DPI: «Toute vie, même handicapée, vaut la peine d'être vécue»

Lausanne, 27 mai 2015 (Apic) «Toute vie, même handicapée, vaut la peine d’être vécue». C’est ce qui ressort de façon générale des opinions de six personnes côtoyant des handicapés interrogées par cath.ch en vue du vote du 14 juin sur le diagnostic préimplantatoire (DPI).

Les citoyens seront appelés à approuver ou rejeter un amendement de la Constitution qui permettrait l’application du DPI. Cette technique médicale consiste à analyser des embryons développés in vitro pour déterminer s’ils sont porteurs ou non d’affections d’origine génétique. Suivant les informations obtenues, le choix serait donné aux parents de les transférer ou de les détruire.

(Photo:International Labour Organisation/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0) (Photo:International Labour Organisation/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

*Toutes les photos sont d’illustration et ne sont aucunement reliées aux personnes qui s’expriment 

Anne et Bertrand Oberson, parents du jeune Matthias, porteur de trisomie 21, Bulle:

Le DPI implique la création de plus d’embryons que nécessaire pour une fécondation in vitro, car on va sélectionner ceux qui ne sont pas porteurs d’une maladie génétique héréditaire et jeter les autres. On jette donc à la poubelle des personnes, qui sont au stade d’embryon certes, mais qui n’en sont pas moins des êtres humains.

Leur défaut? n’être pas génétiquement dans la norme et promis à de la souffrance.

La souffrance n’est certainement pas à rechercher pour elle-même, mais en disant NON au DPI, on dit à toutes les personnes souffrant d’un handicap ou d’une maladie grave et leurs parents: votre souffrance est réelle mais ensemble nous allons tout faire pour vous soulager car votre vie, qu’elle que soit ses fragilités, est digne d’être vécue et le monde a besoin de chacune et chacun.

Christine Bron, éducatrice spécialisée pour handicapés adultes, Fribourg:

«Je ne suis pas encore sûre de mon vote. Travaillant avec des handicapés et voyant des familles heureuses et des adultes handicapés heureux d’être là, d’être en vie, je voterai d’une certaine façon. Et, en même temps, en tant que maman de deux enfants, si je savais que mon enfant allait mourir après un mois de vie à cause d’une maladie grave, qui aurait pu être évitée, que ferais-je?

Est-ce que je n’aurais pas ce droit -là, d’avoir un enfant qui vive?

Comment aurait-on le droit de décider à la place des parents? Je sais aussi que c’est parfois très dur pour les parents d’enfants handicapés de porter la responsabilité et la charge de cette situation. Je travaille avec des handicapés qui ont pour certains 50 ans. Et leurs parents me disent souvent à quel point ils n’en peuvent plus. Mais en même temps, ils me disent à quel point ils sont heureux avec leur gamin.

Donc, il y a du pour et du contre. Je pense que la loi devrait en tout cas mettre un cadre protecteur pour empêcher les dérives. Les pratiques comme le DPI ne doivent de toute façon pas se généraliser. Je penche en fin de compte plutôt vers le ‘non’.

Il faut laisser la vie choisir.

Sans doute que certaines choses doivent arriver dans notre vie, que les enfants qui doivent naître naissent, et qu’une des réponses est de faire face à la souffrance avec amour. Paradoxalement, plus l’être humain a de choix, plus c’est difficile pour lui.»

(Photo:Philippe leroyer/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0) (Photo:Philippe leroyer/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

Stéphane Currat, agent pastoral laïc au Centre Œcuménique de Pastorale Spécialisée (COEPS), Fribourg:

Donner la vie, c’est prendre un risque. Des risques même. Et les maladies héréditaires en font partie. Aucun d’entre nous ne souhaite être malade ou transmettre une maladie. Mais cette dernière ne définit pas, n’est pas la personne. Tout être humain, de sa conception à sa mort, est une personne à part entière, avec ses faiblesses et ses richesses.

Chacun a quelque chose à apporter, à partager avec les autres, quel que soit son handicap ou sa maladie.

Parfois même, cela s’exprime à travers la subtilité d’un regard, d’un sourire, d’un geste. J’en fais l’expérience tous les jours. A chaque fois, la fragilité de l’autre vient me révéler mes propres limites. A chaque fois, sa dignité d’homme et de femme viens me redire combien moi aussi je suis digne de vie, sous le regard de Dieu et des autres!

Au même titre que le diagnostic prénatal, le diagnostic préimplantatoire voudrait nous rendre responsables de la vie ou de la mort de l’autre. Il voudrait nous faire choisir qui peut ou ne peut pas vivre. Il voudrait nous faire croire qu’il y a des vies qui valent la peine et d’autres pas. Notre responsabilité n’est pas là. Elle est dans l’accueil de toute personne, de ce qu’elle peut nous offrir et nous dire, dans la reconnaissance de sa dignité intrinsèque et de notre propre grandeur!

Olivier Dehaudt, président de l’association Choisir la vie, Sion:

Le DPI est la suite logique de la déshumanisation de l’embryon humain engendré par l’autorisation de l’avortement et son financement par la LaMal. Le PDC Jacques Neirynck le dit ouvertement dans sa prise de parole au Conseil national, le 3 juin 2014: «On ne peut pas logiquement ou éthiquement accorder une protection plus élevée à un embryon de quelques jours qu’à un foetus de douze semaines qu’il est légal d’avorter.» Dans son avis du 24 novembre 2014, le Conseil fédéral dit ceci: «L’autorisation de procéder… à un DPI a une seule et unique finalité: proposer aux femmes… une solution moins traumatisante que ne l’est une éventuelle interruption de grossesse…»

L’enjeu du DPI est encore plus pervers que l’avortement.

Par l’avortement, il s’agit de supprimer des embryons humains. Par le DPI, il s’agit de les manipuler, sélectionner et congeler. L’embryon humain est ainsi réduit à un produit de consommation dont on peut faire ce qu’on veut: on peut éliminer tous les «produits» qui ne nous conviennent pas, en mettre d’autres en attente au congélateur et «développer» uniquement ceux qui nous intéressent. Si l’embryon humain est totalement déshumanisé par l’avortement, puis par le DPI, c’est sa vie tout entière qui le sera. L’être humain sera réduit à un objet de consommation. Puisqu’on l’aura trié au début de sa vie, pourquoi s’arrêterait-on de le trier par la suite tout au long de son existence? Le suicide assisté et l’euthanasie nous en disent déjà long sur ce qui nous attend. Alors je voterai non.

(Photo:Philippe leroyer/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0) (Photo:Philippe leroyer/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

Nathalie Jaccoud, agente pastorale au COEPS, Fribourg:

Je voterai non sur le DPI. Je suis contre le changement proposé de la Constitution, qui est la base de notre fonctionnement social. Ce changement mènerait à considérer qu’il y a des vies qui ne valent pas la peine d’être vécues. On va donc se baser sur un principe d’exclusion, qui ne peut pas être le fondement de notre société.

Les personnes handicapées ne vivent certes pas sur un petit nuage où tout est rose tout le temps, comme tout un chacun, mais d’une manière générale, elles sont heureuses.

Même que, par rapport au bonheur, ces gens ont parfois une longueur d’avance sur nous.

Je comprends qu’ils puissent y avoir des circonstances extrêmes dans lesquelles le DPI serait envisageable, cependant, les garde-fous prévus ne sont à mon sens pas suffisants pour éviter les dérives.


Encadré 1

Les enjeux de la votation

Les conditions cadres pour le DPI sont réglées dans la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA). Celle-ci a déjà été approuvée par le Parlement fédéral en décembre 2014 et entrera automatiquement en vigueur si la nouvelle disposition constitutionnelle est acceptée par le peuple.

Dans son projet de révision de la loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA), le Conseil fédéral, ne souhaitait permettre l’analyse du patrimoine génétique de gamètes ou d’embryons ainsi que leur sélection au travers du DPI que lorsqu’une maladie héréditaire grave ne pourrait pas être évitée autrement. Le Parlement a cependant massivement élargi les possibilités du DPI, déplorent les opposants. Il ne concerne pas seulement les couples ayant une prédisposition génétique: tous les couples ayant recours à la fécondation artificielle doivent avoir accès au DPI. Du reste, les examens d’anomalies chromosomiques doivent également être autorisés. «Il serait ainsi possible d’éliminer des embryons porteurs de la Trisomie 21 avant l’implantation dans le sein maternel», affirme le comité interpartis «NON au DPI», formé expressément pour l’occasion.


Encadré 2

Le COEPS

Etre présence d’Eglise auprès des personnes en situation de handicap mental, psychique et sensoriel dans le canton de Fribourg, partager leurs espérances, leur foi, leurs doutes… et surtout se laisser évangéliser par elles. Telle est la mission du Centre œcuménique de pastorale spécialisée (COEPS). 17 personnes travaillent dans le COEPS. La plupart sont des catéchistes, il y a également une diacre réformée, un aumônier prêtre catholique, un assistant pastoral qui assure une présence d’aumônerie dans les institutions pour adultes, un documentaliste et une coordinatrice.

Depuis 1972

Le COEPS est présent dans 20 institutions pour personnes handicapées enfants et adultes. La présence du COEPS varie d’une institution à l’autre, mais sa mission reste la même. Concrètement, le COEPS s’occupe de la catéchèse des enfants, les prépare aux sacrements et organise les célébrations. Au sein des institutions pour adultes, le COEPS propose des temps d’animation spirituelle ouvert à toutes les personnes de l’institution. Il anime des célébrations pour les fêtes de Noël, de Pâques et de la Pentecôte.

A l’origine de cette pastorale spécialisée, il y a un capucin, le Père Blanchard Wernly. Le Père Blanchard a commencé à mettre en place cette pastorale en 1972, mais c’est en 1976 que le COEPS est créé. Dès sa nomination par Mgr Pierre Mamie, défunt évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), le Père Blanchard reçoit le mandat de développer une pastorale œcuménique. (apic/rz)

27 mai 2015 | 16:14
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 7 min.
Partagez!