Dominique Lemay est venu en aide à 16'000 enfants des rues aux Philippines (Photo: Pierre Pistoletti)
Suisse

Dominique Lemay: une charité intrépide dans la violence de Manille

 Dominique Lemay œuvre depuis 30 ans aux Philippines. Soutenu par Sœur Emmanuelle et quelques grands de ce monde, ce Français de 67 ans est à l’origine de Virlanie, une œuvre d’envergure qui est venu en aide à 16’000 enfants depuis sa fondation. Son élan de solidarité résiste à tout, même au nouveau président qui dirige le pays, Rodrigo Duterte.

Avec sa charité obstinée et sa capacité de passer naturellement des plus riches aux plus pauvres, Dominique Lemay a tout d’un saint Vincent de Paul. Jusqu’à l’humilité: «Ha non, rien à voir, ne me comparez pas à lui!», tonne-t-il, le regard franc derrière ses petites lunettes qui, durant l’entretien, ne quittent pas le bout de son nez. En Suisse pour quelques jours, il poursuit un projet un peu fou – faire passer le concours du réputé Montreux Choral Festival à une vingtaine d’enfants des rues de Manille – et profite de son séjour pour retrouver quelques bienfaiteurs. Dominique Lemay n’a pas de temps à perdre. Il s’apprête à rejoindre Paris avant de retrouver les Philippines, sa terre d’adoption depuis 30 ans.

L’amour avant tout

De l’autre côté du globe, Virlanie vient en aide aux plus pauvres depuis 1992. «Les plus pauvres d’entre les pauvres, ce sont les enfants des rues, explique-t-il. Nous en avons aidé 16’000 jusqu’à ce jour». Avec le temps, l’ONG s’est développée, sans pour autant devenir incontournable, aux yeux de son fondateur. «Ce que nous faisons, d’autres pourraient le faire». Mais l’œuvre est d’envergure. Elle a reçu le soutien de Sœur Emmanuelle et de la princesse de Hanovre. Elle compte, parmi ses bienfaiteurs, la Morgan Bank ou Emirates. Quant à Dominique Lemay, il a été nommé expert à l’ONU pour les enfants des rues. La raison de ce développement est aussi simple qu’exigeant: «On essaie de remettre ces enfants debout et cela passe par l’amour. Le danger, pour des associations comme la nôtre est de faire dans le ‘business humanitaire’. Mais les plus pauvres ne nous demandent pas d’abord d’être efficaces pour la com ou pour remplir des statistiques. Ils ont besoin d’être écoutés, reconnus, aimés».

«La première urgence consiste à leur donner un nom»

Il rencontre la misère dans les années soixante. «A l’époque, j’étais au séminaire de Lille et je m’étais engagé dans les vestiaires du Secours catholique. J’y ai découvert la pauvreté et le dénuement». Il quitte le séminaire – «On n’y avait pas beaucoup l’occasion de se révolter» –, fréquente le mouvement ATD Quart Monde, qui œuvre dans les «bidonvilles de France», et le milieu charismatique naissant. Avec ce dernier, la rupture est assez rapide. «Je leur reprochais de chanter un peu trop d’Alleluia et d’oublier ce qui se passait derrière la porte de l’église». Mais elle n’est pas complète. Il garde de son passage dans les communautés nouvelles, une confiance en la Providence et l’habitude de s’adresser à Dieu sans détour, deux attitudes indispensables à son quotidien.

Son histoire d’amour avec les Philippines remonte à ses études de sociologie. Il découvre le pays pour la première fois, dans le cadre de sa thèse au titre programmatique: «De l’assistance au développement». Trois semaines sur place lui permettent d’analyser et de proposer des pistes de développement aux coupeurs de cannes à sucre de Negros Occidental, une province philippine. De retour à Paris, on lui propose d’y retourner pour mettre en œuvre sa réflexion. Un projet de deux ans. «Je suis entré dans une église de Montparnasse en disant à Dieu: ‘Je vais prier une heure. En sortant, je veux savoir ce que je dois faire’. Je suis sorti de l’église et j’ai pris l’avion pour les Philippines».

Les plus pauvres parmi les pauvres

Trente ans plus tard, Dominique a fondé Virlanie et s’est marié. Il est aujourd’hui le père de six enfants. «Les Philippines, c’est un pays qui me correspond. On arrondit les angles, on n’attaque jamais de face, mais au fond c’est un peuple violent qui intègre tout jusqu’à ce que ça explose». L’accointance couplée à l’empathie va porter du fruit. «Ce sont les enfants de la rue qui m’ont mobilisé. Ils n’ont pas d’identité: dans les artères de Manille, personne ne les regarde». La première urgence consiste à leur donner un nom, non sans les avoir apprivoisés. «Comme le renard et le petit prince».

«Oubliez les droits de l’homme durant ces six prochaines années» Rodrigo Duterte

Avec une amie philippine, son premier projet est de fonder une maison pour ces enfants. «Une maison forcément ouverte pour ces gamins qui vivent sans frontière. Il faut être capable d’accueillir ceux qui ont été abandonnés, abusés, exploités, négligés, les orphelins et les plus pauvres des plus pauvres à tout moment, sans ultimatum». Le projet a suscité de nouvelles générosités. Il a grandi et se décline aujourd’hui en plusieurs lieux et plusieurs programmes: réunification familiale, école de rue, équipe médicale, soutien psychologique ou encore retour en province. Et les perspectives de développement ne manquent pas. «Nous accueillons 200 enfants, dont 70 handicapés mentaux. Nous sommes en train de construire une ferme pour accueillir une trentaine d’entre eux dans l’esprit de l’Arche de Jean Vanier».

L’avènement d’un «psychopathe»

Mais l’engagement caritatif de la Fondation se heurte frontalement depuis bientôt une année à l’avènement au pouvoir d’un président «psychopathe». Rodrigo Duterte, élu à la tête du pays en juin 2016, bafoue les règles les plus élémentaires de la justice en prétextant lutter contre la drogue. «Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il a dit aux Philippins: ‘Oubliez les droits de l’homme durant ces six prochaines années’. Et il s’est fait élire pour cela. Les gens étaient fatigués de la corruption, ils voulaient que les choses changent. Duterte leur a promis ‘d’améliorer’ leurs conditions de vie en s’attaquant à la drogue et à la corruption.»

A quel prix? «Aujourd’hui, il n’y a plus de justice. Duterte dit: si quelqu’un tue un dealer, je ne le poursuivrai pas.» C’est une porte ouverte au crime. «Je viens d’accueillir Aïssa, douze ans. Il y a un mois et demi, des miliciens ont fait irruption dans sa maison d’un bidonville de Manille. Ils ont tiré deux balles dans la tête de son père, devant elle. Puis ils ont abattu sa mère, alors que la petite les suppliait de ne pas lui faire de mal. Je vous laisse imaginer le traumatisme dans la vie de cette gamine.»

Dans ce contexte de violence, l’Eglise reste une force d’opposition. Mais elle peine à faire entendre sa voix, selon Dominique Lemay. «Le cardinal Tagle a l’impression de se heurter à un mur, m’a confié un de ses proches. Tout ce qu’il dit à Duterte coule comme sur les plumes d’un canard». Les bénévoles de Virlanie prennent aussi leur part à cette lutte sur un point en particulier: l’âge légal d’incarcération. La Fondation avait obtenu de l’ancien gouvernement qu’il passe de 9 à 15 ans. Duterte veut revenir en arrière. «J’ai vu de mes yeux les conditions dans lesquelles vivent une cinquantaine d’enfants dans une cellule. Il faut se battre pour éviter cette misère».

L’homme est aguerri. Ses rides et ses cheveux blanc témoignent des combats qu’il a menés. Mais le contexte politique rend sa mission plus périlleuse. Au point de le faire vaciller?  «Quand j’ai des doutes, je pense à deux ou trois enfants que l’on pensait perdus et qui s’en sont sortis simplement parce qu’on leur a dit: ‘Tu as le droit d’exister. Tu as de la valeur à mes yeux’. Ça me remplit de courage». (cath.ch/pp)


Des rues de Manilles au Montreux Choral Festival

Une trentaine d’enfants de la Fondation Virlanie se préparent au concours du prochain Montreux Choral Festival (avril 2018). Un défi sur le plan musical. La Fondation peut compter sur le charisme de Malou Venida Hermo, talentueuse professeure de musique au Collège Saint-Scholastica de Manille et cheffe de chœur de la Chambre des Représentants du gouvernement philippin. Un défi également sur un plan logistique. En Suisse, Dominique Lemay peut compter sur Gladys Warpelin de Vionnaz (VS). Cette maman de trois enfants, dont un petit garçon philippin adopté en juillet 2007, assure la recherche de fonds nécessaire au projet et la mise en place de partenariats pour permettre à la chorale de se produire aux quatre coins de la Suisse romande.

Dominique Lemay et Gladys Warpelin, qui porte le projet de chorale en Suisse romande (Photo: Pierre Pistoletti)
Dominique Lemay est venu en aide à 16'000 enfants des rues aux Philippines
9 mai 2017 | 08:03
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 6 min.
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