Forum sur la liberté religieuse: «Avec les barrières, construire des ponts»
La liberté religieuse est aujourd’hui menacée dans de nombreux contextes différents y compris parfois en démocratie. Elle est pourtant un des piliers des droits humains. Tel est le constat du Focus sur la liberté religieuse tenu le 7 novembre 2025 à Berne.
Quelque 120 représentants des Eglises chrétiennes, du monde politique, des ONG et des groupes missionnaires étaient réunis au Kornhaus de Berne pour s’inquiéter de la détérioration de la liberté religieuse dans le monde. Des témoignages du Nigéria, d’Inde ou d’Irak en ont apporté une démonstration frappante.
Il y a 50 ans à l’époque de la fondation de l’ONG Christian Solidarity international (CSI) par le pasteur Hansjörg Stückelberger, des milliers de personnes étaient descendues dans la rue à Zurich et à Berne pour protester contre la persécution des chrétiens derrière le rideau de fer. Après la chute du communisme, on n’imaginerait plus aujourd’hui de telles manifestations, mais les violations de la liberté religieuse restent massives. Beaucoup de minorités sont persécutées pour leur foi.
Albert Rösti souligne le rôle des Églises
«En tant que membre d’une Église réformée, je suis très conscient de l’importance des Églises pour notre culture et notre société», a assuré le Conseiller fédéral Albert Rösti à qui il est revenu d’ouvrir le forum. «La plupart de nos règles du vivre ensemble démocratique ont une origine chrétienne. Depuis plusieurs siècles, et encore aujourd’hui, les Églises assument de nombreuses tâches au service de la société, dans l’éducation, l’entraide, la santé etc. Nous devons leur en être très reconnaissants.» En maintenant l’invocation ‘Au nom de Dieu tout puissant’ en préambule de sa Constitution les Suisses reconnaissent qu’il existe une dimension qui les dépasse.
Le Conseiller fédéral UDC a reconnu aussi qu’il apprécie moins l’engagement des Églises dans les questions politiques, comme l’initiative pour les multinationales responsables.
Les minorités en Turquie
La Conseillère nationale verte bâloise Sibel Arslan a évoqué son expérience personnelle. Issue d’une famille de militants kurdes alévis de Turquie, elle est arrivée en Suisse en 1991 à l’âge de douze ans. Elle a alors été confrontée à un christianisme très différent de sa religion alévie qui, plus qu’une simple variante de l’islam, puise ses racines dans une croyance aux forces de la nature. «Mais ma mère fréquentait volontiers les lieux de pèlerinages catholiques où elle allait déposer un cierge, comme à Mariastein.» Dans sa région d’origine en Turquie vivaient aussi des minorités chrétiennes assyrienne et arménienne qui subissaient des discriminations et des persécutions.
L’avocate se bat aujourd’hui pour le respect des droits humains et en particulier de la liberté religieuse qui va au-delà de la simple tolérance. Dans de nombreux pays les minorités religieuses sont tolérées mais restent privées de leurs droits et sont discriminées dans les domaines des libertés individuelles, de l’accès à l’éducation, au système de santé ou au pouvoir politique.
Pour lutter contre l’exclusion, la politicienne prône le dialogue interreligieux et intercommunautaire pour se connaître et se libérer de la peur.
Comment répondre à la violence?
Deux témoignages venus du Nigeria par vidéo ont précisément interrogé cette notion du dialogue interreligieux. Comment peut-on dialoguer avec les extrémistes musulmans de Boko Haram ou d’autre milices qui n’ont que la violence pour langage? Comme chrétiens il est interdit de répondre à la violence par la violence. Mais il faut davantage que le dialogue, il faut une conversion. Seul celui qui reconnaît l’injustice peut établir la paix.
En Inde et en Irak, les discriminations des minorités
L’écho de ces questions a rebondi dans la salle du Kornhaus de Berne dans les témoignages parallèles de Parul Singh (nom d’emprunt) avocate indienne qui défend les chrétiens et le Père Emanuel Youkhana, archi-diacre de l’Eglise orthodoxe assyrienne en Irak.
Dans une Inde en proie à un nationalisme hindou toujours plus intransigeant, incarné par le BJP du Premier ministre Narendra Modi, le moindre prétexte est saisi pour persécuter les minorités religieuses. Les avocats s’épuisent à lutter contre la police et les tribunaux locaux. Les associations de défense des chrétiens ont obtenu quelques succès, mais au prix d’un combat quotidien parfois dangereux. Il faut se battre parfois simplement pour pouvoir donner une sépulture digne aux défunts de la communauté. Chrétiens et musulmans subissent le mêmes discriminations.
En Irak après des années de guerre il s’agit de restaurer la confiance entre les diverses communautés. Au Kurdistan, la situation des chrétiens est plus favorable qu’à Bagdad et dans le reste du pays. Le sort des autres minorités religieuses comme les yézidis est souventz encore moins enviable. «Elles étaient là pourtant bien avant l’islam dominant, tous comme le christianisme.» Si la liberté de culte existe, et si les chrétiens peuvent construire des églises, cela n’est pas encore la liberté religieuse. Dans le droit du mariage, de la famille ou de l’héritage, les chrétiens sont systématiquement discriminés par rapport aux musulmans. Face aux multiples pressions la tentation de l’exil est forte. «Nous ne vivons pas avec mais sous l’islam.»
Liberté religieuse pour tous
Thomas Schirmmacher, président de l’Institut international pour la liberté religieuse à Bonn (IIRF) a apporté un éclairage plus théorique. «Lorsque des chrétiens sont persécutés, cela nous touche davantage, mais la liberté religieuse concerne tout le monde». Si nous prétendons protéger que les chrétiens nous faisons fausse route.
Dans les pays d’ancienne chrétienté la liberté religieuse est un acquis pour le moment incontesté. Très souvent les musulmans ou les hindous qui y vivent bénéficient d’une liberté plus grande que dans leur propre pays. «En Turquie et dans la diaspora turque, le Diyanet ou direction des affaires religieuses surveille et gère la prédication dans toutes les mosquées !»
Séparation Eglise-Etat
Un autre acquis important de la culture politique européenne est la séparation Église-Etat qui veut que chaque instance gère son domaine propre sans interférence de l’autre. «C’est le problème actuel de l’Église orthodoxe russe qui s’est alignée derrière la politique du Kremlin dans sa guerre contre l’Ukraine.»
Prétendre propager la religion par la force est évidemment une illusion totale. C’est celle de l’apôtre Paul qui, avant sa conversion, persécutait les chrétiens, rappelle l’ancien secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale. «Le communisme pensait éradiquer la religion, mais aujourd’hui où peut-on encore trouver un communiste?», a conclu Thomas Schirmmacher.
Message commun des Églises
En conclusion de la rencontre les représentants des Églises ont lu un message commun. Dans ce texte elles s’engagent à s’informer sur la situation des personnes persécutées pour leur foi; à s’unir dans la prière, à contribuer à l’accueil des réfugiés; à soutenir le travail des ONG de défense des droits humains et à s’engager pour la liberté religieuse partout dans le monde. (cath.ch/mp)





