Un Etat laïc a le droit d’interdire le hijab dans l’école publique

Egypte: Al-Azhar dans le collimateur des islamistes à propos du voile islamique

Le Caire, 14 janvier 2004 (Apic) La polémique européenne concernant le port du hijab, le voile islamique, divise également le monde musulman. Al-Azhar, la plus haute instance religieuse de l’islam sunnite, est dans le collimateur des groupes islamistes après les considérations de son grand imam, Cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui.

Tantaoui, tout en affirmant que le port du hijab est une obligation religieuse, ne conteste pas le droit de la France d’en interdire le port dans les écoles publiques. Mais à Al-Azhar, le schisme menace et la fronde contre Tantaoui s’organise.

Dans sa dernière édition, l’hebdomadaire égyptien en ligne «Al- Ahram weekly» au Caire rapporte que la position de Cheikh Mohamed Sayed Tantaoui a soulevé une controverse de haut vol impliquant des érudits musulmans, des groupes islamiques comme les Frères Musulmans, et le public arabe en général. Au Liban, l’influent dignitaire chiite Sayyed Mohammad Hussein Fadlallah a exigé des «excuses» de l’imam d’Al-Azhar en raison de l’appui apporté au gouvernement français par le Cheikh Tantaoui.

Bien qu’affirmant que le port du hijab soit une prescription de l’islam, l’autorité religieuse sunnite a estimé que la France avait le droit de l’interdire et qu’aucun Etat n’avait le droit d’interférer dans le processus législatif français. Si le gouvernement français obligeait les femmes musulmanes à enlever le hijab, commente Tantaoui, elles ne commettraient pas de péché.

Nombreux sont ceux qui, en Egypte, sont furieux de la prise de position de Tantaoui, exprimée une première fois fin décembre à l’occasion de la visite au Caire du ministre de l’Intérieur français Nicolas Sarkozy. Ils considèrent que le grand imam a donné ainsi un feu vert au gouvernement français dans cette question.

Contestation musulmane: démission réclamée

Cette position a été vivement contestée par d’autres imams, qui estiment que la déclaration de Tantaoui exprime plus une opinion politique qu’une position religieuse. Les critiques sont d’avis qu’il aurait dû défendre les musulmans de France en arguant que le hijab n’est pas un symbole, mais au contraire que son port est une obligation religieuse et un droit humain.

Début janvier, après la prière du vendredi, une foule de fidèles s’est rassemblée devant la mosquée Al-Azhar pour réclamer la démission du grand imam. La confrérie interdite des Frères Musulmans a également organisé une manifestation dans laquelle elle a dénoncé Cheikh Mohamed Sayed Tantaoui, le qualifiant d’»officiel du gouvernement» qui «compromet les principes de l’islam» pour défendre la politique de l’Etat. Tantaoui est accusé d’avoir ainsi miné la crédibilité d’Al-Azhar dans le monde musulman. La question qui se pose désormais dans les milieux islamistes est celle de la réelle indépendance du grand imam par rapport aux autorités politiques.

A Al-Azhar le schisme menace

Le parlementaire Mohamed Mursi, personnalité des Frères Musulmans, a rejoint 16 autres députés qui ont publié une déclaration demandant aux théologiens d’Al-Azhar de contester l’édit de Tantaoui qui «contredit les enseignements de l’islam tels qu’ils sont établis dans le Coran et la Sunna». Le député Hamdi Hassan, également membre des Frères Musulmans, a fait une demande écrite au Premier ministre Atef Ebeid pour procéder à la nomination d’un nouvel imam «apte à maintenir l’estime d’Al- Azhar et à regagner sa crédibilité».

Le journaliste Mohamed Abdel-Qudous, un islamiste qui dirige un comité pour la liberté de la presse, considère que la position de Tantaoui sur le hijab a donné une «identité islamique à une opinion laïque». Les remous suscités par les déclarations du grand imam – répétées dans le journal en langue arabe paraissant à Londres «Al-Charq al-Awsat» – révèlent un schisme croissant au sein d’Al-Azhar. D’éminents théologiens de l’institution ont immédiatement déclaré que la position de Tantaoui représentait des «vues personnelles» plutôt que l’avis des théologiens d’Al-Azhar.

Cheikh Abdel-Sabour Marzouq, secrétaire général du Haut Conseil pour les Affaires islamiques et membre de l’Académie de recherché islamique (ARI), a précisé que Tantaoui n’avait pas consulté les membres de l’Académie dans cette affaire. Il n’a par ailleurs pas tenu sa promesse d’organiser une rencontre entre l’ARI et Sarkozy. «Il ne représente ni Al- Azhar ni l’islam», a lancé Marzouq à la chaîne satellitaire qatariote «Al- Jazeera». Il a mis en garde contre le fait que la loi interdisant le voile pourrait marquer le début d’une série de mesures interdisant les rituels musulmans en Europe.

Obligation religieuse fermement établie dans le Coran et la Sunna ?

Quant au mufti d’Egypte Ali Gomaa, il a condamné l’interdiction du hijab comme une interférence flagrante dans les rituels et la doctrine islamiques. Il a également expliqué que contrairement à la croix et à la kippa, le port du voile est une obligation religieuse fermement établie dans le Coran et la Sunna. Selon Ali Gomaa, la vraie laïcité n’impose pas des restrictions à la pratique religieuse et par conséquent ne devrait pas forcer les femmes musulmanes à désobéir à Dieu. «Je crains qu’on demande aux étudiants musulmans français pourquoi ils refusent de manger du porc, ou pourquoi ils prient ou jeûnent».

La décision française visant à interdire le port du voile islamique à l’école publique fait partie des questions jurisprudentielles inédites sur lesquelles réfléchissent des conseils de jurisprudence qui se tiennent en Jordanie ou en Arabie saoudite, a confié au quotidien libanais «L’Orient- Le Jour» Mohammed Sammak, conseiller du mufti de la République libanaise Mohammed Rachid Kabbani.

Trouver des solutions adaptées pour les musulmans vivant en Occident

Mohammed Sammak, également membre du comité national pour le dialogue islamo-chrétien, a défendu quant à lui la position du Cheikh d’Al- Azhar, Mohammed Sayyed Tantaoui. M. Sammak constate qu’il existe un «grand vide» en ce qui concerne les solutions religieuses aux problèmes que rencontrent les minorités musulmanes dans les sociétés où la majorité est non musulmane. «Ce sont des situations inédites pour lesquelles il faut trouver des solutions adaptées, a-t-il affirmé. La question du voile n’est pas la seule à se poser. Il y a tout l’éventail des questions de bioéthique qui est un domaine absolument neuf à défricher.»

Spécialiste des questions religieuses, Mohammed Sammak dénie aux exégètes musulmans le droit d’imposer à un Etat non musulman les règles de conduite à suivre. «Les règles de conduite des musulmans dans les pays non musulmans ne peuvent pas être traitées à distance». Par conséquent, le responsable libanais estime qu’il faut prendre l’avis des dignitaires religieux musulmans qui vivent en Occident dans les pays d’émigration musulmane.

Tantaoui a fait preuve de sagesse

«L’affirmation du Cheikh d’Al-Azhar, selon qui les musulmans qui vivent dans des pays d’accueil se doivent de respecter les lois et usages en cours, est une règle musulmane générale sur laquelle tous les docteurs de la foi se sont accordés», affirme Mohammed Sammak. «Pour les Français, la séparation entre la religion et l’Etat est un principe de base. Donc, si la femme musulmane renonce au voile, car il lui est nécessaire de vivre dans ce pays, elle ne pèche pas», a-t-il confirmé au quotidien francophone libanais. Selon M. Sammak, cheikh Tantaoui «a fait preuve de sagesse» en choisissant de ne pas susciter encore davantage d’antagonismes entre l’Occident et l’islam, en attendant de prouver à l’Occident que les campagnes contre l’islam, qui faisaient déjà rage bien avant le 11 septembre, sont injustifiées.

Au Liban, note l’»Orient-Le Jour», les prises de position hostiles à l’interdiction du voile en Europe sont surtout le fait du Hezbollah chiite et des associations sunnites qui gravitent dans son orbite, comme le rassemblement des ulémas musulmans. L’instance sunnite Dar el-Fatwa, pour sa part, tout en souhaitant que le gouvernement français révise sa décision, s’est démarquée de l’approche jugée «totalitaire» des organisations islamistes. (apic/alahram/orj/be)

14 janvier 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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