Gare à une loi qui déraperait dans sa lutte contre les dérives
France: L’Eglise catholique de l’Hexagone et les sectes
Paris, 16 janvier 2001 (APIC) Un document critique de l’épiscopat français, signé par Mgr Jean Vernette, met en garde contre la nouvelle proposition de loi sur les sectes. Exemples à l’appui, il en examine les dérives possibles, tout en montrant que des pistes juridiques restent trop peu exploitées. Le spécialiste maison suggère même des pistes pour voir s’il y a des dérives sectaires dans l’Eglise catholique.
Mgr Vernette n’exclut pas qu’il puisse y avoir des dérives sectaires jusque dans l’Eglise catholique. Mais il réclame un «état des lieux» plutôt que des accusations mal fondées. Ainsi, le «Dico des sectes», publié en 1998 par Annick Drogou et le Centre Roger Ikor, n’hésite-t-il pas à classer comme sectes le mouvement des Focolari, la Communauté des Béatitudes et la Prélature de l’Opus Dei.
En décembre dernier, le Premier ministre français Lionel Jospin a reçu le deuxième rapport d’Alain Vivien, président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, organisme qui a remplacé l’Observatoire des sectes. C’est dire si la République continue de se préoccuper des risques qui pèsent sur la liberté de ses enfants. Une nouvelle proposition de loi a d’ailleurs été adoptée, le 22 juin dernier, en première lecture par l’Assemblée nationale. Elle vise à «renforcer la prévention et la répression à l’encontre des groupements à caractère sectaire». Faire la loi: indispensable, mais délicat !
Une proposition séduisante qui peut s’avérer redoutable
L’actuelle proposition de loi est une initiative que salue volontiers Mgr Vernette, dans le document intitulé «L’Eglise catholique et les sectes», que vient de publier la «Lettre d’information» de l’épiscopat français. Le secrétaire du Service catholique national «Pastorale, sectes et nouvelles croyances » se réjouit de la volonté du législateur d’éviter «une législation d’exception» tout en se dotant d’outils efficaces pour mettre certains groupements «hors d’état de nuire».
Séduisante au premier abord, la proposition peut toutefois s’avérer redoutable, observe Mgr Vernette. Il évoque divers problèmes rencontrés sur le terrain et les pièges que n’ont pu éviter les Commissions d’enquête parlementaire sur les sectes, ni en France ni en Belgique, où le rapport de 1997 fut controversé à cause d’une liste plutôt arbitraire de mouvements jugés «nuisibles». Car telle est bien la question de fond, aux yeux de Mgr Vernette: selon quels critères va-t-on décider de poursuivre un groupe ? Suffit-il de mettre en cause des activités «ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes»?
Empêcher la manipulation
Même s’il faut empêcher la «manipulation» des libertés humaines, il se pourrait que la loi se retourne, demain, contre des communautés religieuses: n’y pratique-t-on pas la direction spirituelle et des activités fort retirées du monde… comme ce que certains reprochent aux sectes ? Hypothèses gratuites ? Un couple catholique, membre de la Communauté des Béatitudes, a failli, l’an dernier ne pouvoir adopter un enfant, parce que le ministère public jugeait que cette communauté charismatique attachée aux valeurs de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, constituait «un obstacle à l’épanouissement» de l’enfant.
Mgr Vernette n’exclut d’ailleurs pas que la vigilance contre les sectes soit, chez certains, le nouveau vecteur d’une lutte antireligieuse. Il en détecte les signes dans certaines publications. Ainsi, le «Dico des sectes», publié en 1998 par Annick Drogou et le Centre Roger Ikor, n’hésite pas à classer comme sectes le mouvement des Focolari, la Communauté des Béatitudes et la Prélature de l’Opus Dei. Et si le «Dico» devenait un futur indic?
Une législation sous-exploitée
Pour se protéger des groupes dangereux, la France ne manque pourtant pas de textes légaux. Mgr Vernette en a repéré plusieurs. Il y a d’abord des dispositions pénales générales contre l’escroquerie, les blessures, la non-assistance à personne en danger, les agressions sexuelles, l’incitation des mineurs à la débauche… Il existe aussi des mesures qui répriment l’exercice d’un culte sous la contrainte. D’autres articles du code peuvent être invoqués, notamment contre l’exercice illégal de la médecine, contre le viol de la correspondance, ou contre les appels téléphoniques malveillants…
De l’arsenal, Mgr Vernette retient particulièrement un article, «le plus pertinent pour prévenir la manipulation mentale», dit-il, en suggérant même de le «muscler». C’est l’article 313-4 sur l’abus de vulnérabilité, ou plus précisément: «l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie […], à une déficience physique ou psychique […] pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables».
Mgr Vernette ne se limite pas à signaler des mesures répressives. Il insiste aussi sur le souci que porte, depuis trente ans, à travers les diocèses, le secrétariat spécialisé à l’écoute des quêtes spirituelles d’aujourd’hui et des besoins d’aide ou de médiation dans les conflits familiaux. Au-delà du champ ecclésial, il réclame un Observatoire des sectes qui soit indépendant afin de mieux préserver «ces deux biens précieux dans une société démocratique que sont la liberté religieuse et notre laïcitéé à la française»
Dans l’Eglise, des dérives ?
Mgr Vernette n’exclut pas qu’il puisse y avoir des dérives sectaires jusque dans l’Eglise catholique. La question propulsée dans les médias par les milieux «antisectes «ne lui paraît pas irrecevable. Mais il réclame un «état des lieux» plutôt que des accusations mal fondées, qui vont parfois en sens contraire. En outre, observe-t-il, beaucoup de cas «ne relèvent pas du pénal»: on ne peut parler d’avance de «groupes totalitaires trompeurs». Mais s’il y a problème, à qui s’adresser ? Surtout si la plainte vise l’autorité immédiatement concernée dans l’Eglise? Mgr Vernette recommande la «progression des recours»: du responsable du groupe, on peut remonter jusqu’à Rome, sans négliger le rôle de l’évêque du lieu et de son tribunal ecclésiastique.
Dans l’Eglise, des dérives ? C’est fort possible. Comme partout, semble redire le spécialiste français, qui clôture son document par quatre critères de discernement. Ces critères portent sur le contrôle du pouvoir (la dériv sectaire, c’est l’oppression), sur la circulation du savoir (sinon, il y a risque d’endoctrinement), sur la gestion de l’avoir (sans transparence, il y a danger d’exploitation), enfin sur l’ouverture des relations (la fermeture est vite sectaire). Ces critères, précise Mgr Vernette, ne sont pas propres à l’Eglise: ils valent pour «tout groupe, religieux ou non». (apic/cip/snop/pr)