Dans les allégations d'abus sexuels, la présomption d'innocence est parfois difficile à gérer | © unsplash
International

États-Unis: un prêtre poursuit son diocèse pour diffamation

Un prêtre catholique de l’Indiana a intenté, le 15 mars 2024, une action en justice contre les responsables du diocèse de Lafayette pour diffamation dans une affaire d’inconduite sexuelle avec un mineur. Il réclame dix millions de dollars de dommages et intérêts.

Si les procès pour abus sont nombreux aux États-Unis, il reste rare qu’un prêtre attaque son évêque, rapporte le site catholique The Pillar. L’affaire illustre combien la présomption d’innocence est une question délicate dans les affaires d’abus sexuels.

Le prêtre, ordonné en 2018, allègue que son diocèse l’a diffamé en l’accusant faussement d’abus sexuels sur mineur en mars 2022, avant de lui imposer une suspension de ministère. La plainte vise également le vicaire général du diocèse qui aurait convaincu un jeune homme de l’accuser d’avances à caractère sexuel (sexual Grooming).

Avant d’attaquer son diocèse, le prêtre a intenté en 2022 un procès à son accusateur. L’affaire a été classée ce mois-ci dans le cadre d’une médiation à l’amiable.

Une affaire en plusieurs phases

L’affaire a commencé en janvier 2021, lorsqu’un jeune homme s’est plaint au diocèse de Lafayette que quelques années auparavant, alors qu’il était au lycée, le prêtre l’avait encouragé à participer à un programme d’entraînement spirituel, et que l’encouragement du prêtre à un jeûne régulier s’était «rapidement transformé en un désordre alimentaire vicieux». «J’ai cru que la seule façon d’aimer Dieu était de jeûner», expliquait-il.

En réponse le diocèse a brièvement enquêté sur l’affaire, demandant au prêtre de ne pas exercer son ministère pendant la durée des investigations. En février, un enquêteur diocésain a estimé que l’allégation n’était pas fondée et a conclu que le prêtre n’était pas à l’origine de son trouble de l’alimentation. Le prêtre a alors repris son ministère sacerdotal.

Avances à caractère sexuel

L’affaire aurait pu en rester là si le vicaire général du diocèse n’avait pas continué à suivre le jeune homme en lui fournissant une aide thérapeutique. En octobre 2021, le jeune s’est ainsi à nouveau adressé au diocèse alléguant une inconduite sexuelle de la part du prêtre. «Au fil des séances de conseil, j’ai été en mesure d’accepter des aspects de l’abus que je n’avais pas pu accepter auparavant, à savoir le harcèlement sexuel et la manipulation de la part du prêtre.»

Le plaignant a identifié trois cas d’avances sexuelles présumées: le prêtre lui aurait raconté une blague obscène et déplacée qui l’avait mis mal à l’aise. A une autre occasion, il lui aurait dit: «Je me sens vraiment tenté en ce moment.» Enfin le prêtre l’aurait introduit dans sa chambre à coucher, mais sans y être présent en même temps que lui, ce qui l’aurait profondément gêné.

Le jeune homme précisait explicitement qu’il s’agissait de sollicitations à caractère sexuel mais qu’il n’y avait jamais eu de contacts sexuels. «Tout s’est fait par communication verbale et insinuation.»

Ouverture d’une enquête canonique préliminaire

Le 19 novembre, l’évêque de Lafayette, Mgr Timothy Doherty, a publié un décret déclarant que le prêtre avait commis «une violation possible du sixième commandement par un ecclésiastique avec un mineur» et ouvrant une enquête canonique préliminaire. Dans le même temps, le diocèse a entamé des négociations avec le jeune en vue d’un règlement de sa plainte.

Suspension de ministère

Il ne s’est pas passé grand-chose jusqu’au 7 mars 2022, lorsque le jeune homme s’est plaint au diocèse que le prêtre avait assisté à une compétition de natation au lycée avec une famille de paroissiens qui l’avait invité. Ce qui était contraire aux directives diocésaines.  

Quatre jours plus tard, le prêtre a été suspendu de tout ministère public, il lui a été interdit de porter des vêtements cléricaux et il lui a été demandé de quitter le presbytère où il vivait. Le dimanche suivant, le diocèse a annoncé publiquement que le prêtre était suspendu de son ministère en raison d’»allégations de comportement inapproprié avec un mineur», invitant les paroissiens à contacter les services de protection de l’enfance s’ils étaient inquiets.

Une annonce diffamatoire et injuste

Pour le prêtre l’annonce du diocèse était diffamatoire et injuste: il a été suspendu de son ministère non pas parce que des preuves nouvelles ou crédibles montraient qu’il avait eu un comportement inapproprié avec des mineurs, mais parce qu’un paroissien l’avait dénoncé en le voyant à la piscine.

Le prêtre insiste sur le fait que l’explication du diocèse sur sa situation était mensongère en laissant entendre qu’il entamait une procédure pénale formelle, alors qu’il n’avait même pas encore terminé son enquête préliminaire.

Le prêtre affirme que, depuis plus de deux ans, il se trouve dans un vide canonique, sans qu’aucune enquête n’ait eu lieu, tandis que «le diocèse a refusé de se rétracter ou de préciser qu’il n’avait pas été suspendu pour inconduite sexuelle avec un mineur.»

Contacté par The Pillar, le diocèse n’a pas voulu faire de commentaire avant le procès. (cath.ch/thePillar/mp)

Dans les allégations d'abus sexuels, la présomption d'innocence est parfois difficile à gérer | © unsplash
20 mars 2024 | 17:06
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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