France: l’encyclique «Veritatis splendor»
suscite un large écho dans la presse (081093)
Appel à l’ouverture et au dialogue
Paris, 8octobre(APIC) La presse française de cette semaine a accordé une
très large place à l’encyclique du pape Jean Paul II «Veritatis splendor».
Les commentateurs sont partagés. Les uns comme Georges Suffert dans «Le Figaro» saluent une initiative courageuse et salutaire. D’autres analysent un
«texte de crise» comme Paul Valadier dans «Le Monde». Emile Poulat dans
«Libération» et Marcel Neusch dans «La Croix» attendent ou souhaitent que
le document ouvre un débat de fond.
Pour Paul Valadier, dans «Le Monde», l’encyclique veut «aborder les difficultés en remontant plus haut vers les catégories morales les plus universelles et en fixant ’la’ doctrine catholique en la matière». Opération
plus innovatrice qu’il ne semble, constate Paul Valadier qui souligne que
c’est la première fois qu’un document de cette ampleur et de cette autorité
«s’aventure sur ce terrain là».
Autre aspect de la stratégie vaticane, le pape ne s’adresse pas aux
théologiens, mais aux évêques pour leur demander ouvertement d’intervenir
et de remettre de l’ordre. Cette invitation, estime le jésuite «semble faire passer au second plan la volonté de dialogue». Paul Valadier remarque
encore qu’en proposant «la» doctrine catholique concernant la morale fondamentale, l’encycliqiue s’aventure sur un terrain délicat. Les questions abordées en ce domaine «révèlent non pas directement de la Révélation ou de
la théologie, mais d’une analyse philosophique propre. Et si, bien évidemment il y a un lien, celui-ci ne peut être qu’indirect, lien en réalité si
complexe qu’il ne permet guère de fixer, au nom d’une vérité révélée, quelles catégories employer, ni même quelle analyse philosophique consacrer
comme étant la seule conforme à une supposée doctrine catholique en la matière». Ainsi «l’encyclique risque bien de fragiliser un enseignement
qu’elle veut faire passer pour définitif». En se plaçant sur un plan thérorique et technique le magistère romain «opte donc délibérement pour certaines écoles théologiques contre d’autres».
Paul Valadier dénonce aussi le risque d’utiliser le document comme arme
contre certains théologiens. Il faut souhaiter que «personne ne s’appuie
sur ce texte pour diviser un peu plus l’Eglise».
Un tableau fort composite
Henri Tincq, toujours dans «Le Monde», a trouvé dans l’encyclique «un
tableau fort composite» une synthèse «souvent sombre et parfois confuse»
qui marque la fin d’une époque, celle du droit à la dissidence théologique,
voire à la délibération, à l’expérimentation. Une occasion manquée pour
Henri Tincq, alors que l’Eglise se défend de l’accusation d’intransigeance.
«Il est fort à parier, conclut cependant le commentateur du «Monde» que
l’Eglise saura garder ce trésor de compassion qui fait partie de son patrimoine le plus noble. Dans la lettre d’aujourd’hui, c’est donc moins le registre de la dénonciation qui marquera le plus que cette impuissance à proposer à l’homme d’aujourd’hui – chrétien ou pas – des modes d’emploi autres
que la répétition de la Loi, à prendre la mesure des diversités et des
changements culturels, à lire, enfin, toutes les recompositions de la société.»
Jean Paul II vise plus haut
A la une du «Figaro», Georges Suffert loue lui l’initiative du pape.
«Les multiples censeurs que Jean Paul II agace (…) et qui attendaient
l’homme de Cracovie escopette en mains» en sont pour leur frais: «Jean Paul
II vise plus haut, beaucoup plus haut: il s’interroge simplement sur les
rapports entre la vérité et la liberté». Georges Suffert reconnaît qu’»il
n’existe aucune réponse correcte à ces multiples problèmes qui font désormais des chapelets de bulles à la surface de l’histoire contemporaine. Si
l’on veut trouver des solutions, il faut prendre un peu d’altitude; làhaut, l’air est plus frais et la foule moins nombreuse». «On attendait un
père Fouettard; on découvre un homme qui continue à prêcher l’Evangile»,
conclut Georges Suffert.
Machine de guerre doctrinale
François Devinat dans «Libération» parle carrément lui de «machine de
guerre doctrinale à moultes détentes». «Libé» constate que «pour le Sysiphe
de la rédemption morale qu’est Jean Paul II, «Veritatis splendor» constitue
donc de toute évidence l’une des grandes colonnes du temple de ce pontificat.» Commentaire plus nuancé d’Emile Poulat dans ce même journal qui rappelle que «pour l’Eglise, les errements de la culture contemporaine ont
conduit à appeler un mal un bien. Et c’est d’autant plus grave que les
théologiens moralistes apparaissent contaminés ou troublés. Sur ce point
l’encyclique va manifestement ouvrir un débat de fond». Et le sociologue de
rappeler que ce débat autour de la liberté et du primat de la conscience
n’est pas neuf. Il a déjà opposé Thomas d’Aquin (auquel le pape se réfère)
aux philosophes des lumières; il est au coeur des problèmes bioéthiques
contemporains.
Pour une éthique de la discussion
Dans «La Croix» Marcel Neusch constate que l’encyclique semble prête à
entrer dans une éthique de la discussion. En constatant que «de nombreux
moralistes catholiques se rendent compte de la nécessité de trouver des argumentations rationnelles toujours plus cohérentes pour justifier les exigences et fonder les normes de vie morale», l’encyclique reconnaît que cette recherche est légitime et nécessaire et qu’elle répond aux exigences du
dialogue avec les non-catholiques et les autres religions.
En fait deux logiques s’affrontent dans ce débat conclut Marcel Neusch:
«La première, celle de l’encyclique, emprunte la voie courte en se réclamant d’emblée à un universel déjà là, sous la figure de Dieu et de la nature humaine, dont elle estime qu’il est possible de déduire directement des
règles particulières de l’agir; la seconde s’engage dans la voie longue,
celle de la discussion, seule voie qui soit compatible avec une société aux
valeurs multiples et conflictuelles. L’éthique de la discussion n’oblige
personne à taire ses convictions. Elle oblige en revanche chacun à élucider
les raisons de ses choix et à tester leur validité face à l’autre.» (apiccip/mp)