Maître spirituel et scientifique à la portée universelle

Genève: Cinquantenaire de la mort de Teilhard de Chardin, le 10 avril

Genève, 22 mars 2005 (Apic) Teilhard de Chardin (1881-1955), jésuite français, scientifique et maître spirituel, est mort à New York le 10 avril 1955. On y commémore le cinquantenaire de sa mort les 7 et 8 avril prochains, en présence du président français Jacques Chirac. Un texte signé Richard Brüchsel, spécialiste de Chardin, rend ici hommage au théologien.

Richard Brüchsel, jésuite suisse qui vit à Berne, se penche sur l’itinéraire du scientifique et mystique, dans la Revue Choisir d’avril, entièrement consacrée à Pierre Teilhard de Chardin. L’Apic publie une adaptation d’un des textes de ce spécialiste reconnu de la pensée de Chardin.

Pierre Teilhard de Chardin, géologue, paléontologue, théologien, est l’un des premiers à avoir proposé une synthèse de l’Histoire de l’Univers, telle qu’elle nous est généralement expliquée aujourd’hui par la communauté scientifique. Sa vision, présentée entre autres ouvrages dans Le Phénomène Humain, est conçue autour du thème central de l’évolution. Il voit dans le Christ tout à la fois le point initial et le point final de cette progression de l’Univers. Son oeuvre principale, Le Milieu Divin, est un classique de la littérature spirituelle. Richard Brüchsel, jésuite, spécialiste reconnu de la pensée de Teilhard, est l’auteur de trois contributions sur le philosophe, dans la Revue Choisir d’avril 2005, entièrement consacrée au grand penseur et scientifique.

Un fils de la terre découvre les fossiles

Teilhard, né dans le Puy-de-Dôme, dit de lui-même qu’il est, de naissance, un «fils de la terre». Il a collectionné des pierres, trouvé des plantes rares, découvert des fossiles, étudié les sciences, notamment la géologie et la paléontologie. Dans l’histoire de la vie sur terre, il a découvert les structures de son avenir : la convergence humaine. Mais par ailleurs, il s’est reconnu fils du ciel. L’éducation chrétienne reçue dans sa famille a fait jaillir dans son coeur l’amour pour le Christ, il est devenu jésuite en1899 et prêtre en 1911.

Sentant la dysharmonie des deux tendances – son amour du monde et son amour du Christ -, il a d’abord voulu sacrifier son amour du monde à l’amour divin. Mais son conseiller spirituel, le Père jésuite Paul Troussard, lui recommande de développer les deux pour chercher leur unification. Teilhard voit dans ce conseil la vocation de sa vie : «Une grande et belle aventure», par laquelle il incorpore une dimension religieuse à la culture moderne, aujourd’hui reconnue par l’Eglise.

La beauté de la nature évoque l’infini en nous

Teilhard a réussi un premier accommodement entre le monde et Dieu durant le temps de sa première formation jésuite (1902-1905, Philosophie à Jersey ; 1905-1908, professeur de physique et de chimie au Collège St-Joseph au Caire). Son amour pour la terre était sous-tendu par une dimension de profondeur, un sentiment de l’absolu éprouvé à travers les situations vécues, qu’il appellera plus tard le «Sens de la plénitude». Teilhard a osé identifier cet absolu avec le Christ.

Il est très important de bien comprendre cette première étape vers une «christification» du monde profane. Il ne s’agit nullement de projeter une vision religieuse sur les réalités du monde, mais au contraire de faire se rejoindre ces réalités de telle sorte qu’à travers cette rencontre jaillisse un sentiment de profondeur. On entend par là une certaine adoration intérieure, un certain étonnement, provoqué, par exemple, par la beauté de la nature, qui évoque la beauté infinie et absolue en nous.

Ainsi, écrit-il en 1915: «Hier, exquise journée de printemps – la première. Je suis allé, en suivant la chaussée-boyau, à la Briquetterie, vers Nieuwendamm. A perte de vue, vers Ostende, vers St-Georges, le schorre s’étendait, infiniment uni, infiniment calme, infiniment baigné de lumière pure. Les nappes d’eau douce dormaient, reflétant un ciel de perle. Et puis, un peu plus tard, le soleil a commencé à se dissoudre dans l’or, au- dessus des ruines de Nieuport, à l’ombre d’un gros nuage violet. En voyant une telle physionomie à la terre, comment ne pas être tenté de lui chercher une âme… «

Théologie chrétienne et non pas panthéisme

Cette tendance à reconnaître dans une situation un absolu, une âme, peut conduire celui qui chemine ainsi au panthéisme, et donc, au danger de se laisser dissoudre dans le monde, identifié avec Dieu. Mais Teilhard identifie cette âme au Christ, qu’il pressent comme un centre qui se distend dans tous les éléments du monde. Il ne faut plus alors parler de panthéisme mais de «pan-en-théisme», un concept que la théologie chrétienne a formé à partir de la célèbre parole de saint Paul, que Dieu est tout en toutes choses.

La seconde étape de sa recherche de l’unité entre le monde et Dieu, il l’a développée durant ses études de théologie à Hastings, en Angleterre (1908- 1912). Comme géologue amateur, il a découvert des fossiles dans les argiles wealdiennes du Sussex. En même temps, il lisait L’évolution créatrice, de Bergson. «C’est au cours de mes années de théologie, à Hastings, que petit à petit a grandi en moi, jusqu’à envahir mon ciel intérieur tout entier, la conscience d’une Dérive profonde, ontologique, totale, de l’Univers autour de moi», note-t-il.

Tout est mouvement

Le constat d’un changement progressif de la vie en nous et autour de nous pose la question de l’initiateur de ce mouvement. La philosophie scolastique, que Teilhard a étudiée à Jersey de 1902-1905, dit que Dieu est à l’origine de ce processus. Mais comme Dieu s’est incarné en Jésus, et que Jésus est uni à l’évolution par son humanité, Teilhard aime préciser que c’est le Christ qui est auteur de ce mouvement, comme il est, en même temps, son terme. Il trouvera la justification de cette vue dans l’épître aux Colossiens: tout est créé par le Christ et pour lui; tout trouve en lui sa consistance.

«Autour du radieux soleil d’amour, qui est venu illuminer le Monde, s’étend à l’infini une couronne rarement aperçue et pourtant siège de l’action enveloppante et unissante du Verbe Incarné.» «Il me semblait par moments qu’une sorte d’être universel allait soudain, à mes yeux, prendre figure dans la Nature», écrit Teilhard.

A ce stade de sa recherche de l’unité entre Dieu et le monde, deux grandes questions restent à résoudre. La première : comment Dieu agit-il par le Christ dans le monde ? Et la seconde : ce mouvement évolutif trouve-t-il sa fin dans l’être humain individuel, ou bien porte-t-il les individus vers un pôle commun en les unissant dans un grand organisme qui s’appelle Humanité ?

La paléontologie montre à Teilhard la «montée de la vie»

Pour aborder la première question, il fallait d’abord saisir les conditions du processus de l’évolution. Dès 1912, Teilhard commença à étudier chez le célèbre paléontologue Marcelin Boule, au Musée d’histoire naturelle, à Paris. Après l’interruption du service militaire durant la guerre de 1914 à 1918, Teilhard termina son doctorat en 1921. Parmi ses écrits de l’époque de la guerre, un passage montre Teilhard, étudiant de paléontologie, intéressé à comprendre «la vraie allure des êtres vivants» : «Relisons plutôt sur ses feuillets de pierre, l’histoire de la transformation des organismes vivants. A celui qui sait les tourner patiemment, longuement, religieusement, ces pages évoquent une grande et lumineuse image, que nos voyants les plus dévots n’ont pu exprimer, dans leur impuissance, qu’en termes vagues de rayons qui fusent, d’aurore, de jaillissement, mais qu’ils sont unanimes à reconnaître comme une continuité… La fourmilière confuse des vivants s’ordonne soudain, pour les yeux avertis, en longues files qui se poussent par des sentiers divers, vers la plus grande conscience.»

Les fossiles que Teilhard a étudiés lui montrent la montée de la vie, à l’inverse d’un mouvement de désintégration, dont témoignent les pierres. De ce constat, le mode de l’activité créatrice de Dieu se révèle. Cette intuition trouve son analogie dans l’action du soleil qui, par ses rayons, fait éclore les fleurs des plantes. Ce sont les fleurs elles-mêmes qui éclosent, mais seulement si les rayons du soleil créent les conditions nécessaires. Il en va de même dans notre vie : Dieu ne nous donne pas la vie toute faite, mais il nous guide par des pulsions intérieures et des circonstances extérieures vers notre pleine réalisation.

A côté des combattants de la guerre 14-18, le Christ

La deuxième question concerne la continuité du mouvement évolutif : l’individu, capable de réflexion, est-il le sommet du mouvement évolutif ou au contraire est-il agi par ce mouvement pour aller vers une union totale de l’humanité, à l’instar d’un grand organisme en construction?

C’est cette unité à construire que Teilhard découvre durant la guerre de 1914-1918. Brancardier dans un régiment d’élite qui a participé à toutes les grandes batailles, il prend conscience de la présence du million d’hommes qui, des deux côtés du front, combattent pour atteindre une nouvelle entente entre les peuples. Il constate que les soldats, spécialement dans la période de préparation d’une bataille, deviennent plus pieux, moralement meilleurs et facilement abordables par les prêtres, comme si la dimension de profondeur était éveillée par le danger imminent, leur faisant entrevoir une plus grande plénitude à atteindre par la confrontation, hélas sanglante. Ainsi Teilhard était persuadé que le Christ était présent parmi eux. N’était-ce pas lui, le Christ, qui les attirait et leur faisait sentir une certaine unité entre eux, dans l’effort du combat ?

Son effort de mettre en conjonction le monde et Dieu s’achève dans cette vision grandiose, que tout le créé se meut par unions successives vers le grand rassemblement des humains autour du Christ. Est-ce une utopie ? Teilhard ne croit pas avoir trouvé la manière dont l’Univers s’est formé réellement dans le passé, mais est persuadé qu’il en a trouvé la représentation telle que les données scientifiques contemporaines à son époque permettent de comprendre le processus de la création. VB – D’après Richard Brüchsel, Berne.

Des photos de Richard Brüchsel sont disponibles à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch

Manifestations pour le cinquantenaire de la mort de Teilhard de Chardin

Suisse, du 1 au 3 avril, Maison Lassalle, Bad Schönbrunn (Zoug), avec l’exégète de Chardin, le Père Richard Brüchsel, son biographe Günter Schiwy, le philosophe de la nature Hans-Dieter Mutschler, la maître zen Pia Gyger, familière de la pensée du jésuite français.

New York, les 7 et 8 avril, Colloque de la Fondation Teilhard de Chardin, l’Association des Amis de T. de Chardin et l’American Teilhard association, sous le haut patronage du président Jacques Chirac et du directeur général de l’Unesco Koïchiro Matsuura. Thème : L’Avenir de l’Humanité – La nouvelle actualité de Teilhard de Chardin.

Parmi beaucoup d’activités pour ce cinquantenaire, RCF, le réseau interdiocésain des radios chrétiennes de France, célèbre pour sa part le 50ème anniversaire de la mort de Pierre Teilhard de Chardin avec 3 séries d’émissions, du lundi 4 avril au vendredi 8 avril.

En outre, une chaire Teilhard de Chardin est créée le 15 avril prochain à Paris, au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris. VB

Teilhard finalement réhabilité par le Vatican

La synthèse grandiose de Teilhard a été contestée. On lui a notamment reproché d’exalter un progrès continu, aussi problématique qu’ambigu, de gommer le mal et le péché. Sa dimension cosmique a été qualifiée de panthéiste. En cherchant à réconcilier le catholicisme avec la science et par la «mission» qu’il s’était donnée de réaliser une synthèse évolutionniste, il a choqué la hiérarchie romaine. Le Vatican interdit toute publication du vivant de Teilhard, autre que purement scientifique.

Lors de son séjour en France, de 1946 à 1951, il espère avoir de Rome l’autorisation de présenter sa candidature au Collège de France, sans résultat positif. Dans les années cinquante, ses oeuvres philosophiques sont publiées avec un succès considérable.

En 1962, année du Concile Vatican II, le Saint-Office lance un appel exhortant les responsables de l’enseignement religieux «à défendre les esprits contre les dangers des ouvrages de P. Teilhard de Chardin et de ses disciples». Une vingtaine d’années plus tard, en 1981, à l’occasion du centenaire de sa naissance, le Vatican fait enfin savoir publiquement que Teilhard n’est plus considéré comme le chantre d’une pensée hétérodoxe.

Un important colloque scientifique a eu lieu, en automne 2004 à Rome, entérinant si nécessaire, la réhabilitation du théologien et scientifique, avec le cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical pour la culture et le général de la compagnie de Jésus, Peter-Hans Kolvenbach. VB

(apic/choisir/vb)

22 mars 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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