Extraction de l’or au Burkina Faso: la Suisse interpellée

En 2014, 37 tonnes d’or, soit quelque 90% de ce métal précieux extrait au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde, étaient raffinées par Metalor, une entreprise basée à Neuchâtel. Pour les œuvres d’entraide suisses Action de Carême et Pain pour le prochain, l’extraction de l’or dans ce pays d’Afrique de l’Ouest a des conséquences néfastes pour la population des campagnes, privant les paysans de leurs terres, détruisant leur milieu ambiant et portant atteinte à leur culture ancestrale. Les autorités fédérales sont interpellées!

Action de Carême et Pain pour le prochain, qui ont lancé l’initiative populaire «Pour des multinationales responsables», tenaient une conférence de presse lundi 15 février 2016 à Berne pour présenter leur étude «Le profit plus important que les droits humains ? Extraction de l’or du Burkina Faso et la responsabilité de la Suisse».

Les multinationales extraient l’or de manière industrielle

Pour une population de plus de 18 millions d’habitants, comptant au moins 600’000 «orpailleurs» actifs dans de dangereuses mines artisanales, qui connaissent des conditions de sécurité et de santé précaires, la question des 7’000 employés travaillant pour les multinationales étrangères qui extraient l’or de manière industrielle peut sembler marginale. En apparence, rien à voir avec la situation de ces jeunes qui, pour trouver de quoi survivre, désertent en masse leur village, poussés par la fièvre de l’or.

«Ces travailleurs ont certes des conditions meilleures que les orpailleurs artisanaux – souvent des enfants – travaillant dans des trous, avec le risque d’effondrement, les dangers de la manipulation de substances comme le mercure, le cyanure et autres produits toxiques utilisés pour extraire l’or, voire exposés à la prostitution. Pour les employés des industries d’extraction, les salaires sont bien meilleurs, de même que les conditions d’hygiène et de sécurité. Ils vivent dans des villages clôturés et surveillés, dans des maisons mises à disposition par les compagnies… Mais le travail reste très dur», confie à cath.ch l’économiste burkinabé Barthélemy Sam, coordinateur du programme d’Action de Carême au Burkina Faso.

Les terres des villages ne se vendent pas

Cet ancien volontaire de l’ONG romande E-Changer souligne que ces multinationales actives au Burkina Faso, par exemple la canadienne IAMGOLD, la russe NORDGOLD ou la britannique AMARA MINING, ont reçu des permis d’exploitation du gouvernement burkinabé. Ils se sont installés sur les terres ancestrales des villages, qui normalement ne se vendent pas, mais se transmettent de générations en générations, dans un pays où 83% de la population vit de l’agriculture.

Rien que pour la mine d’Essakane, la plus grande du Burkina, situé dans le nord du pays, à la frontière avec le Mali, exploitée sur une surface de 100km2 par IAMGOLD, plus de 11’000 personnes ont été déplacées. Conséquence: les terres allouées aux paysans déplacés sont moins fertiles et insuffisantes, l’eau manque, la situation alimentaire s’est dégradée.

Des dédommagements de loin pas à la hauteur des pertes subies

«Chez nous, la terre est le socle de la société. Les paysans expropriés n’ont pas reçu des dédommagements à la hauteur des pertes qu’ils ont subies. Le jour où l’on a vendu la terre, c’est fini! C’est cela que nous dénonçons: on leur a enlevé leurs moyens de subsistance, et les terres qu’ils peuvent retrouver sont souvent arides…», assure Barthélemy Sam.

La production agricole diminue, et l’impact de l’activité minière est désastreux, non seulement sur l’environnement dégradé, mais aussi sur les gens. «Une paysanne rencontrée près de la mine de Bissa, au nord de la capitale Ouagadougou, m’a dit: ‘avant, nous vivions, maintenant nous survivons!’»

Pour les œuvres d’entraide, le «laxisme» de la législation suisse favorise les pratiques abusives des entreprises helvétiques à l’étranger. Si la Suisse est la plaque tournante mondiale du raffinage de l’or – près de 70% de la production totale y est raffinée – sa législation n’est toutefois pas à la hauteur des enjeux en matière de droits humains.

«Nous n’avons pas particulièrement ciblé Metalor, mais nous avons étudié la situation sur place, au Burkina Faso. Nous avons été interpellés par nos partenaires locaux. Quand nous avons demandé des informations à Metalor – elle raffine l’or de la mine d’Essakane, et par le passé celui de Bissa et de Kalsaka, trois lieux d’extractions que nous avons étudiés – l’entreprise neuchâteloise nous a simplement répondu qu’il n’y avait pas de problèmes», explique Dorothea Winkler, chargée du dossier «Entreprises et droits humains» à Action de Carême. Co-auteur de l’étude «Le profit plus important que les droits humains ?», l’ethnologue et sociologue participe au renforcement de la société civile en lutte pour ses droits.

Metalor se défend

Metalor, l’une des plus grandes raffineries au monde, assure respecter les dispositions en vigueur en Suisse, notamment la Loi sur le blanchiment d’argent et l’Ordonnance sur le contrôle des métaux précieux. Or, pour Dorothea Winkler, «ces lois se bornent à attester l’origine légale de l’or et à en garantir la qualité, mais ne sont pas prévues pour veiller au respect des droits humains». La Confédération laisse aux raffineries le soin de vérifier si ces droits sont respectés. «C’est totalement insuffisant … La protection des droits humains ne peut pas être facultative!»

Notons que sur son site internet, Metalor rejette le rapport de Pain pour le prochain et d’Action de Carême, accusant la seule Action de Carême de donner une «image complètement fausse de la situation, en particulier à Essakane, que Metalor rejette fermement».

Nécessité de légiférer sur le devoir de diligence des multinationales

L’inscription dans la loi suisse du devoir de diligence pour les multinationales est une question de justice et de dignité, affirment les œuvres d’entraide. «Cette situation interpelle d’autant plus la Suisse qu’elle constitue un site économique attrayant pour les grands groupes. L’initiative «Pour des multinationales responsables» entend combler cette faille dans la législation suisse: elle veut obliger les entreprises à tout faire, à l’étranger également, pour éviter de porter atteinte aux droits humains et à l’environnement.

Pour Anne Seydoux-Christe, conseillère aux Etats et membre du Conseil de fondation d’Action de Carême, cette exigence tombe sous le sens: «En Suisse, personne n’admettrait que ses droits, ou ceux de ses enfants, soient lésés comme sont lésés ceux d’un nombre inacceptable de personnes dans les pays en développement».

Il en va de la réputation de la Suisse

La parlementaire démocrate-chrétienne craint les conséquences, pour la réputation de la Suisse, des violations des droits humains commises par des entreprises suisses. «L’initiative est une chance pour notre économie», lance la politicienne jurassienne avec conviction. Pour Action de Carême, Pain pour le prochain et Etre partenaires, il est inacceptable que l’économie suisse et la croissance du pays «reposent sur la destruction des moyens de subsistance des populations locales dans les pays du Sud». JB

Encadré

«Prendre ses responsabilités – renforcer la justice»

Du 10 février au 27 mars 2016, les œuvres d’entraide catholique Action de Carême, protestante Pain pour le prochain et catholique-chrétienne Etre partenaires placent sous la loupe le commerce de l’or dans lequel des multinationales suisses jouent un rôle «peu reluisant». Sous le slogan «Prendre ses responsabilités – renforcer la justice»,  elles veulent souligner que les droits humains valent pour tous et partout.

Les entreprises suisses doivent prendre leurs responsabilités dans leurs activités commerciales à l’étranger. Il faut pour cela des règles contraignantes inscrites dans la loi, car les mesures volontaires ne suffisent pas, estiment les œuvres d’entraide qui s’engagent en faveur de l’initiative «Pour des multinationales responsables», lancée au printemps dernier.

Responsable de la politique de développement de Pain pour le prochain, le journaliste et économiste Miges Baumann affirme que la récolte des signatures va bon train: «Nous avons encore le temps pour obtenir toutes les signatures nécessaires…» Cette initiative populaire est, aux yeux des œuvres d’entraide, «un des moyens privilégiés pour attirer l’attention du public sur les pratiques d’entreprises ayant leur siège en Suisse. Le but est de les obliger à évaluer leurs actions, afin que leurs devoirs envers les travailleurs et l’environnement ne s’arrêtent pas aux frontières helvétiques». (cath.ch.apic/be)

Barthélemy Sam, coordinateur du programme d'Action de Carême au Burkina Faso
15 février 2016 | 16:17
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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