Etats-Unis: Mgr Weakland met en garde les catholiques contre la tentation du «ghetto»
Repli sur soi, rejet de la modernité et du libéralisme
Milwaukee, 11 mai 1999 (APIC) Les catholiques aux Etats-Unis tentés de s’enfermer dans un «ghetto intellectuel» et de se crisper dans une «contre-culture» qui rejetterait la modernité et les valeurs positives de la société américaine? Constatant l’émergence d’un nouveau courant conservateur dans l’Eglise, l’évêque progressiste Rembert Weakland met en garde ses fidèles contre la tentation du «ghetto».
Mgr Rembert George Weakland, archevêque de Milwaukee, dans le Wisconsin, a écrit dans ce sens à tous les membres du clergé de son archidiocèse. Ancien abbé primat des bénédictins, Mgr Weakland, âgé aujourd’hui de 72 ans, a toujours été un partisan de l’ouverture au monde. Bête noire des catholiques traditionalistes, il a régulièrement été dénoncé à Rome, ce qui lui a valu, en 1995, d’être privé d’une partie de ses prérogatives épiscopales. Au sein de la Conférence épiscopale américaine, Mgr Weakland a été entre autres président de la Commission des affaires sociales et économiques. C’est cette Commission qui publia la fameuse lettre des évêques sur l’économie. L’archevêque bénédictin, qui fait partie de l’aile progressiste de l’épiscopat américain, fut également délégué de la Conférence des évêques des Etats-Unis au synode pour l’Amérique qui s’est tenu au Vatican à l’automne 1997.
Un nouveau courant dans l’Eglise
De nouveaux développements ont fait sortir Mgr Weakland de sa réserve. Tout d’abord l’annonce que Tom Monaghan, ancien président de l’entreprise multinationale «Domino’s Pizza, Inc.», a fait un don de 50 millions de dollars pour ouvrir une nouvelle Ecole de Droit baptisée «Ave Maria School of Law». Il s’agira d’une institution indépendante de toute Université, dont les cours seront basés sur «l’enseignement moral de l’Eglise catholique et la loi naturelle». Elle doit être fondée dans la région d’Ann Arbor, au Michigan, d’où vient le magnat multimillionnaire, dont l’empire occupe 115’000 employés pour un chiffre d’affaires dépassant les 2,5 milliards de dollars.
D’autre part, l’archevêque de Milwaukee s’est senti interpellé par un article du «New York Times» sur le Séminaire Mount St. Mary, l’un des plus grands séminaires catholiques du pays, dont les séminaristes se considèrent comme les véritables champions de la «contre-culture». Mgr Weakland dit «ne pas avoir l’impression que ces séminaristes, formés à défier avec courage l’immoralité de la société américaine, ont la moindre idée des caractéristiques positives de la culture américaine: son esprit de libre-échange, ses fondements démocratiques, sa liberté de pensée et d’expression, son goût pour les nouveaux défis en matière de science et de savoir en général.»
Une époque de pluralisme où le consensus moral n’existe plus
Ces séminaristes ne rappellent nulle part, ajoute-t-il, «que nous devons vivre dans une période de pluralisme où il n’y a plus de consensus moral à travers le pays après l’abandon de l’éthique protestante qui avait tenu droit le ’melting pot’.» L’archevêque voudrait réfléchir avec ses prêtres sur une «tendance symptomatique d’un nouveau courant de l’Eglise à travers le monde» et sur la manière dont «l’Eglise, à la lumière de Vatican II, doit se comporter vis-à-vis du monde moderne».
Il s’agit là de problèmes importants, car la façon dont les prêtres exercent leur ministère dépend de leur regard sur la situation. C’est, note-t-il, «la vieille question du rapport de la modernité et de l’Eglise qui se pose à nous depuis la Révolution française.»
Saisir la chance qui s’offre
Mgr Weakland, constatant qu’il est facile de dresser une liste de tous les maux du monde moderne, se demande si la situation était meilleure lorsque tout le monde était chrétien. L’archevêque n’en sait rien, mais il refuse de «se laisser aller à des jérémiades». Pour lui, on peut tout aussi bien établir une autre liste – aussi longue – d’éléments positifs dans la société moderne. Second constat : on vit dans une période de mutation, et les périodes de mutation ne sont jamais faciles. Cela requiert des vertus particulières de la part de ceux qui exercent le ministère dans l’Eglise, souligne le prélat américain: «Il faut d’abord faire preuve de discrétion et de discernement. Ensuite, la vertu la plus nécessaire est la patience: patience face à la diversité, patience face à l’ambiguïté, patience face aux idéologues de tous acabits.»
Ne pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire et condamner le monde
Mais vivre dans une période de mutation, c’est aussi avoir la chance de pouvoir construire l’avenir. «Ceux qui sont capables de synthétiser en une seule vision ce que doivent être l’Eglise et le monde, et de la faire partager aux autres, exerceront une forte influence sur le cours de l’avenir, note le prélat. Quant à nous, engagés dans la vie de l’Eglise, nous devons être assurés que notre vision est basée sur notre tradition ecclésiale et notre héritage biblique, mais aussi qu’elle nous propulse dans le 21e siècle. Se contenter de dresser une liste de ce qui ne va pas puis de nous isoler du monde n’est pas une attitude constructive.»
Mgr Weakland met clairement en garde contre la tentation du repli: «Aujourd’hui, mon impression est que, en tant qu’Eglise, nous ne faisons pas vraiment face aux problèmes posés par notre culture. Nous paraissons vouloir nous dissocier de certains de ses aspects ou la condamner dans son ensemble. C’est aisé d’adopter une position isolationniste, du moins en théorie. C’est le résultat que je constate découlant des tendances indiquées plus haut.»
Vivre dans le monde et l’évangéliser
Mais cette attitude, pour Mgr Weakland, n’a aucun avenir. «Nous voulons tous regarder CNN, posséder un ordinateur, être branché sur Internet, aller au cinéma et prendre des vacances n’importe où dans le monde. Ceci concerne même ceux qui considèrent ce monde moderne comme tout à fait païen. En effet, nombre de ces derniers ont gagné des millions de dollars en tirant profit de telles activités.»
Comme aux débuts de l’Eglise, qui se trouvait entourée par les forces du paganisme, beaucoup plus fortes que celles que l’on trouve dans notre culture d’aujourd’hui, il s’agit de découvrir le meilleur et de le christianiser. Dans l’histoire, l’Eglise n’a pas évolué à l’intérieur d’un ghetto, mais dans le monde, dans un milieu ouvert, public. «Préparons-nous aujourd’hui nos gens à vivre dans le monde en bons chrétiens et à y apporter les valeurs de l’Evangile ? Pour autant que je puisse en juger, ce genre d’excellent témoignage est beaucoup plus répandu qu’on ne le pense. Notre mission aujourd’hui est de former des leaders pour ce type de culture diversifiée, et non des chrétiens qui fuient le monde.»
Mgr Weakland conclut que «sans nier que le mal existe, nous ne pouvons nous replier sur nous-mêmes ni penser que nous avons toutes les réponses à toutes les questions. Lutter avec les autres hommes de bonne volonté pour trouver les réponses sera beaucoup plus fructueux que de créer des ghettos ecclésiaux ou intellectuels.» (apic/cip/be)