Mère Javouhey, inlassable malgré les incompréhensions
Fribourg: Les Soeurs de St Joseph de Cluny s’appuient sur l’engagement de leur fondatrice
Bernard Bovigny, Apic
Fribourg, 26 janvier 2007 (Apic) Les Soeurs de Saint Joseph de Cluny fêtent en 2007 leur bicentenaire. Cette congrégation, qui connaît des difficultés de renouvellement en Occident, s’appuie encore et toujours sur le témoignage en paroles et en actes de leur fondatrice Anne-Marie Javouhey, dont le principal fait d’armes aura été de libérer des centaines d’esclaves en Guyane.
«Vous avez dit comment déjà . Anne-Marie Javouhey? Connais pas.» Cette réponse, les soeurs de Saint Joseph de Cluny l’auront entendue maintes fois lorsqu’elles évoquent le charisme de leur fondatrice à l’occasion du bicentenaire de leur congrégation.
Bien moins connue que François d’Assise, Ignace de Loyola, Vincent de Paul ou Thérèse d’Avila, également fondateurs de congrégation, Anne-Marie Javouhey a cependant connu une destinée remarquable en tous points. Et ses actes, tout autant que ses convictions, méritent d’être beaucoup mieux connus. Les religieuses de Saint Joseph de Cluny, confrontées à la misère et parfois à l’incompréhension dans les pays du Sud, et préoccupées par un important manque de relève en Europe notamment, se réfèrent toutes à «Mère Javouhey» pour orienter leur mission et chercher des réponses aux situations parfois inextricables qu’elles rencontrent sur le chemin de leur vie. Chacune de ses paroles, de ses épreuves, chacun des actes et même des doutes qui ont marqué sa vie constituent autant de bornes confirmant le chemin de route d’une communauté ou la guidant sur des voies qu’elle n’avait pas du tout envisagées.
Aller jusqu’au bout de ses convictions
Le contexte historique dans lequel a vécu la jeune Anne est déjà tout un programme. Cette fille d’agriculteurs a dû apprendre à faire fi des interdits pour aller au bout de ses convictions. Les prêtres sont poursuivis par le pouvoir politique durant la Révolution française? Elle se fait un devoir d’assurer elle-même l’enseignement de la catéchèse et de cacher les hommes d’Eglise. Puis, après avoir consacré sa vie au Seigneur à 19 ans, lors d’une cérémonie secrète célébrée dans la grange familiale, elle cherche sa voie durant plusieurs années auprès de plusieurs communautés religieuses, sans succès. Son conseiller spirituel, le trappiste Dom Augustin de Lestrange, voit en elle le charisme d’une fondatrice de congrégation.
La France connaît alors une période de stabilité et de liberté contrôlée envers l’Eglise catholique après les troubles de la Révolution. En 1806, l’empereur Napoléon Ier approuve la création de Soeurs de St-Joseph. Anne-Marie, ses trois soeurs et cinq autres jeunes filles prononcent leurs voeux le 12 mai 1807 à Chalon-sur-Saône. Cet acte est considéré comme l’événement fondateur de la congrégation.
Des débuts difficiles
Les débuts ne seront pas tout roses. Les années de la Révolution ont laissé des traces et la petite communauté, livrée à elle-même, doit faire face au dénuement et à l’incompréhension d’une partie de la population. Montée à Paris pour ouvrir une école, elle devra déménager à de maintes reprises pour ne pas avoir pu payer son loyer. Les religieuses mangent leur pain noir. Devant toutes ces difficultés, un groupe va même quitter la fondatrice. L’école des soeurs, qui a adopté la méthode d’enseignement dite de Lancaster basée sur la participation active des élèves plus doués au service de leurs camarades, connaît un franc succès. Mère Javouhey devient très rapidement célèbre et le gouvernement français va solliciter la congrégation pour ses territoires d’Outre-Mer.
La congrégation n’aura pas eu besoin de chercher longtemps pour définir sa vocation missionnaire. Plusieurs soeurs embarqueront en 1817 pour l’Ile Bourbon, appelée aujourd’hui Ile de la Réunion.
Première ordination de prêtres africains
Anne-Marie Javouhey se rend pour sa part de 1822 à 1824 au Sénégal, en Gambie et en Sierra Leone. Elle éprouve alors pour l’Afrique un amour qui ne la quittera jamais. Elle se bat dans ces pays en faveur de la promotion humaine, du développement du christianisme et de la condition féminine. Son engagement inlassable aboutira, en 1840, à l’ordination sacerdotale de trois Sénégalais. Il s’agit ni plus ni moins, selon la congrégation, de la première ordination de prêtres d’origine africaine.
La période de 1825 et 1828 a été féconde pour la congrégation. Les statuts et règles sont approuvés en 1827. Près d’une trentaine de maisons forment alors le corps de la congrégation, alors que les dix premières années n’avaient pratiquement été marquées que par des essais infructueux.
En 1828, Anne-Marie se rend en Guyane avec un groupe de jeunes religieuses. Elle implantera à Mana une entreprise agricole, projet auquel les colons n’étaient jusqu’à maintenant pas parvenus. Cette initiative s’insère dans le projet du gouvernement français, adopté en 1817, de colonisation de la Guyane, afin de compenser la perte des anciennes colonies d’Amérique. Pour ce faire, il avait recruté des cultivateurs et ouvriers européens pour défricher le terrain et entretenir le bétail. Deux religieuses de Saint-Joseph de Cluny avaient débarqué sur les rives de la Mana, en 1823, pour desservir l’hôpital destiné au personnel de la colonie française.
Devant l’échec des travailleurs européens, le ministère des colonies demande en 1827 à Mère Javouhey de reprendre à son compte le projet de colonisation en Guyane. Elle y restera jusqu’en 1833. Malgré des conditions climatiques très dures pour des Occidentaux, sa communauté y construit des bâtiments, y compris une chapelle, et y installe une entreprise agricole.
Privée des sacrements par son évêque
De retour en France, Anne-Marie est confrontée à de nombreuses épreuves, notamment un long et douloureux conflit avec l’évêque d’Autun, Mgr d’Héricourt, qui voulait diriger la congrégation à sa manière. Devant le refus de Mère Javouhey, l’évêque ira jusqu’à la priver des sacrements durant son séjour en Guyane.
Un autre projet, en Guyane, va mobiliser une partie de la congrégation: la préparation à la liberté de 500 esclaves affranchis. Dès 1830, le gouvernement français va adopter dans son programme de colonisation l’amélioration de la condition des esclaves noirs, puis la fin du régime de l’esclavage. Or, rendre la liberté aux 500 noirs employés dans des ateliers publics à Cayenne n’est pas envisagé sans un certain effroi. Rien ne les y préparait. Le gouvernement français a donc décidé d’employer ces esclaves dans l’entreprise agricole de Mana, et de leur assurer en même temps une formation et une éducation qui leur permettront d’affronter les difficultés de la vie en société libre.
En 1835, le gouvernement français adopte un projet visant à accompagner la libération de quelque 500 noirs employés à Cayenne dans des ateliers publics. Il confie alors à Mère Javouhey la mission de leur prodiguer une éducation en vue de leur permettre de jouir, par la suite, de leur complète liberté «sans péril pour la sécurité publique». La religieuse accepte, mais en exigeant l’isolement de son site de Mana afin d’éviter tout contact avec le reste de la population qui leur serait nuisible, ainsi qu’une indépendance absolue dans la direction de la petite colonie. Ce qui lui sera accordé.
520 anciens esclaves à «éduquer»
En décembre 1835, Mère Javouhey s’embarque pour Mana en compagnie de huit autres soeurs. Le gouvernement leur confia d’abord 50 noirs, puis plusieurs centaines d’autres, de tous âges et des deux sexes, par détachements successifs, entre 1836 et 1837. Il y en aura au total 520. Cette population était si redoutée à Cayenne que le capitaine de la dernière goélette transportant 137 individus avait réclamé des gendarmes à son bord. Mère Javouhey, confiante, donna pour seule escorte l’une de ses filles. Et le voyage se passa sans aucun problème.
Le projet des religieuses de St-Joseph de Cluny marcha à l’étonnement de tous. Cette population marquée par une très mauvaise réputation – beaucoup d’entre eux étaient des repris de justice- se montra honnête, paisible et laborieuse. Le 21 mai 1838 marqua la mise en totale liberté des 169 premiers anciens esclaves. Mère Javouhey quitta Mana en 1843, alors qu’il ne restait plus que 80 individus à éduquer.
Jusqu’à sa mort, le 15 juillet 1851, elle ne cessa de lutter pour que sa congrégation demeure fidèle aux intuitions qui l’ont fait naître. La reconnaissance de la Congrégation des Soeurs de St Joseph de Cluny par le pape n’aura lieu que trois ans après le décès de sa fondatrice. Anne-Marie Javouhey a été béatifiée par le pape Pie XII le 15 octobre 1950. BB
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(apic/bb)