Regula Grünenfelder  est en première ligne en faveur de l'égalité des femmes dans l'Eglise catholique | © zVg
Suisse

«En Église, l’égalité passe par une redéfinition de la sacramentalité»

La promotion de l’égalité au sein de l’Église catholique est un chantier ouvert. La théologienne zougoise Regula Grünenfelder est en première ligne dans cette lutte. Impliquée dans la «Junia-Initiative», un groupe de femmes catholiques engagées en Église, elle prône notamment une redéfinition de la sacramentalité ministérielle.

kath.ch, Vera Rüttimann; traduction et adaptation Davide Pesenti

Madame Grünenfelder, en novembre dernier, vous étiez présente à Stuttgart, lors de la création du réseau international des femmes catholiques, le «Catholic Women’s Council» (CWC). Comment  cela s’est-il passé?

C’est «Voices of Faith» qui avait invité des femmes catholiques appartenant à des ordres religieux, à des associations féminines et à des organismes ecclésiaux de Suisse, d’Allemagne, d’Autriche et du Liechtenstein à une rencontre. Cette initiative internationale encourage une Église catholique prophétique, où la voix des femmes compte et participe à la vie de l’Eglise sur un plan d’égalité avec les hommes.

À cette occasion, les organisateurs m’avaient demandé de modérer les débats. J’y ai donc participé en tant que représentante de la «Frauenkirche Zentralschweiz» et de la «Junia-Initiative», où je suis impliquée.

Que s’est-il passé lors de cet acte fondateur? Y a-t-il autres actions prévues cette année?

Comme nous sommes des organisations féminines avec des fonctionnements internes assez différents, nous avons commencé par nous mettre en réseau, afin de nous soutenir dans notre cause commune.

Nous avons un projet commun: entreprendre un pèlerinage à l’échelle mondiale en faveur de l’égalité des droits et d’une égale dignité au sein de l’Église catholique romaine.

Désormais, nous sommes organisées sous le label «Catholic Women’s Council» (CWC). Durant le mois de février 2020, des femmes d’Eglise du monde entier – dont des religieuses, des professeurs, ainsi que des militantes – se sont réunies à Rome et ont élargi le CWC au niveau mondial.

«On assiste à un assèchement sacramentel»

«Maria 2.0», «Grève de Femmes en Eglise», «Junia-Initiative» : Où en est en 2020 le mouvement international des femmes dans l’Eglise catholique?

Sur le plan international, beaucoup de choses ont changé ces derniers mois. La religieuse kenyane Mumbi Kigutha, par exemple, est la première personne à mettre explicitement en garde contre le risque d’une ›africanisation de l’Eglise’. Par là, elle affirme que les structures de responsabilité de l’Eglise sans séparation des pouvoirs, dans les pays africains, ont des conséquences catastrophiques.

Sans un renouveau interne, sans l’égalité de droits et l’égale dignité des femmes, l’Eglise catholique en Afrique ne peut en aucun cas servir de modèle à l’Eglise universelle, juste par le simple fait qu’elle s’agrandit.

Les protestations contre les abus et contre les décisions de l’Eglise prises sans la participation de femmes, ne sont-elles pas qu’un phénomène occidental ?

Non. Les problèmes sont en effet plus graves dans d’autres parties du monde, où l’Eglise a encore plus de pouvoir pour couvrir les abus et pour exhorter les femmes à préserver leur mariage, même avec des maris violents. Les mobilisations du 8 mars, en Afrique du Sud, mais aussi aux Philippines et en Amérique latine, ont montré que les femmes, partout dans le monde, défendent l’égalité des droits et leur dignité dans l’Église.

Dans cette mobilisation des femmes, quelle est le rôle spécifique de la «Junia-Initative»?

La «Junia-Initiative» fait partie du «CWC». Cela montre que nous sommes en réseau dans le monde entier. Et comme nous sommes au centre des questions concernant la sacramentalité, nous avons une tâche spécifique. On constate en effet un assèchement sacramentel.

En même temps, les personnes aspirent à des espaces dans lesquelles faire l’expérience du sacré. Les religieuses témoignent à quel point une culture de la célébration sacramentelle digne de ce nom est importante au sein de leurs communautés respectives. J’entends en outre le souhait de ces religieuses, qui accompagnent leurs sœurs en fin de vie, de pouvoir célébrer avec elles l’onction des malades.

Qui suis-je pour refuser les sacrements aux personnes?

Il en va de même pour les aumôniers dans les hôpitaux ou dans les paroisses. Dans l’accompagnement spirituel hospitalier, les personnes malades vivent l’absolution comme un événement sacramentel. D’autre part, les familles demandent aux agents pastoraux laïcs en paroisse de célébrer les baptêmes avec elles.

Qu’est-ce qui a changé fondamentalement dans ce domaine?

À la lumière de l’expérience pastorale réalisée et de l’accompagnement spirituel, la question a été renversée. Elle n’est plus posée dans les mêmes termes qu’auparavant : qui suis-je pour célébrer les sacrements? Mais plutôt : qui suis-je pour refuser les sacrements aux personnes ?

La théologie des sacrements a également été abordée lors de la récente réunion de la «Junia-Initiative» qui s’est tenue à Lucerne. Quels ont été les résultats?

Nous avons poursuivi la réflexion sur cette question, notamment en nous demandant: A quoi ressemble une théologie des sacrements pensée à partir des personnes pour lesquelles nous sommes là et non pas des ministres?

Nous sommes dans un processus ouvert. La «Junia-Initiative» se structure à partir de l’expérience récoltée dans la pratique pastorale, pour développer des questions, ainsi que pour s’exprimer sur des réponses possibles ou de nouvelles voies praticables. Nous réfléchissons à la fois au niveau théologique et du point de vue structurel et organisationnel.

La théologienne zougoise Regula Grünenfelder est prête à reformuler la sacramentalité à partir de l’expérience pastorale. | © zVg

Penser à partir des personnes que l’on accompagne spirituellement, c’est tout à fait dans l’esprit d’une autre initiative en faveur de l’égalité dans l’Eglise: «Voices of Faith».

Oui, c’est la force de cette organisation qui a rendu de toute façon possible la création d’un réseau mondial. Car elle écoute la voix des femmes et la fait entendre plus loin.

Nous apprenons ensemble comment exprimer notre vision commune avec les nombreuses voix différentes qui s’expriment. C’est toujours un grand défi de percevoir toutes ces voix, de définir des moments où s’arrêter un instant pour aller ensuite plus loin ensemble.

Quelles sont les prochaines actions prévues par le «Catholic Women’s Council»?

Le pèlerinage mondial qui a débuté à l’occasion de la «Journée internationale de la femme», le 8 mars dernier, est à la fois virtuel et concret. Partout dans le monde, des femmes se mettent en chemin pour dialoguer entre elles et discuter sur ce que signifie, par exemple, l’égalité des droits et l’égalité en dignité dans l’Église catholique romaine.

Grâce aux médias électroniques, nous voulons ainsi dialoguer les unes avec les autres. Pour les Suissesses, ce dialogue à distance a été particulièrement important le 8 mars, lorsque la marche organisée à Zurich a due être annulée à cause des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.

Finalement, quelle est votre principale motivation à poursuivre vos revendications?

Je vois de nombreuses femmes très motivées qui affirment: «Nous sommes prêtes. Je fais l’expérience d’une attitude qui est nouvelle et qui m’inspire. Ces femmes ne veulent plus rester assises les bras croisés et critiquer ceci ou cela. Mais elles demandent: que puis-je apporter? Les femmes ont trouvé un moyen de se relier les unes aux autres, dans le monde entier, et de représenter ainsi ensemble, cette Église catholique romaine favorable aux femmes. (cath.ch/kath.ch/vr/dp)

Regula Grünenfelder est en première ligne en faveur de l'égalité des femmes dans l'Eglise catholique | © zVg
30 mars 2020 | 17:00
par Davide Pesenti
Temps de lecture: env. 5 min.
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