L'avenir de l'école catholique sera difficile |  KEYSTONE, Christian Beutler
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France: l’enseignement catholique sous pression

Alors que l’Eglise catholique gère un très grand nombre d’institutions d’éducation dans de nombreux pays, l’enseignement catholique français présente une situation assez particulière. Son secrétaire général sortant revient sur les enjeux et les défis.  

Avec la revue Etudes

Philippe Delorme, qui achève son second mandat (2019-2025) comme secrétaire général de l’enseignement catholique en France, revient pour la revue Etudes sur le sens de sa mission ainsi que sur les multiples scandales et polémiques dont l’enseignement catholique est l’objet: agressions sexuelles, violences, élitisme, entre-soi… Une occasion de redéfinir ›le caractère propre’ de l’enseignement catholique français.

La situation française est particulière à partir de son histoire, explique Philippe Delorme (voir encadré). La loi Debré de 1959 reconnaît les établissements privés qui signent un contrat avec l’État et ont accès ainsi à un financement public. Par ailleurs, les établissements d’enseignement catholique dépendent d’une direction diocésaine. Chaque évêque est responsable dans son diocèse des écoles catholiques. Aujourd’hui l’enseignement catholique compte quelque 7’200 établissements pour plus de deux millions d’élèves.

Polémiques et contestations

Le secrétaire général a un rôle de communication tant vis-à-vis de l’extérieur qu’en interne, par l’accompagnement des directeurs diocésains. Il assure aussi la communication avec tous les organismes qui gravitent autour de l’enseignement catholique, fédération d’enseignants, parents d’élèves, autres institutions de formation.

«Comme nous sommes un des acteurs importants de l’éducation, la mission du secrétaire général de l’enseignement catholique a forcément des enjeux politiques majeurs», reconnaît Philippe Delorme. L’enseignement en général, et l’enseignement catholique en particulier, sont l’objet de beaucoup de controverses, et même d’attaques de certains partis politiques, entre autres de la France insoumise (LFI). 

«Certains visent à faire disparaître à terme l’enseignement privé sous contrat en général, et l’enseignement catholique en particulier.»

Son chef «Jean-Luc Mélenchon a affirmé dans La Croix qu’il ne souhaitait plus l’abrogation de la loi Debré, mais un renforcement des contraintes. Comme ils savent qu’ils ne peuvent pas nous faire disparaître d’un trait de plume, leur stratégie est plus subtile, en nous contraignant de plus en plus : en nous imposant le recrutement, en nous imposant une forme de carte scolaire… Telle est la stratégie politique de certains, qui visent à faire disparaître à terme l’enseignement privé sous contrat en général, et l’enseignement catholique en particulier.»

Philippe Delorme 
Professeur de sciences économiques et sociales, a été chef d’établissement dans les Yvelines puis en Seine-Saint-Denis, avant de devenir directeur diocésain de Créteil puis Secrétaire général de l’Enseignement catholique (2019-2025). Il est diacre permanent du diocèse de Créteil.

Des communautés entreprenantes

Après deux mandats à la tête de l’enseignement catholique, Philippe Delorme est toujours fasciné «de percevoir à quel point nos communautés éducatives sont entreprenantes, innovantes, imaginatives: il y a vraiment des richesses dans l’enseignement catholique, parfois insoupçonnables. Je suis plein d’admiration pour cet engagement, y compris celui des bénévoles.»

Faire face aux abus

Ce qui n’empêche pas les difficultés, entres autres l’épidémie de covid 19, les violences et «le scandale des maltraitances dans nos établissements qui est revenu comme un boomerang. J’étais présent lors de la présentation du rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), épouvanté de réaliser à ce moment-là combien l’enseignement catholique, dans certains lieux, avait pu trahir la promesse faite à des enfants et des jeunes, ainsi qu’à leurs familles, de les aider à se construire et à grandir.

«Face aux abus, il faudra continuer, chaque année, le travail de prévention et de signalement.»

L’affaire de Bétharram est salutaire, parce que la parole se libère, qu’elle n’a pas fini de se libérer et que je souhaite qu’elle se libère», assure l’ancien secrétaire général.

«Un point sur lequel il faudra être très attentif est certainement la vigilance dans la durée. Il y aura toujours un risque que des pédocriminels cherchent à intervenir au sein des établissements scolaires, parce qu’ils sont attirés là où il y a des enfants et des proies vulnérables. Il faudra continuer, chaque année, le travail de prévention et de signalement.»

Un avenir difficile

Pour Philippe Delorme, l’avenir s’annonce difficile. «L’évolution démographique de la France n’est pas bonne: on a perdu des élèves et on continue à en perdre. En raison de la déprise démographique, là où on était perçus comme une offre complémentaire, nous sommes devenus une concurrence. Quand un élu a dans sa commune une école publique et une école catholique, deux classes dans l’une, trois classes dans l’autre, il ne peut pas ne pas penser aux économies qu’il réaliserait si l’une des deux [écoles] fermait.»

Face à ce genre de situations, «certains pourraient être tentés, parfois, de mettre la lumière sous le boisseau, de mettre un peu en retrait le projet chrétien d’éducation que nous proposons: cette démarche est selon moi le meilleur moyen pour couler l’enseignement catholique.»

«Avant d’accueillir un élève, on accueille un enfant ou un jeune.»

Pour une éducation intégrale

Pour le secrétaire général sortant, le salut viendra de la spécificité de l’enseignement catholique. «Elle repose d’abord sur un projet dont la source est clairement l’Évangile du Christ, et un projet d’éducation intégrale des jeunes, avec cette idée forte qu’avant d’accueillir un élève, on accueille un enfant ou un jeune. Nous essayons de bâtir une alliance éducative avec l’enfant et sa famille.

La dimension religieuse fait partie du projet éducatif, mais elle ne saurait être exclusive. «Si la catéchèse qui est du domaine de la liberté de conscience doit être facultative, la culture religieuse peut être rendue obligatoire. Cela fait partie de notre projet éducatif. On ne fait pas appel à la foi, mais à la culture et à la connaissance des élèves. Or certains le contestent, au prétexte qu’ils ne savent pas faire la différence entre la culture religieuse et la catéchèse. La majorité des familles ne vont pas nous dire qu’elles nous ont choisis parce qu’il y a une éducation religieuse qui est proposée toutes les semaines, les familles qui le demandent sont une minorité.

«Des familles musulmanes nous choisissent parce qu’elles savent que, chez nous, Dieu n’est pas mis à la porte.»

Pas seulement pour l’élite

«Dans l’entretien d’inscription, les familles musulmanes nous disent clairement qu’ils nous choisissent parce que, justement, nous sommes catholiques, et parce qu’ils savent que, chez nous, Dieu n’est pas mis à la porte. À cet égard, je pense que l’enseignement catholique a un rôle fondamental d’éducation à la fraternité. Chez nous, l’accueil de la différence, qu’elle soit culturelle, religieuse, parfois physique, est une source de richesse. «

Philippe Delorme se dit très mal à l’aise avec «les établissements catholiques qui ne gardent pas les élèves pour de mauvaises raisons : parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas un niveau suffisant et que leur présence va faire baisser le niveau de l’établissement. Cela me scandalise, parce que, dans ces cas-là, on ne joue pas notre rôle.» (cath.ch/études/mp)

Et en Suisse?
En Suisse, la situation de l’enseignement catholique est assez différente de celle la France. Pour la principale raison que l’enseignement reste de la compétence des cantons. Il n’y a pas de ministère de l’éducation nationale. Les systèmes scolaires peuvent varier d’un canton à l’autre. Les écoles catholiques, le plus souvent fondées par des congrégations religieuses, ne scolarisent qu’une infime minorité d’élèves. Dans les cantons de tradition catholique, l’école publique est restée très longtemps fortement imprégnée de religion. L’association des écoles catholiques en suisse regroupe aujourd’hui 34 membres et 12 membres associés dont les statuts différent selon les cantons.
La plupart des écoles catholiques d’aujourd’hui sont issues de l’engagement des religieuses et religieux, entre autres celles et ceux ayant fuit la France lors de diverses vagues d’anticléricalisme. Rares sont celles qui sont encore dirigées par des religieux mais toutes cultivent les valeurs catholiques et leurs propres traditions, indique leur site internet.
La «valeur additionnelle» qu’offrent les Ecoles Catholiques aux parents et à leurs enfants est formulée dans la Charte des Ecoles Catholiques de Suisse. MP

L'avenir de l'école catholique sera difficile | KEYSTONE, Christian Beutler
9 septembre 2025 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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