Genève: Journée de formation oecuménique sur les mariages mixtes
Pourquoi les couples mixtes se marient davantage «protestant»?
Gladys Théodoloz, Service d’information du vicariat épiscopal à Genève
Genève, 28 avril 2004 (Apic) Plus de 70 prêtres, pasteurs et agents pastoraux laïcs genevois ont participé, vendredi 23 avril, à une journée de formation oecuménique sur les mariages mixtes. A Genève, où les mariages entre catholiques et protestants sont monnaie courante, on observe depuis quelques années un phénomène curieux: le nombre de couples mixtes qui se marient dans la confession catholiques décroît à grande vitesse, tandis que ceux qui se marient «protestant» sont en nette augmentation. La session a permis d’y voir plus clair.
La conception protestante du mariage paraît moins contraignante que la catholique, notamment en ce qui concerne le divorce, semble-t-il. Mais qu’est-ce qui distingue le mariage catholique du protestant? Pour répondre à cette question, deux spécialistes ont présenté à un public très attentif la vision que chaque confession a du mariage, considéré par l’Eglise catholique romaine comme un sacrement, et par l’Eglise réformée comme «une parabole de la relation du Christ et de son Eglise».
La différence peut sembler ténue aux non initiés, elle n’en demeure pas moins cruciale dans la pratique, puisque c’est de la sacramentalité du mariage catholique que dépend son indissolubilité, comme l’a expliqué Nicolas Betticher, docteur en théologie, attaché de presse du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.
Le mariage catholique
Pour l’Eglise catholique, a précisé le conférencier, le mariage est une alliance que le Christ vient transformer en sacrement. Et c’est par analogie avec le sacrement de l’eucharistie, où le Christ se donne sans retour, que le mariage est considéré comme indissoluble. Conséquence: lorsque deux baptisés mariés selon le rite catholique divorcent, ils continuent néanmoins d’être mariés sacramentellement, ce qui les empêche de se remarier «catholique». Et comme, de surcroît, cette disposition s’applique aussi dans le cas des couples mixtes, elle empêche le conjoint non-catholique de se remarier selon le rite catholique, quand bien même il s’agirait pour son nouveau conjoint d’un premier mariage.
En d’autres termes, la sacramentalité du mariage catholique, du fait qu’elle englobe tous les baptisés, à quelque confession qu’ils appartiennent, les «piège» tous également en cas de divorce, provoquant l’incompréhension, voire l’indignation, de nombreux non-catholiques, qui y voient un abus de pouvoir et une absurdité. Leur opinion est partagée par beaucoup de catholiques, parmi lesquels le père Michel Legrain, spécialiste des problèmes du mariage, pour qui cette procédure relève de la «tératologie» (c’est-à-dire de la science des monstres) théologique.
Les divorcés remariés
Cependant, comme il est ressorti des propos de Nicolas Betticher, l’Eglise catholique n’est pas indifférente aux problèmes humains que pose l’indissolubilité du mariage. Elle tente d’y répondre par des aménagements, en proposant par exemple au divorcé qui désire se remarier religieusement une procédure en nullité de mariage. Elle peut aussi prononcer la dissolution dudit mariage, par une décision qui relève du pape. Ces solutions ne concernant toutefois qu’une infirme minorité de cas, l’Eglise catholique se trouve confrontée aujourd’hui à la souffrance de nombreux divorcés remariés, qui se sentent rejetés.
Selon Nicolas Betticher, cette perception est erronée. L’Eglise, selon lui, ne condamne ni ne rejette ces personnes, mais se soucie au contraire de les accueillir et de les accompagner pastoralement dans leur nouveau chemin de vie. Le conférencier insiste sur le fait que ces fidèles ne sont pas excommuniés, c’est-à-dire ne sont pas tenus à l’écart de la communion ecclésiale, mais juste éloignés de l’eucharistie. Une distinction de toute évidence difficile à saisir pour certains participants à en juger par les exclamations qu’elle a provoquées!
Le mariage protestant
Il appartenait ensuite au pasteur Eric Fuchs, professeur d’éthique à la faculté de théologie de Genève et auteur de divers ouvrages sur le couple, de présenter la doctrine protestante du mariage, fondée notamment sur la conviction que le mariage n’est pas un sacrement. La Bible, en effet, ne dit rien à ce sujet. Célébré et vécu dans la foi et selon l’Evangile, le mariage revêt cependant une haute valeur spirituelle que l’Eglise a le devoir de promouvoir et de protéger. Il est un refus de l’égoïsme et «une forme de résistance contre les forces délétères de l’individualisme». Le mariage protestant n’a donc rien d’un mariage au rabais, c’est un engagement profond et réfléchi. «Laboratoire de la vie en société et de ses enjeux», il est béni par Dieu et appelé à durer dans la fidélité, l’écoute et le respect de l’autre, la charité et le partage. Son échec est pris au sérieux et déploré.
Un peu plus de souplesse
Cette conception sociale du mariage est proche de celle que préconise le Père Michel Legrain, religieux spiritain, spécialiste des questions de mariage et de sexualité, qui enseigne à l’Institut catholique de Paris. Longtemps missionnaire en Afrique, le Père Legrain a eu tout le temps de mesurer combien le catholicisme «d’importation» était en décalage avec la conception africaine du mariage. La coutume, en Afrique, veut qu’un couple soit considéré comme marié non pas quand il passe devant le curé, mais dès lors qu’il cohabite de façon stable. Cet usage fut d’ailleurs en vigueur pendant des siècles en Occident aussi, avant que le Concile de Trente vienne s’immiscer dans «le droit natif de tout homme et toute femme à se marier selon les lois de sa tribu» en leur imposant un cadre ecclésial obligatoire.
Si Michel Legrain rappelle tout cela, ce n’est certes pas pour briser ce cadre, qu’il respecte, mais pour émettre le souhait que l’Eglise fasse preuve de plus de souplesse dans sa conception du mariage, en ne proposant le mariage-sacrement qu’à des volontaires. Quant aux personnes qui choisissent de vivre en couple, dans la durée, sans être mariées religieusement, eh bien, que l’Eglise les considère comme mariées selon leur coutume, en accordant à cette union toute la valeur qu’elle mérite.
Oecuménisme de partenariat
L’Eglise catholique repensera-t-elle un jour sa doctrine du mariage en s’inspirant, par exemple, de ce qui se fait dans l’Eglise orthodoxe où le remariage est autorisé? Cela n’est pas exclu, selon Nicolas Betticher. En attendant, le mieux que catholiques et protestants puissent faire dans leur quête d’unité est de bien s’informer sur leurs doctrines respectives, afin d’éviter les caricatures et les préjugés.
C’est ce qu’a préconisé Isabelle Graesslé, modératrice de la Compagnie des pasteurs et des diacres, tout en invitant les communautés catholiques et protestantes de Genève à se tourner vers un «oecuménisme de partenariat». A l’instar de ce que font, notamment, les paroisses catholique et protestante d’Onex, qui ont mis sur pied une préparation oecuménique au mariage, offrant ainsi aux couples mixtes un espace très apprécié de dialogue et de découverte mutuelle. (apic/gth/bb)