Peut-on librement choisir sa religion quand on est musulman ?
Egypte: Confusion autour de la déclaration du grand mufti Ali Gomaa
Le Caire, 26 juillet 2007 (Apic) Peut-on librement choisir sa religion quand on appartient à la communauté musulmane ? Pour le grand mufti d’Egypte Ali Gomaa, quitter l’islam et devenir apostat serait certes un «péché grave», mais un musulman pourrait tout de même le faire si sa démarche ne met pas la société en péril.
Car pour le religieux égyptien, l’une des plus hautes autorités d’Egypte en la matière après le cheikh d’Al-Azhar, «choisir signifie liberté et la liberté inclut la liberté de commettre de graves péchés». Le mufti a fait ce commentaire après qu’une de ses contributions parues sur le forum du Washington Post-Newsweek eût semé la confusion.
La presse égyptienne de mardi a rapporté qu’Ali Gomaa affirmait que les musulmans étaient libres de changer de religion. Elle en avait déduit que les musulmans pouvaient alors, sans autre forme de procès, changer de religion. Mais Dar Al-Iftaa, l’instance officielle qui est chargée d’émettre les fatwas (décrets religieux) et qui est dirigée par le célèbre mufti, avait démenti que l’on puisse si facilement se convertir à une autre religion.
Jeudi, Ali Gomaa a précisé qu’à travers l’histoire, le châtiment pour apostasie, sur terre, n’a été appliqué qu’à ceux qui, en plus de leur apostasie, s’étaient activement engagés dans la subversion de la société. De nombreux dignitaires religieux musulmans ne font pas cette distinction et affirment haut et fort que le coupable d’apostasie doit tout simplement être mis à mort.
Trop de fatwas farfelues
Suite à la prolifération d’avis religieux émanant de toutes parts, le Conseil des ministres du gouvernement égyptien vient d’annoncer une possible réforme de Dar Al-Iftaa, dans le but de «canaliser les fatwas». Car il devient, aux yeux du pouvoir et du public, de plus en plus urgent de réformer cette institution face à la multiplication des fatwas farfelues et à la perte d’influence des institutions religieuses officielles, rapporte dans son numéro 668 le journal égyptien en ligne «Al-Ahram Hebdo».
Des réunions vont se tenir prochainement avec les responsables des instances concernées, dont Dar Al-Iftaa, Al-Azhar et le ministère de la Justice dans le but d’engager une réforme de Dar Al-Iftaa. Depuis la Révolution de juillet 1952, cette institution dépend officiellement du ministère de la Justice. Elle a pour rôle d’émettre des avis religieux sur les projets de loi élaborés par le ministère. Autrefois, les fatwas ne pouvaient qu’être «officielles». Elles étaient exclusivement émises par le mufti, lui-même nommé par le chef de l’Etat, ou par une instance officielle comme le Haut Conseil des Affaires islamiques, l’Institution des recherches islamiques ou Al-Azhar, rappelle «Al-Ahram Hebdo».
«Cependant, on assiste avec la multiplication des chaînes satellites et l’internet à une prolifération des fatwas. Elles sont rendues par des personnes qui ne sont pas toujours qualifiées pour le faire. Ce sont soit de nouveaux prédicateurs médiatisés soit des cheikhs radicaux et opposés aux avancées sociales. Ce foisonnement de fatwas contradictoires est source de confusion», note le journal égyptien en langue française.
Des télé-muftis très charismatiques
«Les gens ne se retrouvent plus entre les fatwas officielles émises par Dar Al-Iftaa et Al-Azhar, les fatwas dites modernes des nouveaux prédicateurs et celles des wahhabites (qui représentent le courant conservateur, ndr). Face à ce chaos, la nécessité de réguler l’émission des fatwas s’est faite ressentir», poursuit «Al-Ahram Hebdo». «Il ne s’agit pas de confisquer les avis d’autrui (.) mais d’une tentative pour protéger la société de la dérive religieuse», estime ainsi Ali Gomaa, le mufti de la République.
Cette réforme divise les oulémas, mais ses partisans y voient un moyen efficace de lutte contre l’anarchie religieuse. Les opposants au projet la considèrent par contre comme un moyen pour le régime de contrôler, à des fins politiques, l’émission des fatwas ainsi qu’une atteinte au droit de l’Ijtihad, qui désigne l’effort de réflexion des oulémas ou muftis et des juristes musulmans.
La multiplication des chaînes satellitaires a permis l’émergence de télé-muftis très charismatiques qui font de l’ombre aux institutions religieuses officielles, comme les «azharistes» (de la Mosquée Al-Azhar, qui a longtemps donné le ton en milieu sunnite, ndr) accusées de n’avoir pas su s’adapter aux exigences de la modernité et d’être en complet décalage avec l’époque actuelle. N’ayant reçu qu’une éducation purement religieuse, les «azharistes» n’ont aucune notion en sciences et en économie, et sont donc considérés comme inaptes à émettre des fatwas pertinente sur des questions actuelles. (apic/alahram/be)