Un génocide dont la mémoire ne doit pas s’effacer

Fribourg : Les Rwandais tutsis commémorent le génocide de 1994

Fribourg, 11 avril 1999 (APIC) Quelque 150 Rwandais, essentiellement tutsis, venus de toute la Suisse romande ont célébré samedi à Fribourg le cinquième anniversaire du génocide de 1994. Cinq ans après le drame qui a causé plus d’un million de morts entre avril et juillet 1994, les mots restent encore souvent impuissants pour exorciser la douleur. Les Tutsis veulent surmonter la haine, mais ils demandent justice.

Ni meeting politique, ni colloque scientifique, la rencontre de Fribourg entendait surtout être un moment de mémoire et de deuil. La manifestation s’est tenue à l’écart des propos haineux ou revanchards, mais orateurs et participants ont aussi fait l’impasse quasi totale sur la politique du régime au pouvoir au Rwanda depuis 1994.

«Je me souviens du Rwanda, je ne sais plus où j’en suis… Etre Tutsi, disaient-ils, est un crime que seule la mort peut punir. Le Hutu qui refuse de tuer ne mérite pas la vie». La complainte du supplicié chantée en kinyarwanda au début de la manifestation illustre bien les sentiments des Rwandais réunis samedi à la Grenette. Perpétuer la mémoire des disparus est un devoir impératif, pour leur redonner leur dignité, relève Gilbert Tshondo, président de la section suisse d’Ibuka Mémoire et Justice. Le génocide du Rwanda a été sans conteste possible un des pires crimes contre l’humanité du siècle. Planifié, préparé, il a fait en trois mois un million de victimes souvent tuées de manière atroce à coup de machette ou de gourdin. Quelques photos épinglées au mur, dont la vue est difficilement soutenable, en rappellent toute l’horreur. La communauté internationale, qui n’a rien entrepris de sérieux pour empêcher le déclenchement du génocide, porte une lourde responsabilité, martèle le président.

Les Tutsis affirment aujourd’hui avoir surmonté le désespoir et vouloir reconstruire leur pays. Ils réclament cependant justice. Trop de criminels de guerre circulent encore librement dans les pays occidentaux, en France, en Belgique, en Suisse, ou encore dans les autres pays africains. «Nous les dénoncerons, nous les poursuivrons», insiste Gilbert Tshondo. Les Rwandais de Suisse se félicitent en particulier du procès du bourgmestre de Mushubati qui doit s’ouvrir le 12 avril à Lausanne, devant la justice militaire helvétique. La Suisse est le premier pays occidental à faire ce pas.

Canisius Kanamura, chargé d’affaires de l’Ambassade du Rwanda à Genève, est venu prêcher la réconciliation nationale. Il souligne que le Rwanda veut une «justice juste» qui ne soit pas basée sur la vengeance. «Mais cette justice n’est pas facile, parce que s’il y a eu un million de victimes, il y a eu peut-être un demi-million de bourreaux.»

L’Eglise et les Pères blancs: les grands coupables ?

Dans un réquisitoire assez violent, le Neuchâtelois Luc Pillionnel, dont une grande partie de la belle-famille a été massacrée, s’en prend à l’attitude de l’Eglise catholique. Coupable à ses yeux d’avoir non seulement marché main dans la main avec les puissances coloniales mais encore d’avoir attiser les haines ethniques. Non contents de spolier les Rwandais de leurs terres, les Pères Blancs les auraient privés de leur culture et de leur religion.

Quant à l’évêque suisse de Kabgayi, Mgr André Perraudin, en soutenant la majorité hutue lors de la révolution de 1959 qui lui permit de prendre le pouvoir, il aurait donné ainsi le signal des massacres successifs des Tutsis de 1964, 1973, 1991 et enfin 1994. Luc Pillionnel n’est pas plus tendre sur l’attitude actuelle de l’Eglise. Elle mettrait en avant la notion de pardon en oubliant celle de justice. Pour les victimes, cela ne peut être compris que comme un soutien aux tueurs, tranche Luc Pillionnel. Réactions d’approbation dans l’assemblée où il y a pourtant l’un ou l’autre prêtre.

Beaucoup plus prudent, le conseiller national socialiste fribourgeois Erwin Jutzet a tenu à faire acte de présence pour soutenir le travail de deuil et la volonté de justice des Rwandais. Il promet d’essayer de faire bouger les choses à Berne pour que la Suisse aide à nouveau davantage le Rwanda. (apic/mp)

11 avril 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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