi lesquelles une formée en psychiatrie. Puis, dans une dernière phase et si le besoin s’en fait sentir, il s’en remettre au prêtre exorciste. Pour pratiquer l’exorcisme, l’évêque du diocèse doit encore donner son autorisation. Cette nouvelle procédure, testée pendant la période transitoire d’évaluation, a été définitivement adoptée à l’automne 2013.
Encadré :
Pour un partenariat entre religion et psychiatrie
Les cas où des personnes se disent possédées par le démon relèvent souvent de la pathologie. Comment, dès lors, faire le tri entre médecine et spirituel? Pour le Professeur Jacques Besson, chef du service de psychiatrie communautaire du CHUV, à Lausanne, et superviseur des aumôniers en psychiatrie de Suisse romande, psychiatrie et religion ne doivent pas être séparées, mais au contraire doivent agir en partenariat.
Apic: Dans les cas que vous traitez, où s’arrête la psychiatrie et où commence le religieux?
Jacques Besson: En psychiatrie, de nombreuses pathologies peuvent inclure des éléments mystiques. Il y a d’abord la schizophrénie paranoïde. Le patient entend des voix, a parfois des hallucinations effrayantes, et peut se sentir persécuté par le diable. Ou, à l’inverse, il peut vivre un délire de grandeur, se croire l’incarnation du Christ. Il y a ensuite le trouble bi-polaire. Le patient alterne épisodes d’euphorie, lors desquels il a aussi cette sensation de toute-puissance, et épisodes dépressifs. L’épilepsie, lorsqu’elle est d’origine temporale, revêt aussi un aspect spectaculaire. Le patient vit des impressions extraordinaires. Il a par exemple le sentiment d’avoir été enlevé par des extraterrestres. Dans les maladies moins spectaculaires, je peux citer les symptômes hystériques. Dans ce cas précis, le patient a des sensations inexplicables dans le corps, comme des brûlures ou l’impression d’être frôlé. Enfin, lorsque le patient souffre de troubles dissociatifs, conséquents à des antécédents traumatiques (avoir été battu ou abusé sexuellement dans son enfance par exemple), il montre plusieurs personnalités suivant le contexte où il se trouve. Le caractère maladif n’est pas discutable dans les cas que je viens d’énumérer. Maintenant, il y a des cas où la personne cultive un état mystique en dehors de toute pathologie. Elle ira faire de la méditation par exemple … Toute la question, pour le psychiatre, est de savoir si la personne vit une expérience mystique normale ou pathologique.
Apic: Comment faites-vous ce discernement?
J.B.: Nous avons défini des critères en médecine: lors d’une expérience mystique normale, le sujet est apaisé et vit dans l’humilité. Dans les expériences pathologiques, les patients se sentent angoissés, grandioses et sont souvent menaçants. D’un point de vue social, ils ont tendance à s’isoler.
Apic: Le diable n’existe-t-il donc pas pour le psychiatre que vous êtes?
J.B.: La question ne se pose pas de cette manière. Il existe des forces positives pour la santé mentale. Ce sont celles qui donnent du sens à la vie. En revanche, tout ce qui défait les liens et brise ce qui donne du sens à la vie, sont des forces mauvaises. Mais la dimension spirituelle doit être prise en compte dans la psychiatrie. Par exemple, un schizophrène peut avoir besoin d’un aumônier pour lui montrer le côté inadéquat de son comportement du point de vue théologique. L’avenir montrera qu’il faut un partenariat entre religion et psychiatrie.
(apic/cw)