Élu depuis un mois, comment Léon XIV est-il perçu par la Curie romaine?
«Tout le monde a été conquis dès ses premières minutes sur le balcon». Au Vatican, les 4’800 employés du petit État ont accueilli Léon XIV avec enthousiasme, d’autant que le pontificat de François, marqué par une réforme difficile à mettre en œuvre et un style de gouvernance imprévisible, avait laissé une certaine amertume dans les dicastères. Les employés reconnaissent aussi que le pontife ne s’est pas encore positionné sur les dossiers délicats qui l’attendent.
«On sent une grande espérance dans mon dicastère et dans la Curie», affirme un employé travaillant à San Calisto – palais du Vatican situé dans le quartier du Trastevere –, se faisant l’écho des voix unanimes pour saluer l’arrivée du nouveau pontife. Et pour cause: la plupart reconnaissent que la Curie romaine s’est sentie «un peu abandonnée, laissée de côté» sous le pontificat précédent. Sans cacher leur amertume, d’aucuns confient avoir vécu «un véritable soulagement» de voir la page se tourner. «Le climat est plus serein, confiant», entend-on dans les couloirs.
«François faisait surtout de la pastorale mais le Saint-Siège a beaucoup plus de ressources, qui étaient sous-exploitées», estime sans concession un fonctionnaire titulaire d’un doctorat en jurisprudence. «Nous étions à la périphérie du pontificat de François», abonde un prêtre travaillant au Vatican depuis quatre ans, constatant que le gouvernement de l’Argentin avait créé «des blessures et du ressentiment». Cependant «il restait le pape et les employés respectent la figure du pontife», tempère ce «minutante» – équivalent de fonctionnaire au Vatican.
Des premiers gestes scrutés «à la loupe»
Si nombreux connaissaient déjà Robert Francis Prevost en tant que préfet du dicastère pour les Évêques, peu s’attendaient à le voir apparaître lors de l’Habemus papam et prendre place sur le trône de Pierre. Depuis un mois, «chaque décision du nouveau pape est scrutée à la loupe», note un bon connaisseur du Vatican, constatant que Léon XIV «pose des gestes réconfortants, rassurants».
Deux semaines après son élection, son premier discours à la Curie romaine a été plébiscité. «Léon XIV a dit d’emblée que la Curie conservait la mémoire. Cet aspect de respect pour la tradition manquait à François qui était un révolutionnaire», analyse l’employé de San Calisto. Et de se réjouir: «On retrouve plus de stabilité».
Nombreux soulignent les signes d’apaisement posés par le chef de l’Église catholique. Certains interprètent en ce sens l’envoi du cardinal Robert Sarah – jugé conservateur –comme le représentant du pape pour un jubilé à Sainte-Anne d’Auray en France. D’autres soulignent l’audience accordée au cardinal Angelo Becciu, destitué du jour au lendemain par François et condamné en première instance au terme d’un procès financier qui a ébranlé la secrétairerie d’État.
Une délicatesse reconnue envers ses employés
«Le nom de Léon XIV a tout de suite évoqué la justice sociale, et la justice dans les rapports avec le personnel de la Curie», assure un employé travaillant dans l’un des dicastères situés via della Conciliazione, longue avenue menant à la basilique Saint-Pierre. La mise en valeur de la Doctrine sociale est d’ailleurs largement applaudie par ses employés, à qui Léon XIV a envoyé dès le début un signal généreux: la restauration de la traditionnelle «prime de conclave » de 500 euros – après des années de restrictions budgétaires.
«C’est surtout le discours à la Curie qui a touché les cœurs, plus que la prime», nuance la même source. «Tout le monde a retenu la phrase: ‘Les papes passent et la Curie reste’. François nous avait parlé de nos maladies – en référence au discours de Noël 2014 aux cardinaux prononcé par le pape François qui décrivait les maladies de la curie –, lui nous a dit ‘merci’. Il a reconnu que l’instrument des papes demeure, et leur permet d’effectuer leur travail», ajoute-t-il.

Dans la même veine, pour un employé du dicastère pour le Dialogue interreligieux, le discours de Léon XIV remerciant les prêtres de Rome lors de la prise de possession de sa cathédrale Saint-Jean-de-Latran était «le signe d’une attention particulière, une délicatesse qui avait quelque peu disparu». Son prédécesseur avait plutôt marqué les esprits pour ses critiques contre le cléricalisme et le carriérisme des prêtres.
Un mode de gouvernement prudent
Concernant le travail quotidien au Vatican, «on sent quelque chose de plus structuré […], les informations internes suivent un canal plus précis, moins informel», assure une personne travaillant au dicastère pour la Communication. Certains employés pressentent qu’il s’appuiera davantage sur la Curie, à la différence du pape François qui n’hésitait pas à contourner ses propres services pour gouverner.
Le pape américano-péruvien est décrit sur toutes les lèvres comme «prudent», «mesuré», «réservé» et «sérieux». Avec lui, envisage un expert, «il y a moins de risques de dérapage». Mais le style de François, habitué des improvisations qui défrayaient la chronique, ne déplaisait pas à tout le monde, surtout lorsque le pape s’attaquait aux dérives du monde: «Voir le pape interrompre son discours pour rugir ‘c’est une honte!’, cela avait de l’effet», insiste-t-il.
Les échos sont unanimes aussi pour souligner la capacité d’écoute de Léon XIV. «Il prend vraiment le temps d’échanger avec les personnes appelées à travailler avec lui», assure un collaborateur du palais apostolique.
À l’épreuve des chantiers délicats à venir
«Léon XIV est très apprécié, mais il n’a pas encore pris de décisions difficiles», tempère toutefois un employé travaillant à la Curie depuis plus d’une dizaine d’années. Parmi les missions qui incombent au nouveau pape, reste en effet la poursuite de la réforme de la Curie romaine, grand chantier du pontificat précédent qui a abouti – parfois dans la douleur – à la promulgation d’une nouvelle Constitution apostolique, Praedicate Evangelium, en2022.
Le 267e pape a défendu à plusieurs reprises cette réforme, indiquant qu’il comptait bien poursuivre l’héritage de François. «Léon XIV n’est pas François 2.0 mais il est aligné dans la même direction», reconnaît le laïc du palais San Calisto. Il lui restera donc à arbitrer sur des dossiers brûlants comme la réforme des finances du petit État, en déficit depuis des années. Quelques mois avant sa mort, François avait engagé le dicastère pour la Communication à faire de nouveaux efforts pour réduire les dépenses, et il avait annoncé une réforme difficile du système des retraites, faisant grincer des dents les employés.
Autre question délicate à venir: celle des nominations. Au lendemain de son élection, le pape Léon XIV a confirmé «provisoirement» dans leur charge les dirigeants de la Curie, s’accordant un temps de discernement avant de procéder à d’éventuels renouvellements. Cette situation suscite de nombreuses interrogations sur la suite. «C’est une période pendant laquelle on peut s’attendre à beaucoup de changements, et chez certains on sent de la tension ou de la peur», note un observateur.
En ce tout début de pontificat, le tableau est encore vierge et les inconnues demeurent sur les postes à responsabilité parmi ses proches collaborateurs. Quoiqu’il en soit, «on s’attend à une période d’observation de quelques mois avant des départs. Léon XIV prendra son temps. Il n’agit pas dans la précipitation», pronostique un employé travaillant au Vatican depuis des décennies. (cath.ch/imedia/cd/bh)