Gabon: Crise économique, pauvreté, misère et insécurité dénoncées par un prêtre

Portrait de l’»enfant terrible de l’Eglise catholique gabonaise»

Par Ibrahima Cissé, envoyé spécial de l’APIC

Libreville, 24 mars 2003 (Apic) L’abbé Noël Ngwa Nguéma, curé de la paroisse de Nzeng Ayong, au nord-est de Libreville, la capitale du Gabon, est inquiet. L’avenir du pays, la montée de la délinquance et du banditisme «organisé», la misère et la pauvreté grandissantes des populations, le préoccupent. Portrait de l’»enfant terrible de l’Eglise catholique gabonaise».

A son domicile dans le quartier «Sociga» (Société des cigarettes du Gabon) où il nous reçoit, il s’exprime le coeur lourd. «La population est de plus en plus pauvre. Il y a des restrictions de salaires, une augmentation sans cesse du coût de la vie et une chute du niveau de vie».

Les yeux cachés derrière une paire de lunettes en plastique, il poursuit: «Les gens meurent de mal nutrition. Ils n’arrivent pas à se soigner. L’Eglise organise des quêtes dans les paroisses pour essayer de soutenir les plus démunis. Le peuple chrétien étant pauvre ici, il est difficile de demander plus».

La scolarité des enfants? «C’est pire que jamais», estime-t-il, en déplorant le fait que les pauvres ne peuvent plus envoyer leurs enfants à l’école, l’éducation n’étant pas gratuite dans le pays. «Chaque année, poursuit-il déçu, l’Etat se targue d’octroyer une aide sociale aux familles pauvres pour leur permettre de préparer la rentrée scolaire. Or, «cette aide ne se limite qu’à une somme dérisoire de 1’000 francs CFA (environ 20 frs) par famille et non par enfants», relève-t-il. Avant de lâcher un profond soupir de désespoir: «C’est la descente aux enfers, une peur du lendemain, une situation pénible pour la population».

La révolte est latente

Connu pour son engagement dans la lutte pour la liberté d’expression et la démocratie, ce qui lui a valu plusieurs années de prison dans les années 80, il remarque que le gouvernement ne fait pas grand chose pour changer la situation. «Il s’enrichit de plus en plus, continue de détourner et de gaspiller les ressources du pays. Rien ne se fait en dehors des slogans creux», ajoute-t-il encore, avant de poursuivre: «La révolte est latente». Selon lui, «tous les ingrédients sont réunis pour un scénario à la Côte- d’Ivoire».

Interrogé sur l’image et la place de l’Eglise dans la vie politique gabonaise, l’abbé Noël Ngwa Nguéma estime que celle-ci «n’est pas bien perçue. Les opposants au pouvoir politique lui reprochent d’avoir fait échouer leur stratégie de prise du pouvoir après la conférence nationale de mars à avril 1990». L’archevêque de Libreville, Mgr Basile Mvé Engone, qui en avait présidé les travaux, est considéré depuis par les adversaires du président Bongo comme un homme de pouvoir et celui qui a permis au président Bongo de retourner la situation en sa faveur. (IBV)

De la clandestinité au grand jour

L’abbé Noël Ngwa Nguéma ne se cache pas d’être «un faiseur de troubles». Depuis plus de 30 ans, il est engagé dans la lutte politique pour les libertés démocratiques et le respect des droits de l’homme au Gabon, son pays.

Ancien étudiant en théologie, en philosophie et en lettres à l’Université de Strasbourg, pendant 7 ans (1961-68), il y a été ordonné prêtre le 28 juin 1964. Ses relations «tendues et conflictuelles» avec le régime du président Omar Bongo ont commencé en 1968. Attiré et «séduit» par la promesse faite par celui-ci de démocratiser son pouvoir, auquel il venait d’accéder après la mort du président Léon Mba, il décida de revenir au bercail pour se mettre à la disposition des nouveaux dirigeants. Mais ayant constaté que les réformes politiques promises «ne se mettaient pas en route» et que «le régime ne se démocratisait pas», il entra alors en rébellion. «Les premières difficultés avec le pouvoir ont commencé en 1972-73», commente-t-il.

En 1981, poursuit le prêtre, «j’ai été approché par un groupe de hauts cadres de l’administration gabonaise. Ceux-ci m’ont demandé de mettre en place une organisation politique, le Mouvement de redressement national Morena. Quelques temps après, ils ont été appréhendés, puis emprisonnés», se souvient-il, avant de relever: «J’ai dénoncé et condamné ces arrestations».

Prison

En octobre 1982, lui et un groupe d’une dizaine de personnes ont été arrêtés puis incarcérés. «Nous avons récolté un an de prison ferme, mais le président Bongo a fait appel: conséquences: 4 ans d’emprisonnement». «Pendant les deux premières années, nous étions enfermés 24h sur 24, et nous dormions par terre. Au bout de la 2e année, les conditions de détention ont été assouplies. Nous avons ensuite bénéficié d’une remise de peine, en 1986.

Trois ans plus tard, poursuit encore l’abbé Ngéwa Nguéma, «les choses ce sont accélérées: plus question d’agir dans la clandestinité, sinon au grand jour, car mous n’avions plus rien à craindre ni à perdre».

La conférence nationale de mars à avril 1990, en même temps qu’elle a consacré l’instauration du multipartisme en rejetant le système de parti unique, a été une victoire pour l’enfant terrible de l’Eglise gabonaise. Pour autant, il n’a pas baissé la garde. Il publie un «Misamu» (les nouvelles en langue locale), un journal au vitriol contre le gouvernement. Tantôt suspendu, tantôt assigné en justice, cette publication bi-mensuelle a reçu, en avril 2001, un prix du festival médias Nord-sud de Genève.

Avec le président Bongo

Malgré ses positions radicales contre le régime, l’abbé Noël Ngwé Nguéma entretient des «relations avec le président Omar Bongo». Les deux hommes se voient parfois. A la demande du prêtre ou du chef de l’Etat. «Il me reçoit s’il veut passer certains messages, mais parfois il fait le mort quand je le sollicite. «Nos entretiens sont parfois tendus», affirme-t-il, tout en soulignant: «Il (le président Bongo) sait jusqu’où aller avec moi, et moi aussi, je sais jusqu’où aller avec lui». Quant à l’Eglise catholique, elle garde une discrétion certaine sur les engagements de ce prêtre. Avec un oeil pudiquement fermé. (apic/ibc/pr)

24 mars 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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