Diaconat féminin: des catholiques romands entre déception et compréhension
Début décembre 2025, la Commission du Vatican sur le diaconat féminin a remis un préavis négatif sur cette possibilité. Entre acceptation, tristesse et espoir, trois personnalités de l’Église en Suisse romande donnent leurs réactions et analyses.
Bien sûr le pape décidera. Léon XIV devra, un jour, répondre de façon définitive à la question posée par François de l’accession des femmes au diaconat en tant que premier degré du sacrement de l’ordre. Jorge Bergoglio a, en son temps, mis en place cette commission chargée d’en déterminer les tenants et les aboutissants. Le pontife argentin avait lancé ce chantier tout en restant lui-même extrêmement réticent sur cette revendication. Rien n’est moins sûr que son successeur américain soit sur une ligne plus favorable. Bien que consultative et laissant la porte entrouverte, la position de la Commission n’augure donc pas de percée en la matière.
Un fruit «pas encore assez mûr»?
Un développement qui, s’il démoralise certainement encore un peu plus les milieux progressistes, ne constitue pas une réelle surprise. «Cela correspond bien au climat ambiant qui a entouré cette question lors des assemblées synodales», assure ainsi à cath.ch Claire Jonard. La vierge consacrée a été facilitatrice lors des deux sessions de l’assemblée du Synode de la synodalité de 2023 et 2024. Elle a suivi de près, en tant qu’observatrice, les débats sur la place des femmes dans l’Église qui y ont eu lieu.
Elle rappelle que le paragraphe 60 du document final adopté par l’assemblée synodale, qui affirme que «la question de l’accès des femmes au ministère diaconal reste ouverte», est celui qui a obtenu le moins votes favorables.
Pour Claire Jonard le document de la Commission a toutefois eu le mérite de mettre à plat, de manière argumentée et relativement simple, tous les points de controverse qui avaient surgi lors des sessions synodales. Et cela en toute transparence, ce qui constitue «un changement majeur que l’on doit au Synode». Il montre que la question «n’est pas encore suffisamment mûre pour pouvoir être tranchée» et que le discernement doit se poursuivre. «Dans quinze ans les réponses seront peut-être différentes.»
Un autre rapport en préparation?
Le rapport de la Commission sur le diaconat des femmes n’est du reste pas le seul lieu où se discute la place des femmes dans l’Église, précise-t-elle. Dans ce contexte, elle dit ne pas comprendre pourquoi la Commission a rendu son rapport final avant que le 5e groupe de travail instauré par le pape François – pour étudier «certaines questions théologiques et canoniques autour de formes de ministères spécifiques» – n’ait rendu le sien. «En toute logique, estime-t-elle, l’ordre de parution des deux documents aurait dû être inversé.»
«Un diaconat féminin serait un beau cadeau pour l’Église» – Bernard Litzler
«Selon toute probabilité, au vu du rapport intermédiaire que le groupe n° 5 a présenté il y a quelques semaine, celui-ci prépare une réflexion profonde sur la place des femmes dans le ministère au sens large et dans la gouvernance de l’Église. Il ouvrira sans doute des perspectives autre que celles de l’ordination pour la reconnaissance des femmes.»
Un progrès pour l’Église
Pourtant, «un diaconat féminin serait un beau cadeau pour l’Église, car il y a d’excellentes théologiennes», estime Bernard Litzler, lui-même diacre permanent dans le canton de Vaud.
L’ancien journaliste salue la démarche du pape François d’avoir instauré cette commission. «C’est une pierre blanche qui marque le chemin de la synodalité sur lequel François a lancé l’Église.» Il rappelle que la réponse de la commission n’est pas définitive, et que la réflexion doit se poursuivre. «Il faut se souvenir que nous sommes au début de cette démarche synodale initiée par François, dans laquelle s’inscrit cette réflexion.»
Bernard Litzler salue également également la transparence de l’Église qui a publié le rapport émis par la Commission Petrocchi (du nom du cardinal qui a présidé cette commission). Un document détaille les votes sur les différentes questions qui ont été posées. «C’est un des fruits de l’esprit du synode, qui permet de voir où l’on en est. Cela montre l’évolution dans la mise en place de structures de réflexion qui ne sont plus exclusivement masculines.» Le diacre y voit là aussi un progrès de l’Église, même si pour beaucoup la présence de femmes théologiennes et spécialistes de l’histoire de l’Église dans cette commission est une évidence.
Une institution tiraillée
«La réflexion n’est pas aboutie, remarque-t-il: faut-il partir sur la piste de l’acolytat ou du lectorat? Un service en Église qui ne satisfait pas tout le monde, il faut le reconnaître. Ou doit-on conférer un aspect sacramentel au diaconat? Ce qui ouvrirait la voie au presbytérat féminin? Je pense que l’Église n’est pas encore prête pour cela, tiraillée qu’elle est entre les Églises orthodoxes réticentes, d’un côté, et celles de la Réforme plutôt favorables.» Il pointe un risque de division au sein de l’Église catholique si la décision était prise trop rapidement. Pour l’ancien journaliste, il faut chercher une voie qui permette de définir le diaconat féminin sans qu’il soit une copie du diaconat masculin.
Un problème occidental?
D’autant plus que «le diaconat permanent masculin commence à peine à déployer ses effets depuis qu’il a été réintroduit par le Concile Vatican II il y a 60 ans.» Le Lausannois rappelle que la question du diaconat est essentiellement occidentale et qu’il est inexistant en Asie et en Afrique. «Alors que le corps diaconal se cherche encore, il faut penser la question pour l’Église universelle, d’où peut-être cette prudence de la commission.»
«Ne faudrait-il pas mettre en priorité l’universalité de l’Église, fondée sur l’Évangile?» – Isabelle Huot
«La commission n’a certainement pas voulu passer à Léon XIV une question très délicate à trancher, alors qu’il doit apaiser les tensions que François a laissées dans l’Église.» Il y voit aussi une forme de prudence qui laisse au pontife de la marge.
Une tradition au point mort?
Une approche qui rencontre peu de compréhension dans les cercles romands qui militent pour les droits des femmes. Isabelle Huot, membre du bureau du Réseau des femmes en Église, ressent «beaucoup de déception et de tristesse». «Nous avons l’impression que le synode reste une belle intention, mais qui ne va pas au-delà, et qui ne parvient pas à installer des réformes profondes.» Elle déplore que l’Église reste figée dans ce qu’elle considère comme sa tradition. «La tradition est une belle chose en soi, mais doit-elle rester statique? Pour ma part je la vois comme une forme de transmission, quelque chose de vivant qui doit évoluer.»
«Le sacerdoce féminin serait une bonne protection contre les abus sexuels» – Isabelle Huot
L’agente pastorale neuchâteloise est consciente des enjeux touchant à la pluralité, notamment géographique, de l’Église. «Dans certains endroits du monde, il est sûr que les points de vue sont différents, et il faut sans doute prendre cela en compte. Mais ne faudrait-il pas mettre en priorité l’universalité de l’Église, fondée sur l’Évangile?»
Porter la lutte sur l’ordination
Isabelle Huot sait bien que la question de l’ordination est la principale pierre d’achoppement pour le diaconat féminin. Il lui paraît ainsi logique de porter à présent le débat directement sur la question de l’accès des femmes au sacerdoce. «Cela serait également une bonne protection contre les abus sexuels, si l’on considère notamment que la très grande majorité de ces actes sont commis par des hommes.»
Malgré la nouvelle déception venue de Rome, elle assure que le Réseau des femmes en Église poursuivra son travail. «La venue à Fribourg de Christine Pedotti [journaliste française, cofondatrice de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (CCBF) et du Comité de la Jupe], le 24 janvier prochain, sera l’occasion de discuter de toutes ces questions», souligne-t-elle. (cath.ch/bh/lb/rz/arch)







