Fribourg: Le fondateur du «Tremplin» quitte non sans regret l’institution après 25 ans
Pour reprendre les paroisses de Saint-Pierre et de Villars-sur-Glâne
Pierre Rottet, Agence Apic
Fribourg, 17 août 2006 (Apic) Après 25 ans passés au «Tremplin», à Fribourg, pour accompagner les toxicomanes depuis 1982, l’abbé André Vienny quitte l’institution qu’il a fondée. Dès le mois de septembre 2007, il reprend les rênes des paroisses de Saint-Pierre et Villars-sur-Glâne, appelé à remplacer le titulaire, l’abbé Marc Donzé, nommé vicaire épiscopal pour la partie francophone du canton.
Après avoir soutenu durant vingt-cinq ans les toxicomanes fribourgeois dans leur quête de l’abstinence, l’abbé André Vienny s’en va. Mais son centre demeurera. Le Tremplin a pour but la réinsertion socioprofessionnelle de personnes toxicodépendantes. Il a été créé en 1982 avec pour idée première: mettre sur pied un centre pour jeunes en difficultés. L’abbé Vienny quitte Le Tremplin à une période charnière: le canton est en pleine réflexion sur la réorganisation des structures qui prennent en charge les personnes dépendantes.
Outre sa fonction de directeur du Tremplin, André Vienny suit entre 60 et 70 toxicomanes dans un rôle d’assistant social. L’Apic l’a rencontré. Interview
Apic: Vous quittez Le Tremplin. pour succéder à l’abbé Marc Donzé. Pas de gaîté de coeur sans doute.
Abbé Vienny: Je me posais la question depuis 2 ou 3 ans déjà, après 25 ans passés au Tremplin. Dans mon esprit, j’avais comme alternative de quitter l’institution, ou de poursuivre. mais jusqu’à 65 ans. J’ai évoqué tout cela plusieurs fois avec les différents évêques du diocèse, y compris Mgr Genoud. En fait, personne ne m’a demandé de partir du Tremplin.
Apic: On vous a donc laissé le choix.
Abbé Vienny: Exactement. Rien ne m’a été imposé. Je précise avoir été approché, par l’intermédiaire du vicaire épiscopal, Mgr Jacques Banderet, qui m’a demandé si je pouvais me rendre disponible pour les paroisses Saint-Pierre, à Fribourg, et Villars-sur-Glâne, en raison du départ du titulaire, l’abbé Marc Donzé. La démarche de Mgr Banderet m’a interpellé. Dans un premier temps, il a été question de reprendre Saint-Pierre en septembre 2006 déjà. Ce qui n’était évidemment pas possible. Impossible en effet de quitter du jour au lendemain Le Tremplin, ne serait-ce que pour préparer ma succession. De plus, en raison de problèmes avec l’Etat de Fribourg sur l’avenir du Tremplin, cela aurait donné l’impression que le capitaine quittait le navire en laissant ses passagers. Finalement un arrangement a été trouvé. Et la transition ne se fera pas avant l’automne 2007.
Apic: Vous retrouvez une paroisse. Un retour aux sources en quelque sorte.
Abbé Vienny: Pour être franc, je ne pensais jamais retourner en paroisse, comme je l’ai fait à mes débuts, durant neuf ans au Schoenberg.
Apic: Vous avez été disons un électron libre au sein de l’Eglise. La réadaptation ne sera peut-être pas aisée?
Abbé Vienny: J’en suis conscient. Il y a certes des choses qui n’ont pas changé en 25 ans. Mais la pastorale comme telle, ainsi que les mentalités ont changé. Cela dit, je n’ai pas que Le Tremplin aujourd’hui. Je m’occupe aussi de l’aumônerie cantonale de la fraternité des malades et handicapés pour le canton, je suis également aumônier cantonal pour les Conférences Saint-Vincent de Paul, sans parler de l’aumônerie de Caritas Fribourg.
Apic: Des fonctions qui ne sortent pas du social. bien loin de la pastorale en paroisse
Abbé Vienny: Je ne m’en suis pas éloigné non plus. L’intégration ne me posera pas problème. Je n’ai aucune appréhension. En d’autres termes, je n’ai jamais «perdu la main», même si je suis un peu loin de la «cuisine paroissiale». J’imagine qu’il me faudra un petit temps d’adaptation. J’ai d’autant moins peur que l’équipe de Saint-Pierre est réellement bien en place. J’imagine plutôt une coresponsabilité dans l’équipe, même si j’en serai le responsable, le modérateur.
Apic: Vous allez donc reprendre une activité purement pastorale, avec des règles bien définies par l’Eglise. J’imagine que ces règles, au Tremplin, ont été transgressées à la fois par le responsable et l’abbé que vous êtes. qui ne sont pas forcément toujours en harmonie avec ce que défend Rome.
Abbé Vienny: Dès le début, j’ai été confronté à ces problèmes là. Juste après le lancement du Tremplin, la question du sida était au centre des préoccupations de la société. Dès le début, frileusement d’abord, j’en conviens, nous avons mis des préservatifs à la disposition des gens confrontés au problème de la toxicomanie. Tous nos assistants sociaux avaient un stock de préservatifs à disposition. Jusqu’au jour où je me suis dit: «de quel droit je vais ’régulariser’» les rapports sexuels des personnes. Les obliger à quémander un préservatif»?. Résultat: nous avons mis des préservatifs dans plusieurs endroits de la maison. J’en ai du reste parlé avec la hiérarchie de l’Eglise qui est à Fribourg, qui s’est montrée d’accord avec moi.
Apic: En milieu de toxico dépendance, il n’y a pas que le préservatif. mais aussi le problème de l’avortement qui peut surgir, pour de multiples raisons.
Abbé Vienny: Très souvent, nous sommes confrontés à des filles qui arrivent enceintes chez nous, sans même savoir qu’elles attendent un enfant. Combien de fois sommes-nous alors dans l’obligation de faire au Tremplin un test de grossesse. Bien souvent, elle sont enceintes de 4 ou 5 mois, donc la question ne se pose plus. Le problème se réglant par lui-même, naturellement. Se pose en revanche la question de l’accompagner: «Que vas-tu faire avec ce bébé». Ce sont des filles qui ont consommé jusqu’au moment où elles prennent conscience qu’elles sont enceintes. En d’autres termes, le bébé a été en partie nourri depuis le début de la grossesse par la consommation de drogue de la maman. Je connais des cas ou la fille a encore consommé de l’héroïne juste avant d’accoucher. Ce foetus a été sous l’effet du produit. Autrement dit, au moment de venir au monde, ce bébé est en manque. Ces enfants sont ainsi d’emblée très marqués par ce qu’ils vivent. Ils rattraperont certes cela petit à petit. Mais vers 6 ou 7 ans.
Apic: «Des gosses toxicos»…
Abbé Vienny: Tout à fait. Et je ne parle pas des bébés nés avec le sida. J’ai vu mourir des bébés du sida à l’âge de 3 ans. Moins aujourd’hui, car on arrive à plus ou moins préserver le foetus.
Apic: Vous avez donc été en contradiction avec les préceptes de l’Eglise sur la contraception, mais aussi sans doute sur l’avortement depuis que vous êtes au Tremplin.
Abbé Vienny: Oui. Mais j’ai toujours pensé que Jésus est plus haut que l’Eglise. Les préceptes de l’Eglise sont pour moi un idéal vers lequel on doit tendre, mais il y a des situations où cela n’est pas possible. Je souhaiterais que lorsqu’il en parle, de ces préceptes, le Vatican parle d’absolu, en évoquant des règles de morales, sachant que tout le monde ne peut l’atteindre. Par exemple, il est inconcevable de laisser une femme handicapée mentale cocaïnomane garder son bébé alors qu’elle est tombée enceinte d’un toxico au moment où il faisait une overdose… J’ai toujours agi au plus proche de ma conscience. Une situation dramatique. La fille était à l’époque dans une famille d’accueil. Nous étions tous contre l’interruption de grossesse. Mais il a bien fallu s’y résoudre. «On ne peut pas laisser venir au monde un bébé comme cela». Je me souviens avoir téléphoné à ma hiérarchie, qui m’a dit de faire au mieux de ma conscience. C’est dire que de telles choses me sont arrivées quelques fois.
Apic: Je suppose que cela coûte pour un prêtre de prendre de telles décisions.
Abbé Vienny: Je n’ai pas dormi pendant une semaine. C’est épouvantable.
Apic: Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le problème de la toxicomanie, par rapport à 25 ans?
Abbé Vienny: Il y a 25 ans, c’était le souci numéro un des Suisses, la grosse crainte des parents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, non que les parents n’y pensent plus, mais le phénomène s’est aujourd’hui banalisé. L’état de santé des toxicomanes s’est aussi nettement amélioré. D’une certaine manière, on ne voit plus ou peu ces sortes de «loques» qui circulent en ville. Ils sont en meilleur état physique et passent pratiquement inaperçus. La mentalité a changé, le public s’est habitué. Le souci numéro un des Suisse est plus le chômage et le travail. Reste que le phénomène de base demeure et que la drogue touche de plus en plus de jeunes, 13 à 14 ans, qui commencent au cannabis. Ce qui pose problème: le cannabis n’étant plus du tout le même produit par rapport à ces dernières années.
Apic: Cannabis: drogue dure ou douce.
Abbé Vienny: J’ai toujours été un défenseur du cannabis, mais de celui qu’on consommait il y a 4 ou 5 ans. Pas celui qui se trouve actuellement sur le marché. Avec ce produit-là, un jeune aurait tort de dire que le cannabis ne provoque pas de dépendance. La dépendance le guette invariablement. Je ne connais pas de toxico à la poudre qui n’ait pas commencé par les joints. Le taux de THC des joints de 1968 était d’environ 0,4%. Plus aucun rapport avec celui de notre époque. A l’heure actuelle, avec un taux de THC qui peut aller jusqu’à 40%, je considère le cannabis comme de la drogue dure.
Apic: Les grandes industries pharmaceutiques se sont-elles un jour penchées pour apporter des solutions autres que la méthadone, pour venir en aide aux toxicos?
Abbé Vienny: A ma connaissance, non. Je ne crois pas qu’il y ait une recherche dans le domaine pour tenter de guérir de la toxicodépendance.
Apic: Laxisme?
Abbé Vienny: Vaste question. Une chose est certaine, on est loin de se pencher sur le véritable problème.
Apic: On a l’impression qu’on rencontre plus de dealers que de policiers sur les marchés de la drogue des villes en Suisse.
Abbé Vienny: Vous arrêtez 10 dealers aujourd’hui, 15 autres occuperont demain la place pour les remplacer. La société est presque impuissante face au problème. Le marché est quadrillé comme sur une carte de géographie. Maintenant, on peut faire disparaître les scènes ouvertes de la drogue, et avec elles le phénomène. Mais les pratiques, elles, demeureront. de façon cachées, moins visibles, donc pas contrôlables. Je suis contre les scènes ouvertes, mais si «on nettoie trop», le risque est grand d’avoir deux fois plus d’accidents.
Apic: Votre successeur aux commandes du Tremplin sera-t-il un prêtre?
Abbé Vienny: Non. Reste que l’aspect spirituel est important et doit rester présent. J’insisterai auprès de l’Eglise pour qu’elle envoie en mission un agent pastoral qui oeuvre au Tremplin. Je vais tout faire pour que les utilisateurs aient toujours la possibilité d’aborder les questions spirituelles. PR
Encadré
Trajectoire d’un abbé en quelques lignes
Né en 1948 à Fribourg, il a passe son enfance à Saint-Aubin dans la Broye fribourgeoise. Etudes de théologie à Lyon à la fin des années 1960 ou il se consacre aussi à la psychologie. Participation à l’association «Le Nid» qui tente de sauver des prostituées de leur situation et visites de prisons qui marquent le jeune homme qu’est encore André Vienny. Retour a Fribourg au début des années 1970, et ordination en 72. L’abbé Vienny sera ensuite nommé vicaire au Schoenberg durant neuf ans, avant de créer «Le Tremplin» en 1982, sous l’égide de Caritas. Le Tremplin devenant une fondation autonome en 1984. (apic/lib/sb/pr)