Fribourg: il y a 100 ans mourait le chanoine Schorderet (180493)
Un grand batailleur, fondateur de «La Liberté» et de l’Oeuvre de Saint-Paul
Maurice Page / Agence APIC
Fribourg, 18avril(APIC) Il y a 100 ans, le 20 avril 1893, mourait le
chanoine Joseph Schorderet. A 53 ans, il laissait derrière lui une nouvelle
fondation: l’Oeuvre de Saint-Paul, destinée à l’apostolat par la presse, et
un journal: «La Liberté». Apôtre de choc de la foi catholique et du
conservatisme, il laisse l’image d’un grand batailleur dans un siècle
encore fortement marqué par le combat idéologique.
Né en 1840 à Bulle, Joseph Schorderet grandit à l’époque du Sonderbund,
la dernière guerre civile qui secoua la Suisse et qui vit la victoire du
radicalisme. Il acquiert sa formation non pas au séminaire mais d’abord à
l’Ecole normale d’où il sort instituteur à l’âge de 17 ans. A 23 ans il
entre au séminaire. Il est ordonné prêtre en 1866. Ce fut la rencontre
intime avec saint Paul, «l’Apôtre des Gentils», qui allait décider de son
engagement. «Ma vie c’est Jésus-Christ, et mourir m’est un gain» (Ph 1,21)
Engagement qui a très tôt aussi une portée politique. En 1858, peu après la
reprise du pouvoir par les conservateurs à Fribourg, il fait partie de la
Société suisse des étudiants. Comme ses camarades, il est persuadé de la
nécessité de former une élite pour occuper les postes politiques. «Ne
séparons jamais ces deux mots: religion et patrie», écrit-il à l’époque.
Vicaire durant un an à Neuchâtel, en pays mixte, il revient à Fribourg
pour occuper le poste d’aumônier de l’Ecole normale installée à Hauterive.
A partir de 1869, il participe au «Courrier de Genève», journal créé par
Mgr Mermillod. C’est à cette époque aussi qu’il se persuade définitivement
que seul un conservatisme résolument antirévolutionnaire peut offrir le cadre requis pour une évolution homogène de la société. Les événements de la
Commune de Paris ne font que le conforter dans cette opinion. A ses yeux,
presse et politique ne sont que des moyens de servir le pays. Mais la politique de Schorderet, à la manière de celle des radicaux, est résolument offensive. Pour lui, une politique ecclésiastique défensive n’a plus aucun
avenir avec l’avènement d’une société nouvelle marquée par l’industrialisation et le développement des communications.
La création de «La Liberté», un journal de combat
Le but de Joseph Schorderet est clair: la restauration du règne de Jésus-Christ par la diffusion universelle de la Vérité. Pour cela il met en
oeuvre deux moyens, la presse et les associations catholiques populaires,
comme le «Pius-Verein». Une nouvelle tempête religieuse se prépare en effet
sur la Suisse et sur l’Europe dès l’ouverture du Concile Vatican I, le 8
décembre 1869. Tempête qui s’enflera jusqu’à l’expulsion en 1873 de Mgr
Mermillod, administrateur apostolique de Genève, de Mgr Lachat, évêque de
Bâle, et du nonce apostolique en Suisse, Mgr Agnozzi.
Durant toute cette période, Schorderet est au front. En 1871 la Suisse
catholique se dote de deux journaux: «La Liberté» à Fribourg et le «Vaterland» à Lucerne. «La Liberté» se qualifie de journal ’catholique’ sans aucune autre épithète, ce qui signifie en fait anti-libéral. Peu après se
crée aussi à Fribourg «l’Imprimerie catholique suisse» qui met à disposition les moyens techniques nécessaires à ce nouvel apostolat. Avec «La Liberté», Schorderet est réellement un précurseur, si l’on songe que «La
Croix» à Paris n’est fondée qu’en 1883. «La Liberté» est un journal de combat. Schorderet ose écrire qu’à ses yeux, saint Paul est le premier journaliste ultramontain. En 1873, «La Liberté» lance une souscription en faveur
de l’Eglise persécutée en Suisse. En deux mois, 32’000 francs sont récoltés
dans toute l’Europe.
L’Oeuvre de Saint-Paul: six jeunes Enfants de Marie
C’est à ce moment aussi que naît l’Oeuvre de Saint-Paul, deuxième volet
de l’activité du chanoine Schorderet. Quelques jeunes filles de la Congrégation des Enfants de Marie, dont le chanoine Schorderet est le directeur
spirituel, se rassemblent sous le patronage de saint Paul. Elles n’ont encore aucune idée de leur futur apostolat. L’idée germe peu à peu dans
l’esprit du chanoine sur le conseil de diverses personnes. Pourquoi ne pas
créer une Congrégation vouée à l’apostolat par la presse? Il exprime publiquement cette idée lors d’un congrès catholique à Paris. Il reçoit un accueil enthousiaste. Encore une fois les circonstances politiques vont précipiter les choses. En 1874, après la victoire des radicaux aux élections
communales à Fribourg, les ouvriers typographes de «l’Imprimerie catholique
suisse» s’agitent. Schorderet n’est pas un homme à laisser faire. Il projette de remplacer immédiatement les ouvriers révolutionnaires et blasphémateurs par les futures soeurs de Saint-Paul qu’il envoie à Lyon pour s’initier aux rudiments du métier. Eventé, ce départ fait grand bruit parmi les
typographes. Le 24 mai 1874, ils proclament la grève générale, sûrs de porter un coup décisif à l’Imprimerie catholique. Mais c’est Schorderet qui va
gagner la bataille. Ayant rapatrié les jeunes filles de nuit dans le plus
grand secret, le jour même il les envoie travailler à l’imprimerie. «La Liberté» paraît à l’heure habituelle. Vociférations des grévistes, tentatives
d’incendies, n’y feront rien. Les jeunes filles ont gagné la bataille et la
sympathie du public. L’Oeuvre se développe rapidement et connaît ses premières fondations à Ville d’Avray en 1876 et à Bar-le-Duc en 1879. De 1873
à 1878, le nombre des soeurs de Saint-Paul passe de 6 à 80. En 1892, ses
statuts définitifs sont approuvés.
Pour parler du chanoine Schorderet, il faudrait encore rappeler son activité pastorale comme confesseur à la cathédrale et recteur de la paroisse
de St-Maurice, quartier alors surpeuplé et misérable de la ville de Fribourg. «Enfant du peuple, il était demeuré l’ami du peuple. Et le canton de
Fribourg ne lui doit pas peu le triomphe final du régime populaire qui a
prévalu contre l’assaut de l’aristocratie libérale», écrit «l’Ostschweiz»
au lendemain de sa mort. Son appui fut effectivement décisif pour le régime
conservateur de Weck-Reynold, puis de Georges Python ainsi que pour la
création de l’Université de Fribourg.
Personnalité impulsive, d’allure un peu débridée, intransigeante, critique, Joseph Schorderet n’est pas un saint aux manières douces et aimables.
Il fut cependant pour Fribourg et pour la Suisse «the right man at the
right place», écrit Léon Barbey, son biographe de 1943. «Ce n’est pas en
vain que le saint qu’il a choisi pour guide a comme emblême une épée. Cette
épée il l’a reçu de ses mains, il ne l’a pas laissé se rouiller». (apic/mp)
Encadré
L’Oeuvre de Saint-Paul aujourd’hui
Aujourd’hui, l’Oeuvre de Saint-Paul est toujours active dans le domaine de
l’apostolat par la presse. Elle regroupe 130 religieuses qui travaillent
dans de nombreux pays. La maison mère a été maintenue à Fribourg où les religieuses sont actives à l’imprimerie, à la librairie, aux éditions et à la
bibliothèque St-Paul. Les autres établissements sont Bar-le-Duc (1879) Paris (1882) et Bourg-en-Bresse (1990) en France, Yaoundé au Cameroun depuis
1949, Fianarantsoa (1963) et Antsirabé (1991) à Madagascar depuis 1963,
ainsi que Hô Chi Minh-Ville au Vietnam depuis 1973. «L’Oeuvre de Saint-Paul
a pour but de faire, (…) une partie de ce qu’aurait fait l’apôtre des
Gentils s’il eut vécu de nos jours», écrivait Joseph Schorderet, le 10 mai
1877.
Pour marquer le 100e anniversaire de la mort du chanoine Schorderet, une
messe solennelle sera célébrée le samedi 24 avril à 15h30, à l’église du
Christ-Roi à Fribourg. La présidence sera assurée par Mgr Pierre Mamie,
évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Le Père Jean-Dominique
Barthélemy, professeur à l’Université de Fribourg, et fin connaisseur de la
vie de Joseph Schorderet, prononcera l’homélie. A l’issue de la cérémonie,
le personnel de l’Imprimerie et des Librairies St-Paul, les paroissiens du
Christ-Roi et tous les amis sont invités à un apéritif-buffet à la salle
paroissiale. (apic/mp)