«Dieu écrit droit avec des lignes courbes»

Sr Donata Uwimanimpaye, fondatrice de l’institut APAX au Rwanda

Fribourg, 3 décembre 2013 (Apic) «Dieu écrit droit avec des lignes courbes» Soeur Donata Uwimanimpaye s’applique volontiers cet adage, à elle-même, à sa communauté, à son pays le Rwanda. À la tête de l’Institut APAX, elle œuvre pour promouvoir la paix et la réconciliation. Pour elle, cela passe par l’approfondissement de la spiritualité, l’éducation humaine et le développement économique. Vingt ans après le génocide qui a coûté la vie à plus d’un million de personnes dans le pays, elle s’accroche à l’espérance de voir une société rwandaise enfin apaisée.

Apic: Vous n’avez pas vécu vous-même le génocide au Rwanda en 1994. Vous y êtes retournée en 2001 dans un pays qui sortait à peine de l’horreur. Avec quels objectifs et quels espoirs ?

Sr Donata : Au moment où le génocide s’est déroulé au Rwanda, je venais d’arriver en Suisse pour y faire mes études. Je vivais à Fribourg, au Foyer St-Justin, et j’étais sans cesse hantée par la question. «Que puis-je faire pour mon pays ?» Je n’avais évidemment aucun pouvoir, ni aucune autorité, mais j’avais la conviction profonde que si Dieu m’avait sauvée de la guerre, c’est qu’il voulait que je fasse quelque chose pour le Rwanda. J’ai alors fait toutes mes études dans l’intention de chercher que faire pour mon pays.

Apic: A quel résultat vous a conduit cette quête ?

D.U. : Je suis partie de la question : ‘Pourquoi mon pays n’a-t-il pas su conserver la paix ?’ Mes réflexions m’ont amenée à une triple conclusion. Il manquait une spiritualité profonde, une éducation humaine et un développement économique. Ce sont à mes yeux les trois éléments nécessaires pour renforcer une société et la rendre capable de résister dans les crises. Dans cet esprit je suis partie me former à la médiation aux Etats-Unis.

Apic: En 2001, vous rentrez au Rwanda avec des idées et des projets.

D.U. : A ce moment-là, la situation n’était encore pas très sûre. Beaucoup me conseillaient d’éviter de rentrer en me disant que je pourrais aussi être utile ailleurs, mais je tenais à mon idée et le pays avait besoin de personnes qui s’engagent. On ne m’a d’ailleurs jamais empêchée de travailler dans la mesure où je respectais le ‘règlement’. J’ai pu parler à ma supérieure de mes projets et j’ai trouvé un évêque charismatique capable d’accepter mon rêve. C’est ce qui m’a permis de lancer, dans la paroisse de Janja, dans le diocèse de Ruhengeri, l’organisation d’une ‘communauté nouvelle’ regroupant des religieuses, au sens habituel du terme, et des laïcs qui participent à la spiritualité, à la vie et aux activités de la communauté. Dans le même temps en 2001, j’ai été nommée directrice de l’école secondaire du diocèse de Nyundo, à Muramba. Nous y avons aussi établi une communauté. Le développement s’est poursuivi en 2004 avec une maison à Kabgayi et en 2011 avec l’établissement d’un centre de formation à Rango, près de Butare.

Apic: Comment avez-vous commencé à concrétiser votre projet d’éducation à la paix ?

D.U. : Nous avons commencé avec les petits enfants, en ouvrant une école maternelle à Janga. L’autre axe a été l’accueil des enfants handicapés dont personne ne s’occupait. Nous avons développé une démarche ‘inclusive’ en intégrant les handicapés dans des groupes d’enfants normaux. Développer cette capacité de vivre ensemble, en acceptant ses limites, en découvrant les richesses de l’autre est à mon sens décisive pour l’avenir du pays. Ensuite les parents nous ont demandé de continuer avec l’école primaire. Ce que nous avons fait. Janga dispose ainsi d’un cycle primaire complet jusqu’à l’entrée à l’école secondaire à 15-16 ans. Elle compte aujourd’hui 384 élèves. Nous avons l’espoir que ces jeunes soient des missionnaires de la paix dans le pays. Notre désir, maintenant, est de pouvoir établir une telle école dans tous les diocèses du pays.

Apic: Le deuxième établissement de votre communauté est celui de Muramba.

D.U. : A Muramba, notre activité s’est développée autour d’un atelier de formation pour les jeunes handicapés, afin de les aider à s’insérer dans la société. Nous faisons de la vannerie, de la couture, de l’artisanat, de la broderie… Nous souhaitons aussi créer des ateliers de production avec du personnel valide et handicapé. Encore une fois il s’agit d’éviter le rejet.

L’éducation aux valeurs humaines et familiales se fait aussi à travers des sessions pour les parents.

Apic: Cette action s’inscrit dans le contexte du pays. Quels ont été les rapports avec les autorités civiles et scolaires ?

D.U. : On ne nous a jamais empêchés de travailler. En 2009, nous avons même reçu un agrément qui nous permet de nous établir et de travailler dans tout le pays. Les valeurs de la paix, de la tolérance, du don de soi devraient être universelles. La première chose, et peut-être la plus difficile, est que les gens s’écoutent les uns et les autres, comme le demandait aux Suisses saint Nicolas de Flue. Il faut que chacun ait la parole, éviter que les uns dominent les autres et les empêchent de s’exprimer. Ce message, les enfants sont capables de le comprendre.

Apic: Comment éduquer à la paix dans un pays qui sort d’un terrible conflit ?

D.U. : Nous cherchons à rester le plus neutres possible. Nous évitons ainsi de parler directement de situations concrètes et personnelles qui provoquent les blocages et la haine. Je privilégie cette approche indirecte et à long terme, car les changements de mentalité ne se font que petit à petit. Nous faisons cette éducation à la paix sans prise de parole ‘politique’. Certains y voient de la lâcheté, pour moi c’est une approche pragmatique, mais aussi positive et optimiste. Nous restons faibles et nous avons peu de moyens de faire davantage.

Je reconnais que beaucoup de gens auraient besoin de notre voix, notamment les plus vulnérables de la société et les personnes accusées faussement. Mais nous n’avons hélas ni les compétences ni les moyens de nous engager dans ce combat.

Apic: Si le couvercle reste sur la marmite bouillante, ne risque-t-elle pas d’exploser à nouveau ?

D.U.: Le feu continue à flamber sous la marmite, mais pourquoi ? Parce que les trois conditions de base ne sont pas remplies. Après l’approfondissement spirituel et l’éducation à la paix, le développement est le troisième pilier. Une grande partie du milieu rural est encore privé des infrastructures de base : routes, eau, électricité. Il reste beaucoup à faire pour effectuer le rattrapage. Pour que les personnes soient satisfaites et paisibles, il faut relever aussi le défi de la pauvreté. A notre niveau, nous avons développé quelques petits projets, comme une fabrique de bougies et quelques activités agricoles.

Apic : On sent dans vos paroles la trace d’un traumatisme persistant.

D.U. : Oui. L’autre défi à relever est celui de la peur. La peur de perdre sa position, son identité, ses possessions, ses avantages, son pouvoir et voire même sa vie. Cela reste caché. Chacun est beaucoup plus préoccupé de sa propre survie que de la vérité. Cette situation conflictuelle dure depuis très longtemps, je dirais presque qu’elle est culturelle. Les mentalités évoluent peu. Cette peur persiste. Comment faire pour l’apaiser ? Il faut commencer par s’écouter et laisser l’autre s’exprimer. On peut rire, danser, chanter, bâtir, mais si on ne peut pas parler, on reste prisonnier de cette peur. Il faut réveiller les consciences, apprendre à parler, à donner son avis, à ne pas accepter que les autres pensent pour soi. C’est un effort de libération. La liberté de parole se heurte à des interdits tacites, non explicites. On sait simplement que certaines choses peuvent vous attirer des ennuis, voire vous conduire à l’anéantissement. L’impossibilité du débat sur certains sujets bloque pas mal de choses. La société reste traumatisée et fermée. Beaucoup de comportements ne sont que des attitudes de façade. Ce que l’on exprime en public ne correspond pas à ce que l’on dit à la maison. Le soupçon est permanent.

Apic: Ce tableau n’est pas particulièrement optimiste. A quoi rattachez-vous votre espérance ?

D.U. : Je place une partie de mon espérance dans les femmes. Elles sont aujourd’hui nombreuses à des postes de responsabilité. Elles sont moins intéressées que les hommes par le pouvoir. Elles sont aussi plus sensibles. Parce qu’elles donnent la vie, elles sont moins promptes au conflit. D’autres disent qu’elles sont là parce qu’elles sont plus soumises et plus laborieuses. C’est peut-être vrai, mais je garde une vision optimiste. Je garde aussi espoir parce que nous éduquons la jeunesse. Le cadre est restreint, mais à l’intérieur, nous pouvons faire encore beaucoup de choses. Je crois profondément que Dieu va réunir toutes ces choses pour en faire un beau gâteau. (apic/mp)

APAX

Sr Donata était présente à Fribourg à l’occasion de l’Assemblée générale de l’association de soutien APAX Suisse, le 29 novembre 2013.

APAX a été fondée en 2000 à Fribourg en Suisse et en 2001 au Rwanda pour aider la société rwandaise à répondre aux nombreux défis résultant du génocide de 1994. Les gens souffrent de plusieurs maux provenant du traumatisme de la guerre.

Ces maux ont provoqué l’isolement, la solitude, le désespoir qui conduisent à la passivité, à la perte d’estime de soi et enfin à la pauvreté. Cette pauvreté crée des sentiments d’injustice, de haine, de jalousie qui engendrent des violences diversifiées et continuelles. L’Association s’est donné comme objectifs d’aider à la reconstruction des liens sociaux, de promouvoir un développement intégral par l’éducation à la justice et la paix.

Des photos de Sr Donata sont disponibles auprès de l’Apic au prix de 80.– francs la première, 60 francs les suivantes.

(apic/mp)

3 décembre 2013 | 08:47
par webmaster@kath.ch
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