L’unité désirable des chrétiens, longue à se faire concrètement
Egypte: Pèlerinage de Jean Paul II au Mont Sinaï.
De notre envoyée spéciale en Egypte, Caroline Boüan
Le Caire, 27 février 2000 (APIC) Jean Paul II a été accueilli avec joie par Mgr Damianos, archevêque grec-orthodoxe et ses moines orthodoxes du monastère Sainte-Catherine situé au pied du Mont-Sinaï. Ce lieu haut biblique reste encore marqué par les divisions des chrétiens. Signe symptomatique: Les moines orthodoxes n’ont pas pu prier avec le pape. L’endroit historique ne sera pas, du moins pour l’instant et comme le souhaitait le pape, le lieu d’un rassemblement des représentants des religions monothéistes. Mais Jean Paul II est d’abord venu en pèlerin sur les pas de Moïse. Son émotion et sa joie intérieure étaient visibles.
C’est un plateau désertique entouré de monts rocheux ocres et roses que Jean Paul II a eu devant les yeux, le matin du samedi 26 février, en arrivant vers 10 h 30 au petit aéroport du Mont Sinaï, situé à une vingtaine de kms du monastère Sainte-Catherine où il était attendu.
Parcourant ensuite en voiture la route tracée sur le sable qui le conduisait au pied du Mont Horeb – nom juif du Mont Sinaï -, le pape a pu admirer les sommets de plus en plus élevés du sud de la péninsule égyptienne qui se découpaient sur le ciel bleu. Malgré les petites cabanes en pierres isolées et quelques dromadaires en liberté, le paysage rappelait bien le désert décrit dans le livre de l’Exode de la Bible, traversé par le peuple d’Israël dans les années 1300 avant JC.
Arrivé au monastère et salué par quelques Bédouins et par des panneaux de bienvenue rédigés en arabe, Jean Paul II a trouvé devant lui de nombreuses variétés d’arbres entourant des murailles construites au VIème siècle sur les ordres de l’empereur byzantin Justinien, pour protéger les moines de possibles attaques.
Les 23 moines grec-orthodoxes de Sainte-Catherine ont alors accueilli le pape devant un petit portique de pierre jaune orné d’une croix, avec leur archevêque Mgr Damianos, qui a directement conduit Jean Paul II dans la grande église du monastère, dite «de la Transfiguration».
Chapelle du «buisson ardent»
A l’intérieur, le pape s’est arrêté d’abord dans l’une des chapelles où se trouvent les reliques de Sainte Catherine, martyrisée à Alexandrie au IVème siècle, avant de se rendre dans l’endroit considéré comme le plus sacré du monastère, la chapelle du «buisson ardent». Située derrière l’autel majeur de la basilique, elle a été construite pour sa part dès l’année 330 par la mère de l’empereur romain Constantin – Sainte Hélène-, sur les racines du buisson traditionnellement reconnu comme celui d’où Dieu a révélé son nom à Moïse, avant que celui-ci ne fasse sortir le peuple juif d’Egypte. Jean Paul II semblait très ému lorsqu’il s’est agenouillé dans cette chapelle, où il est resté en prière pendant une dizaine de minutes.
Le pape a tenu ensuite à saluer personnellement chacun des moines présents, tandis que l’archevêque Damianos, manifestement heureux de lui faire visiter le monastère, lui présentait quelques-uns des manuscrits les plus précieux que contient sa célèbre bibliothèque.
Quelque 500 personnes attendaient pendant ce temps Jean Paul II à l’extérieur des murailles, dans un petit jardin d’oliviers, entouré de murs de pierre. La plupart, hommes, femmes et enfants, prêtres et religieuses, appartiennent au diocèse copte-catholique d’Ismayliah, celui qui couvre la région du canal de Suez et de la péninsule du Sinaï.
A l’entrée de Jean Paul II dans le jardin, certains n’ont pas hésité à grimper dans les oliviers pour mieux l’apercevoir, tandis qu’ils acclamaient le pape en anglais avec enthousiasme. «John Paul II, we love you !» criaient-ils, au point que celui-ci, aussitôt qu’il a eu un micro en main, a tenu à leur répondre, amusé, son désormais traditionnel «John Paul
II, he loves you !».
Accueillir pour la première fois l’évêque de Rome
Un petit baldaquin damassé avait été préparé pour abriter le pape du soleil. C’est donc là que Jean-Paul II s’est placé lorsque Mgr Damianos, entouré des moines de Sainte-Catherine, lui a adressé en grec – traduit en anglais au fur et à mesure – un chaleureux discours de bienvenue, lui disant à la fois sa «grande joie» d’accueillir pour la première fois l’évêque de Rome, et son souhait de voir un jour se réaliser l’unité de l’Eglise, en dépit des difficultés actuelles. «Pour cela, le dialogue ne suffit pas, a-t-il affirmé. «Il faut y ajouter la sainteté personnelle».
Mgr Damianos a ensuite offert de nombreux cadeaux à Jean Paul II qu’il a présentés avec un enthousiasme manifeste. Et lorsque l’archevêque grec-orthodoxe a à son tour reçu du pape une reproduction du «Codex vaticanus», copie du 4ème siècle de la Bible en grec, dont l’original se trouve au Vatican, il s’est exclamé à plusieurs reprises : «Excellent!», semblant ravi de ce cadeau, comme de la croix que lui a offert le pape, qu’il a aussitôt passée autour de son cou.
Les moines et l’archevêque se retirent
Quelques instants après, il cédait cependant la parole à Jean-Paul II avant de regagner l’intérieur de son monastère. «Je vous laisse à présent vous adresser à votre peuple», lui a-t-il dit en souriant. Les moines grec-orthodoxes ayant quitté le jardin, c’est donc une liturgie strictement catholique qui s’est déroulée au pied du Mont Sinaï, en présence toutefois de l’évêque copte-orthodoxe du lieu, Mgr Makary.
Cette attitude a frappé les observateurs catholiques présents, car éloignée de l’appel vibrant du pape, vendredi après-midi dans la cathédrale copte-catholique du Caire. Un appel qui demande des gestes concrets pour favoriser l’unité des chrétiens.
«Les moines de Sainte Catherine ont reçu des ordres stricts du patriarchat grec-orthodoxe de Jérusalem à ce sujet», a confié à Ia correspondante d’APIC, l’évêque copte catholique de la même région, Mgr Makarios Tewfik. «Ils ont accueilli Jean Paul II très chaleureusement, mais il n’était pas question qu’ils puissent participer avec lui à une prière commune». «Il faut commencer par de petits pas pour construire l’unité des chrétiens. On ne peut pas en sauter un !», a encore commenté l’évêque. «La présence du pape ici en est un, et sa visite en Terre Sainte en sera un autre».
Il ne nous est pas permis de prier ensemble parce qu’il y a des différences ecclésiales entre nos Eglises», confirmait peu après l’archevêque Damianos lui-même, en s’adressant aux journalistes. «Aujourd’hui, l’union entre l’Eglise grecque-orthodoxe et celle de Rome est possible, mais il faudrait un miracle pour la réaliser».
Pendant ce temps, c’est d’une voix particulièrement forte et distincte que Jean Paul II prenait la parole en anglais, en exprimant d’emblée sa «grande joie et sa profonde émotion» de se trouver devant le Mont Sinaï, qu’il a décrit comme «le monument dressé à la mémoire de ce que Dieu a révélé ici-même», à savoir les dix Commandements.
Les 10 Commandements commentés par le pape
«Ces Commandements sont la loi de la vie et de la liberté», a alors expliqué le pape. «Non pas la liberté de suivre nos passions aveugles, mais la liberté d’aimer, de choisir ce qui est bon dans chaque situation, même quand le faire constitue un fardeau». «Garder les dix Commandements, a précisé Jean Paul II, c’est être fidèle à Dieu, mais aussi àà nous-mêmes, à notre véritable nature et à nos aspirations profondes». «Avant d’avoir été écrits dans la pierre, ces Commandements ont été écrits dans le coeur de l’homme comme la loi morale universelle, valable en tout temps et en tout lieu. Aujourd’hui comme toujours, ils fournissent les seules véritables bases pour la vie des personnes, des sociétés et des nations, et constituent le seul avenir pour la famille humaine».
Si pour Jean Paul II, suivre les dix Commandements nécessite évidemment un esprit «d’obéissance», il s’agit en fait d’une obéissance «libératrice». Dieu veut faire des hommes ses fils et non des esclaves, a-t-il affirmé. S’il a envoyé le Christ sur la terre, c’est pour que chaque personne, en apprenant que Dieu est père, devienne «consciente d’être entourée, non pas extérieurement par une multitude de prescriptions, mais intérieurement par l’amour qui a saisi les plus profonds replis de son coeur».
Après cette méditation sur le Décalogue, dont les articles avaient été lus solenellement au cours de la cérémonie, Jean Paul II a conclu son discours en évoquant de nouveau son désir de voir se réaliser l’unité des chrétiens. «Au cours des siècles, ce monastère a été un lieu exceptionnel de rencontres pour les peuples de différentes Eglises, traditions et cultures», a-t-il rappelé. «Je prie pour que, dans ce nouveau millénaire, il soit un phare lumineux qui appelle toutes les Eglises à mieux se connaître les unes les autres, et à redécouvrir ce qui est important aux yeux de Dieu dans ce qui nous unit dans le Christ». (apic/imed/cb/ba)