En Autriche, quand les crèches étaient interdites

Dans la librairie la Clef de sol à Vevey (VD), une crèche, parmi les quelques 200 exposées, attire l’attention. Dans une boîte en bois fermée par une vitre, les décors ainsi que les personnages qui viennent adorer l’enfant Jésus sont collés. «C’est une ‘Kastenkrippe’ (ou ‘crèche-coffre’) originaire d’Autriche», explique Astrid Meyer à cath.ch. Elle raconte comment ces crèches se sont développées à la faveur de l’interdiction des crèches dans les églises décrétée par Joseph II.

Astrid Meyer tient avec précaution une pièce plutôt rare. «Ces Kastenkrippen, la plupart du temps créées dans des boîtes ou des coffret en bois, se sont répandues en Autriche à la fin du 18^e siècle», explique cette passionnée de crèches. L’empereur Joseph II (1741 – 1790) avait, en effet, interdit, en 1782, les spectacles Mystère joués par des artistes, notamment via les crèches dans les églises. Ces grandes crèches que l’on contemplait dans les théâtres ou dans les églises étaient alors très populaires. «Dans les pays alpins — Tyrol, Salzbourg, Haute-Autriche — la crèche n’était pas seulement un objet religieux. C’était un spectacle miniature: mécanismes discrets, scènes animées, personnages nombreux, petits dialogues joués par les fidèles», raconte Astrid Meyer, qui tient la librairie la Clef de sol avec son mari.

Pas de «foire religieuse»

Joseph II n’interdit cependant pas toutes les crèches. Il ne limite leur présence dans les églises que lorsque celles-ci sont trop luxueuses, comportent des automates ou attirent trop de monde, venu pour le spectacle plutôt que pour la prière. «L’empereur ne voulait pas éradiquer la représentation de la Nativité, mais il voulait éviter que la crèche devienne une ‘foire religieuse’», indique Astrid Meyer.

L’interdiction ne concernait pas les habitations et les particuliers, qui tenaient à la tradition de la crèche et qui commencèrent à les adapter à un usage domestique. Les gens se sont mis à en fabriquer dans des boîtes ou des tiroirs. Ainsi, par prudence, ils pouvaient les dissimuler aux yeux des visiteurs. «Les tiroirs étaient prestement remis à leur place et les propriétaires encastraient ces boîtes ou caissons dans les murs ou d’autres endroits propices. Ils glissaient des images pieuses autorisées derrière la vitre. Ce qui explique que les personnages et les décors de ces crèches étaient collés.»

Les personnages étaient fabriqués en plâtre: on suppose que des moules circulaient discrètement dans la population. Les éléments de la crèche étaient aussi ›faits maison’, avec un mélange de mie de pain, de sciure et de colle, ajoute-t-elle.

Joseph II, un empereur réformateur

Des crèches interdites en Autriche*: vu de 2025, le fait peut surprendre. Le 18^e siècle est marqué par la période des Lumières et de la Réforme qui traversent l’Europe. Une fois au pouvoir, à la mort de sa mère en 1780, Joseph II entame une série de réformes sociales, administratives, juridiques et territoriales. «Il souhaite notamment réduire les inégalités sociales. Pour cela il développe les hôpitaux, les écoles et l’assistance sociale», détaille Astrid Meyer.

L’empereur fait fermer les monastères et les abbayes des ordres contemplatifs qui ne sont pas directement impliqués dans l’assistance aux personnes pauvres. Ses réformes inquiètent le Saint-Siège, à tel point que le pape Pie VI se rend en personne auprès de Joseph II pour tenter d’infléchir sa décision.

Le souverain prône une plus grande tolérance à l’égard des chrétiens non catholiques, il décide également de réduire le nombre de séminaires et d’imposer plus de sobriété à l’Église. C’est dans cet esprit que les crèches sont interdites. Selon certaines sources historiques, l’empereur estime, en effet, qu’il s’agit d’une tradition «puérile et indigne de l’Église».

Étonnamment, l’interdiction des crèches dans les lieux publics a contribué à leur développement dans tout le pays. Elle sera partiellement levée en 1804. (cath.ch/bh)

*En 1790, l’Empire d’Autriche n’existe pas encore formellement (il sera créé en 1804), mais les possessions des Habsbourg englobent alors un vaste territoire en Europe centrale, incluant l’Autriche proprement dite, la Bohême (République tchèque actuelle), la Hongrie (avec des variations), des territoires italiens (Lombardie-Vénétie), la Belgique (Pays-Bas autrichiens) et des parties des Balkans.

Exposition de crèches jusqu’au 10 janvier 2026.
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