Le théologien Carlos Alberto Libânio Christo, alias Frei Betto, est un dominicain brésilien actif dans les mouvements sociaux (wikimedia commons CC BY 3.0 BR)
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Frei Betto analyse la visite du pape François à Cuba

Madrid, 19.08.2015 (cath.ch-apic) Pour le théologien de la libération Frei Betto, la visite du pape François à Cuba évoque la rencontre de Jésus avec la foule lors de la multiplication des pains. L’étape des Etats-Unis lui rappelle de son côté l’épisode de Jésus qui chasse violemment les marchands du temple.

Frei Betto (Carlos Alberto Libânio Christo) dominicain brésilien, théologien de la libération, poète, journaliste, éducateur, romancier est un parfait connaisseur de la Révolution cubaine. Ami et conseiller des frères Castro, il est notamment l’auteur de «Fidel et la religion». Dans une interview au site espagnol «Religion Digital» Il livre le 19 août 2015 son analyse du prochain voyage du pape à Cuba.

Comme le Brésil, Cuba a le privilège de recevoir dans une période relativement brève les visites de trois papes: Jean Paul II, Benoît XVI, et maintenant François. La différence est que le Brésil est le pays comptant le plus grand nombre de catholiques dans le monde, tandis que Cuba est une nation socialiste, avec seulement 5% de catholiques baptisés parmi ses 12 millions d’habitants, relève Frei Betto.

Les visites papales à Cuba ont profondément irrité la Maison Blanche. Lorsque la visite de Jean Paul II a été annoncée, le président Bush a fait toutes sortes de pressions pour la contrecarrer. Or Jean Paul II a non seulement fait l’éloge des grandes réalisations sociales de la Révolution, «mais  est aussi devenu un grand ami personnel de Fidel Castro».

Voir la réalité cubaine

Le but du voyage du pape François était à l’origine les États-Unis. Mais il a voulu passer à Cuba où il restera trois jours. Le pape François a joué un rôle important dans le rapprochement des États-Unis avec Cuba. Le rétablissement des relations diplomatiques a abouti. Mais il manque encore, la suspension du blocus et la rétrocession à Cuba de la base navale américaine de Guantanamo, rappelle Frei Betto.

Pour les Cubains anti-castristes et les fondamentalistes américains, les bonnes relations américano-cubaines et la fin du blocus constituent un coup sévère, estime le religieux brésilien. «Maintenant, les touristes américains voient de leurs propres yeux la réalité cubaine et peuvent percevoir combien de mensonges ont été propagés par les médias au service des intérêts capitalistes, à propos de l’île où aucun enfant ou famille n’est sans abri.»

Cuba ne veut pas devenir une ‘mini-Chine’

Frei Betto reconnait la nécessité de promouvoir des réformes structurelles dans ce pays ouvert aux investissements étrangers, «mais toujours comme un moyen d’améliorer le socialisme, et de ne pas le laisser être transformé en pays capitaliste. Les Cubains ne veulent pas pour l’avenir une situation telle qu’elle est aujourd’hui au Honduras ou au Guatemala». Les papes qui ont visité Cuba ont dûment reconnu les réalisations dans les domaines de l’éducation et de la santé. «Honnêtement, on peut dire que Cuba est le seul pays d’Amérique latine qui assure à l’ensemble de sa population, les trois principaux droits de l’homme: la nourriture, la santé et l’éducation. Les Cubains préfèrent vivre dans un pays ‘pauvre sans pauvreté’ que dans une société où quelques-uns ont beaucoup, et beaucoup presque rien.»

«Le gouvernement cubain est très attentif à ces risques. Il faut savoir qu’avec l’entrée des touristes des États-Unis, viendra un affrontement entre le ‘tsunami’ consommateur et l’austérité révolutionnaire. Cuba ne veut pas devenir une ‘mini-Chine’. De nombreuses mesures sont prises pour empêcher le retour au capitalisme et à ses maux.»

‘Laudato si’

Pour Frei Betto, la visite du pape François à Cuba concrétise aussi les idées exprimées dans sa récente encyclique «Laudato si». «Cuba socialiste a toujours partagé le peu qu’il avait avec les pauvres du monde. Par exemple, aujourd’hui, des médecins et des enseignants cubains sont répartis dans plus de 100 pays, dont le Brésil.» Le symbole du blocus économique subi par Cuba exprime l’arrogance des Etats-Unis, mais il est aussi une façon très claire de montrer qu’un pays pauvre peut survivre à ce mode de verrouillage, et dire non.

Bonnes relations avec l’Eglise catholique

Selon Frei Betto, à l’heure actuelle, les relations entre l’Eglise catholique et le gouvernement cubain sont excellentes. «Dans le passé, il y avait beaucoup de tensions. Pourtant, jamais une église n’a été fermée par la Révolution ni aucun prêtre abattu. En outre, les évêques de Cuba ont à de nombreuses reprises condamné le blocus criminel imposé au pays par les États-Unis.»

L’Église catholique joue aujourd’hui un rôle important de médiation entre le gouvernement et les dissidents. Elle a contribué à la libération des prisonniers politiques. «Actuellement, il n’y a pas de prisonniers politiques à Cuba et le cardinal Jaime Ortega, archevêque de La Havane, agit comme le garant de la façon dont Cuba respecte les droits humains, en dépit d’une forte campagne internationale qui persiste à vouloir nous convaincre du contraire.»

Des Cubains très religieux mais peu pratiquants

A propos de la situation religieuse de l’île qui compte 60% de catholiques baptisés,  mais seulement 5% de pratiquants, Frei Betto souligne que Cuba, colonisé par le christianisme de la péninsule ibérique, reste très marqué par ses racines religieuses africaines. «Sur l’île, l’athéisme comme croyance populaire n’a pas pris racine, malgré les efforts entrepris par les Soviétiques.» La population cubaine est très religieuse. Le syncrétisme entre la tradition chrétienne et les religions d’origine africaine apportées d’anciens esclaves est prédominant.

Pour Frei Betto, la visite du pape à Cuba évoque la rencontre de Jésus avec la foule, pour le partage et la distribution de pains et des poissons, au bord du Lac de Tibériade. (apic/rd/mp)

Le théologien Carlos Alberto Libânio Christo, alias Frei Betto, est un dominicain brésilien actif dans les mouvements sociaux (wikimedia commons CC BY 3.0 BR)
19 août 2015 | 13:55
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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