Le génocide rwandais a laissé de nombreux ossuaires | © Nathan Nelson/Flickr/CC BY-NC-SA 2.0
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Génocide rwandais: l’attitude de l’Eglise entre ombre et lumière

Trente ans après le génocide rwandais, l’implication des catholiques et de l’Eglise dans la tragédie est encore scrutée. L’agence missionnaire vaticane Fides présente le résultat de ses recherches concernant les pertes humaines, ainsi que les actions des catholiques, qui ont pu être aussi bien héroïques que néfastes.

Felicitas a été assassinée à l’âge de 60 ans. Cette religieuse catholique de Gisenyi, dans l’ouest du Rwanda, appartenait à l’ethnie hutue. Elle et ses sœurs ont accueilli des réfugiés tutsis fuyant les massacres. Le 21 avril 1994, elle est emmenée avec ses 30 consœurs dans un cimetière pour y être exécutée. Les ravisseurs craignent cependant la colère de son frère, qui est colonel dans l’armée régulière, et lui proposent de s’enfuir. Felicitas refuse de quitter les autres religieuses et tombe avec elles dans la fosse commune, lançant: «C’est le moment de témoigner».

Les recherches de Fides

Cette histoire est l’une de celles rapportées par le journaliste Stefano Lodigiani, de Fides, dans un récent article lié à la commémoration du génocide rwandais. L’agence missionnaire vaticane est considérée comme une source particulièrement fiable, possédant un impressionnant réseau d’informateurs bien implantés au sein de la population, dans de nombreux pays tout autour du monde. L’organe se charge notamment chaque année d’établir une liste des agents pastoraux tués au cours de l’année. Fides a ainsi réalisé depuis trente ans des recherches approfondies sur les événements du Rwanda.

Trois évêques assassinés

Des données recueillies en l’occurrence «non sans difficultés», relève Stefano Lodigiani. Les chiffres ont révélé 248 victimes parmi le personnel ecclésiastique, dont une quinzaine décédées à la suite de mauvais traitements et d’un manque de soins médicaux, ainsi que des disparus finalement considérés comme morts. Une liste toutefois «sans aucun doute incomplète», car ne prenant pas en compte les séminaristes, les novices et un grand nombre de laïcs. Dans de nombreux cas, même les diocèses ne disposaient pas d’informations sûres, et en 1994, les outils de communication modernes n’étaient pas encore disponibles, note Fides. Selon le bilan constitué par l’agence vaticane, en 1994, trois évêques et 103 prêtres ont perdu la vie de manière violente au Rwanda, ainsi que 47 religieux et 65 religieuses. Au moins 30 femmes laïques doivent y être ajoutées.

Les trois évêques ont été tués à Kabgayi, au centre-ouest du Rwanda, le 5 juin 1994, avec un groupe de prêtres qui les accompagnaient pour apporter aide et réconfort aux populations déplacées et épuisées par la violence. 30’000 personnes déplacées, Hutus et Tutsis, s’étaient rassemblées dans la ville, trouvant refuge dans des structures catholiques ouvertes à tous, sans distinction. Bien qu’ils aient eu la possibilité de se mettre à l’abri, ils voulaient rester sur place, car ils pensaient que leur présence protégerait l’ensemble de la population. Ils ont été assassinés par les soldats rebelles du FPR (Front patriotique rwandais) sous la protection desquels ils avaient été placés.

Prêtres accusés

Bien d’autres membres du clergé et des laïcs ont ainsi succombé en tentant de porter secours aux personnes menacées. Mais Fides note bien que cela n’a pas été le cas de tous les fidèles. «Il s’agit d’un véritable génocide, dont les catholiques sont malheureusement aussi responsables», avait ainsi confirmé le pape Jean Paul II le 15 mai 1994, avant de réciter la prière du Regina Coeli.

A l’époque, 44% de la population rwandaise était catholique, le reste étant principalement d’obédience protestante. Que des chrétiens et des catholiques aient participé au génocide est donc une évidence. Mais des accusations ont aussi surgi contre des prêtres et des évêques. Des milliers de personnes ont été massacrées dans les églises où elles avaient trouvé refuge, note le journal britannique The Guardian. Selon le Tribunal pénal international des Nations unies pour le Rwanda (rapport publié en  2005), 5’000 personnes ont notamment été tuées dans l’église catholique de Ntarama le 15 août 1994. Toujours selon les Nations unies, le Père Athanase Seromba a ordonné que son église soit détruite au bulldozer alors que 2000 Tutsis s’y trouvaient réfugiés. Le prêtre catholique Wenceslas Munyeshyaka, aurait aidé à dresser des listes de personnes à tuer et aurait violé des jeunes femmes.

Pas de responsabilité «institutionnelle» pour l’Eglise

Mais l’Eglise au Rwanda a été accusée de compromission voire de complicité à un plus haut degré, notamment par certains liens étroits avec l’élite hutue.  L’archevêque Vincent Nsengiyumva a siégé au comité central du parti au pouvoir pendant près de 15 ans, alors même que celui-ci mettait en œuvre des politiques discriminatoires à l’égard des Tutsis, affirme The Guardian. Au lieu d’utiliser ses affiliations politiques pour exhorter le régime à mettre fin aux tueries, l’archevêque a refusé de parler de génocide. Des témoins ont même déclaré qu’il avait assisté à l’assassinat de prêtres, de moines et d’une religieuse tutsis.

Lors du Grand Jubilé de l’an 2000, les évêques du Rwanda ont adressé à Dieu une demande de pardon pour les péchés commis par les catholiques pendant le génocide. En 2016, les prélats rwandais ont présenté leurs excuses pour «toutes les fautes commises par l’Église» pendant le génocide. Ils ont reconnu que des membres de l’Église avaient planifié, aidé et exécuté le génocide, et que l’Église locale avait par la suite résisté aux efforts du gouvernement et des groupes de survivants pour reconnaître la complicité de l’Église dans les massacres.

Pendant les deux décennies qui ont suivi les tueries, le Vatican a soutenu que, bien que des membres du clergé aient commis des crimes terribles, l’Église ne portait aucune responsabilité au niveau de l’institution.

François demande pardon

Après le génocide, un réseau catholique a aidé des prêtres et des religieuses qui avaient été complices des violences à rejoindre l’Europe et à échapper à la justice, rapporte The Guardian. Wenceslas Munyeshyaka a pris en charge une église catholique à Gisors, dans le nord de la France, tandis qu’Athanase Seromba a changé de nom et est devenu curé à Florence. La Suissesse Carla del Ponte, procureure générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda, a par ailleurs accusé le Vatican d’avoir fait obstruction à l’extradition d’Athanase Seromba en vue de son jugement.

Rome a reconnu par la suite avoir commis un certain nombre d’erreurs. Dans le cadre d’une rencontre avec le président rwandais Paul Kagame, en 2017, le pape François a demandé pardon pour le rôle de l’Église catholique dans le génocide. Les «péchés et les manquements de l’Église et de ses membres» ont «défiguré le visage» du catholicisme, avait déclaré le pontife. Il avait admis que certains prêtres et religieuses catholiques avaient «succombé à la haine et à la violence» en participant au génocide. (cath.ch/fides/guardian/arch/rz)

Le génocide rwandais
Le 6 avril 1994, l’avion à bord duquel se trouvaient les présidents du Rwanda et du Burundi a été abattu par un missile dans le ciel de Kigali, la capitale rwandaise. Jusqu’au 16 juillet 1994, selon la chronologie communément admise, un génocide des Tutsis et des Hutus modérés s’en est suivi au Rwanda. Le motif fondamental était la haine raciale envers la minorité tutsie, qui constituait l’élite sociale et culturelle du pays. Les chiffres officiels publiés à l’époque par le gouvernement rwandais parlent de 1’174’000 personnes tuées en 100 jours, à coups de machettes, de haches, de lances et de gourdins. D’autres sources parlent d’un million de morts. Les traces de la violence et de la vengeance raciale se sont poursuivies pendant longtemps après la fin officielle des violences. Source:Fides

Le génocide rwandais a laissé de nombreux ossuaires | © Nathan Nelson/Flickr/CC BY-NC-SA 2.0
15 avril 2024 | 17:20
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 5 min.
Afrique (273), Fides (7), génocide (44), Rwanda (43)
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