Fribourg: Conférence sur «Défis et enjeux d’une traduction française du Coran’’
«L’Etat musulman a imposé une édition du Coran ! »
Fribourg, 12 mars 2009 (Apic) Près d’une centaine de personnes ont participé mercredi, 11 mars, à l’Université de Fribourg, à une conférence donnée par Sami Aldeeb sur le thème: «Défis et enjeux d’une traduction française du Coran». Gêné par l’existence de plusieurs éditions du Coran, «l’Etat musulman a promulgué sa propre édition du Coran et ordonnant la destruction de toute autre version», a lancé ce chercheur palestinien d’origine chrétienne.
Docteur en droit de l’Université de Fribourg et diplômé en sciences politiques de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, Sami Aldeeb est juriste responsable du droit arabe et musulman à Lausanne, depuis 1980. Il donne également des cours aux Universités d’Aix-en-Provence et de Palerme à titre de professeur invité.
Les autres éditions ont été détruites
Au cours de sa conférence, Sami Aldeeb a attesté de l’existence de plusieurs recueils du Coran, dont une seule édition a été imposée comme canonique par l’Etat musulman. «Plusieurs compagnons de Mahomet avaient leurs propres recueils du Coran, mais qui divergeaient l’un de l’autre’’, peut-on lire dans son livre intitulé «Le Coran. Texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon l’Azhar’’, paru aux Editions de l’Aire, à Vevey, en avril 2008, dont il a entretenu à son auditoire.
«Pour éviter de telles divergences, dit-il, l’Etat musulman a promulgué sa propre édition du Coran, la seule agréée, ordonnant la destruction de toute autre version qui se trouvait auprès des compagnons de Mahomet, non sans résistance de la part de ces derniers. Une première édition a été faite sous le règne du Calife Abou Bakr, le premier calife de l’islam, décédé en 634, et une deuxième sous le règne du calife ’Uthman (ou Othman, le troisième calife, ndr). C’est l’édition qui circule actuellement parmi les musulmans. On parle du Coran de ’Uthman’’.
Il n’y a pas d’unanimité quant à l’ordre chronologique du Coran
Le Coran de ’Uthman classe les 114 chapitres (sourates) du Coran en fonction de leur longueur. Certains auteurs musulmans croient que cet ordre a été approuvé par Mahomet, sur indication de l’ange Gabriel. Mais l’opinion dominante soutient que seul l’ordre des versets à l’intérieur des chapitres a été approuvé par Mahomet, alors que l’ordre des chapitres a été fixé par la commission qui a établi le Coran. On invoque le fait que des compagnons de Mahomet avaient des versions du Coran classant les chapitres de façon différente de l’ordre actuel du Coran, précise Sami Aldeeb.
Interrogé sur ce qu’il pense de cette chronologie qui ne fait pas l’unanimité, Sami Aldeeb répond qu’il ignore les raisons pour lesquelles le Coran actuel a été mis dans cet ordre. «On peut avancer l’hypothèse que l’autorité politique était intéressée par les chapitres qui comportaient des versets normatifs. On rejeta alors vers la fin les chapitres du début de la révélation ayant un caractère moraliste et poétique’’.
Le spécialiste du droit musulman souligne qu’il n’existe aucune édition du Coran en langue arabe qui classe les chapitres par ordre chronologique. «Régis Blachère a publié, en 1949-1950, une traduction du Coran intitulée: «Le Coran, traduction selon un essai de reclassement des sourates». Mais dans les éditions suivantes, il est revenu à l’ordre normal des chapitres, sans donner de raison, a-t-il remarqué.
Il avoue, cependant, que l’ordre chronologique du Coran n’est pas facile à établir.
«Il n’y a pas d’unanimité ni entre les savants musulmans ni entre les orientalistes occidentaux. La classification qui recueille le plus d’adhésion parmi les musulmans est celle que je suis, c’est celle adoptée par la commission de l’Azhar dans l’édition égyptienne du Coran en 1923, appelé Mushaf du Roi Fu’ad’’. Cette édition du Coran indique sous le titre de chaque chapitre son ordre chronologique.
L’expert en droit musulman et arabe estime, en effet, qu’actuellement son ouvrage constitue le seul Coran bilingue classé par ordre chronologique qui existe sur le marché. Car, dit-il, le classement chronologique permet de voir l’évolution de la révélation reçue par Mahomet, et de la société du temps de ce dernier. Il permet aussi de voir l’évolution des rapports entre la communauté musulmane naissante et les communautés religieuses qui existaient du temps de Mahomet.
«Je suis ce que je suis grâce à la mission…»
Chrétien d’origine palestinienne, de nationalité suisse, Sami Aldeeb affirme avoir pris contact avec le Coran dès son jeune âge. «Habitant parmi les musulmans et m’intéressant à la religion, il était normal que je lise le Coran, lequel fait partie de ma culture d’arabe, étant le premier livre en langue arabe. J’ai acquis mon premier Coran à l’âge de 16 ans, à la gare centrale des bus de Jérusalem, déclare-t-il. Mais comme je n’en comprenais rien, je l’ai vite offert à un ami musulman’’, ajoute-t-il.
Palestinien de Cisjordanie, Sami Aldeeb est né à Zababdeh, près de Jénine, en 1949. Dans ce village palestinien à majorité chrétienne, entouré de 80 villages musulmans, il relève qu’»avec nos frères musulmans, la cohabitation était parfois cordiale, parfois conflictuelle, jusqu’au sang». TS
Encadré
Sami Aldeeb reconnaît avoir été beaucoup aidé par la mission catholique en Terre Sainte. «En 1961, avoue-t-il, je suis entré au Petit Séminaire du Patriarcat latin à Beit Jala, près de Bethléem, pour devenir prêtre. Mais en 1965, j’ai été renvoyé. ’Ce garçon n’est pas normal, gardez-le au village’, écrivait alors le Père Pierre Grech, directeur du Séminaire, au curé de ma paroisse, le Père Fouad Hijazine», lance-t-il d’un ton ironique. De 1965 à 1968, il apprend le métier de tailleur chez les Pères salésiens de Bethléem. En 1970, il passe sa maturité littéraire comme autodidacte, et obtient une bourse de l’Oeuvre St-Justin de Fribourg, grâce à un prêtre dominicain, le Père Adrien Schenker. Ses études de droit à l’Université de Fribourg sont couronnées par un doctorat sur les non-musulmans en pays d’Islam, le cas de l’Egypte. Depuis 1980, il travaille comme juriste responsable du droit arabe et musulman à l’Institut suisse de droit comparé à Dorigny/Lausanne. Ces dernières années, il a donné des cours sur le droit arabe et musulman aux Université d’Aix-en-Provence et de Palerme. (apic/ts/be)