La philosophe Florence Quinche a été nommée à la tête du service 'Église et société' | © Raphaël Zbinden
Suisse

Florence Quinche veut renforcer la voix de l’Église dans le débat public

«L’Église catholique a le droit et même le devoir d’exprimer son opinion dans la société.» Telle est la conviction de la philosophe et éthicienne vaudoise Florence Quinche, nouvelle directrice du service ‘Éthique et société’, de l’Église suisse.

Aujourd’hui, la voix de l’Église catholique est l’une parmi tant d’autres à résonner dans nos sociétés. Pour certains, le message chrétien est toutefois aujourd’hui plus pertinent que jamais. Dans cet esprit, l’Église en Suisse s’est dotée d’organes capables de le formuler et de le porter au mieux, tels que ‘Justice et Paix’ et la ‘Commission de bioéthique’. Des commissions récemment réunies au sein du service ‘Éthique et société’, piloté par la CES, la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) et l’œuvre d’entraide Action de Carême.

Prise de contact

Ces acteurs ecclésiaux ont choisi Florence Quinche pour coordonner l’équipe de trois personnes de ce nouveau service. Elle y œuvrera avec le théologien Florian Lüthi et la spécialiste de bioéthique Anik Sienkiewicz. Une première séance de travail s’est déroulée le 12 juin 2025, qui a réuni les membres du comité de pilotage et ceux du nouveau service. «Il s’agissait principalement d’une prise de contact, explique Florence Quinche à cath.ch. Nous avons présenté notre vision du fonctionnement et des objectifs du service, ainsi que les prochains sujets à traiter.»

«Le dialogue est fondamentalement une occasion d’enrichissement mutuel»

Ces derniers sont principalement en lien avec les débats actuels au Parlement fédéral, précise-t-elle. Éthique et société se penchera notamment prochainement sur des questions de finance durable et d’OGM. «Les thèmes autour des nouvelles technologies et de la bioéthique nous préoccuperont en général beaucoup cette année.»

La passion de la différence

Autant d’âpres et épineux sujets qui enthousiasment Florence Quinche plus qu’ils ne l’impressionnent. Car elle apprécie particulièrement les défis philosophiques. «J’ai toujours été attirée par le questionnement, le débat, la discussion», confie-t-elle. «Pour moi, le dialogue est fondamentalement une occasion d’enrichissement mutuel.»

L’esprit d’ouverture et l’intérêt pour la diversité l’accompagnent depuis sa tendre enfance. Florence Quinche est en effet née à Lausanne en 1973 d’un père protestant et d’une mère catholique. «Une union qui n’était encore pas très acceptée lorsque mes parents se sont mariés dans les années 1960», assure-t-elle. Baptisée dans la foi catholique, elle grandit à Nyon. Elle y fait l’expérience de la diversité religieuse et culturelle. «J’étais d’une religion qui n’était pas celle du lieu, qui venait d’ailleurs. Le dimanche, il y avait quatre messes dans l’église, en espagnol, en portugais, en italien et en français. Cette rencontre avec la différence m’a toujours imprégnée.»

Baptême du feu éthique à l’hôpital

Durant ces premières années d’études à l’Université de Lausanne, elle s’intéresse à l’anthropologie, mais aussi à l’histoire des religions, une discipline alors toute nouvelle. «J’étais fascinée par le fait de comprendre les traditions de l’intérieur, à partir de leurs propres textes sacrés.» À l’Institut catholique de Paris, elle approfondit la philosophie de la religion, se penchant en particulier sur les écrits des pères de l’Église.

«La possibilité de relier des questions contemporaines avec des interrogations sur les valeurs m’a vraiment intéressée»

Au sortir des études, elle saute rapidement dans le bouillonnant bain du questionnement en intégrant la commission d’éthique de la recherche de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (2000-2004), ainsi que la Commission d’éthique des CMS (Centres médicaux sociaux) lausannois, où elle restera onze ans. «C’était passionnant d’observer comment ces groupes composés de médecins, de juristes, de philosophes, de pasteurs, arrivaient à débattre et à prendre des décisions d’éthique tout en n’ayant pas les mêmes fondements moraux.» Elle y découvre ce que signifie réellement «une éthique en marche», dans laquelle «personne ne détient une vérité préalable et où la faillibilité fait partie de l’équation». Une expérience qui lui fait percevoir toute l’utilité, mais aussi les limites du travail éthique.

L’actualité par le prisme de l’éthique

Si ses premières amours sont éthico-philosophiques, Florence Quinche prend plus tard la direction de la pédagogie. À la Haute école pédagogique de la capitale vaudoise (HEP), elle assure ainsi dès 2009 un cours d’éducation aux médias. Un engagement qui l’intéresse réellement, mais qui ne remplit pas entièrement ses attentes.

Après plus de 15 ans à la HEP, elle commence à chercher un emploi «dans le domaine plus proche de l’éthique, de la philosophie, de mes études de base.» C’est ainsi qu’elle tombe sur l’offre de directrice d’Éthique et société. «La possibilité de relier des questions contemporaines avec des interrogations sur les valeurs m’a vraiment intéressée. Je me suis dit que ce pouvait être un lieu pour réfléchir éthiquement à des sujets d’actualité, qui sont finalement peu abordés sous cet angle.»

Proches des valeurs de François

Florence Quinche explique s’être rapprochée du christianisme au cours du pontificat de François. «Il était peut-être plus proche de mes valeurs que les papes précédents. Ses encycliques, notamment Laudato si’ (2015), sont des textes fondamentaux, car aujourd’hui, même si l’approche scientifique est importante, l’on a aussi besoin d’un regard autre. Je pense que la religion a davantage le potentiel de nous faire concrètement agir dans le monde que la froide approche analytique et pratique. Dans l’étape où est le monde, le besoin est réel de mettre des valeurs plus personnelles et profondes dans les choix que nous faisons.»

«Action de Carême peut apporter une réelle ouverture sur le monde»

La philosophe s’avoue une croyante «peu pratiquante», en tout cas collectivement, étant plus tournée vers la prière que vers la messe dominicale. À son nouveau poste, elle devra encore accroître ses connaissances, sur l’Église en Suisse, mais aussi en langue allemande. Alors qu’elle a repris des cours depuis trois ans et qu’elle comprend bien l’allemand, elle pourra compter, dans ce domaine, sur ces deux collègues parfaitement germanophones.

L’apport bienvenu d’Action de Carême

Elle connaissait peu auparavant la Commission de bioéthique et Justice et Paix. «L’un des enjeux va être d’articuler les diverses entités parties prenantes dans une communauté de réflexion. L’un des objectifs est de rendre plus clair le lieu où trouver des informations, des prises de positions, afin de renforcer la voix de l’Église dans le débat public. C’est une grande richesse d’avoir déjà à disposition le travail réalisé par ces deux commissions. Aujourd’hui, l’une de nos tâches les plus pressantes est ainsi de reconstituer un réseau d’experts.»

Florence Quinche se réjouit qu’Action de Carême soutienne le projet. «L’œuvre d’entraide a beaucoup de missions à l’étranger, de l’ordre de la solidarité, de la mise en place de lien et de l’autonomisation (empowerment). Ce qui peut apporter une réelle ouverture sur le monde, notamment lorsque que l’on va devoir se positionner sur des initiatives telles que les ‘multinationales responsables’ qui ont un impact hors de la Suisse.»

L’Église doit garder sa liberté d’expression

Mais que pense-t-elle justement de la polémique provoquée par cette première votation en 2019? Les Églises, qui avaient soutenu le texte, avaient été critiquées pour leur parti pris politique, des voix rappelant que dans certains cantons les institutions ecclésiales sont financées par l’État.

«Il est très important que la parole de l’Église soit explicitée»

«Si l’Église ne partageait pas sa vision du monde, elle priverait le débat public de toute une dimension essentielle, affirme l’éthicienne. Ce n’est pas parce que l’État finance une institution, que celle-ci doit perdre sa liberté d’expression. Cela constituerait une forme de censure. Je pense que les opinions religieuses dérangent souvent parce qu’elles mettent le doigt sur des positions déconnectées de l’éthique.»

Mais pour Florence Quinche, il est très important que la parole de l’Église soit aussi explicitée. Elle est en cela très heureuse d’avoir des collaborateurs (Florian Lüthi et Anik Sienkiewicz) qui ont également été enseignants. «Les compétences pédagogiques que nous avons seront certainement précieuses pour parler avec les personnes qui ne sont pas d’accord. Pour moi, le dialogue n’est pas d’abord un moyen de convaincre l’autre, mais de construire ensemble.» (cath.ch/rz)

La philosophe Florence Quinche a été nommée à la tête du service 'Église et société' | © Raphaël Zbinden
30 juin 2025 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
Partagez!