Haïti: les religieux ne veulent pas d’une «réconciliation» (210294)
qui ne serait qu’une «conspiration antidémocratique»
Analyse sans complaisance sur une situation désastreuse
Port-au-Prince, 21février(APIC) Comment parler de réconciliation quand
celle-ci est un piège? C’est la question posée par la Conférence haïtienne
des religieux dans un document intitulé «Autour de la ’Réconciliation nationale». Analyse sans complaisance de la situation, pour dénoncer la stratégie des partisans de la réconciliation quand celle-ci a pour but de «culpabiliser les victimes, appeler à leur conscience chrétienne pour qu’ils
acceptent ou continuent d’accepter d’être toujours des victimes».
Rappelant qu’une immense majorité d’Haïtiens désirent vivre dans une
société libre et démocratique, tant au plan politique qu’au plan économique
et social et que la crise qui disloque le pays depuis des années est «la
confiscation de cet idéal démocratique par et au profit d’une infime minorité» qui ne recule devant aucun moyen, les religieux constatent: «Comme au
temps de l’esclavage, les tenants de la minorité proclament tout haut que
les couches populaires sont incapables de participer à la démocratie, ou
tout au moins, ce qui revient pratiquement à la même affirmation, qu’elles
ne sont pas prêtes pour la démocratie.»
Le document compare la situation du peuple à celle du fils qui reçoit
une pierre à la place du pain qu’il a demandé, situation «extrêmement inhumaine qui renvoie le fils à la plus totale confusion et désolation». La minorité va jusqu’à cette extrémité: «Elle ne se contente pas de casser la
sébile du pauvre, elle élimine toute une classe d’hommes et de femmes pour
que jamais plus elle n’entende leur prière, leurs plaintes ou leurs cris.
Ceux qui, dans les couches populaires, osent subsister ou résister malgré
tout, sont réduits à l’état de mendiants ou d’esclaves. Ils sont obligés de
vider les lieux, de vivre comme des bannis, errant de place en place. Ils
ne sont pas considérés comme Haïtiens; ils ne font pas partie de ce pays.
Ils n’ont pas non plus le droit d’être considérés comme des humains.»
Les religieux observent que «ce crime odieux est commis au nom du nationalisme le plus farouche, au nom de la morale la plus puritaine, et aussi
au nom d’un christianisme très serein».
Propriété privée
Le comportement hégémonique minoritaire se révèle dans un certain nombre
de démarches et d’attitudes que l’on retrouve soit chez des individus, soit
dans certaines catégories ou même dans les institutions, et qui visent en
définitive «le rejet global de tout Etat capable de se manifester avec une
certaine vigueur au bénéfice des plus déshérités du pays».
«C’est ce pouvoir suprême qui en tout premier lieu confisque la constitution et les droits électoraux, explique le document. Il commandite les
coups d’Etat, donne des ordres à l’armée, lance des ultimatums, fait du
lobby international pour le maintien du statut quo, pratique l’évasion de
taxes et d’impôts, freine l’économie à volonté, recueille en premier lieu
les retombées de l’aide humanitaire, alimentaire, ou de toute aide internationale, fait main basse sur les soins de santé et sur le système éducatif,
profite de l’embargo pour augmenter les chiffres d’affaire, dispose de
wharfs (appontements) privés de débarquement et de gangs armés, jouit de
tous les monopoles, contrôle les banques. Aucun pouvoir fort et honnête ne
peut lui résister et subsister. Haïti, c’est leur propriété privée. Ce petit monde, avec «des mots de morale à la bouche, des recettes chrétiennes
au bout des lèvres, n’a qu’une idée en tête: annuler définitivement les résultats des élections de décembre 1990.
Le document n’est pas tendre pour la communauté internationale qui, sous
l’autorité du gouvernement américain, «joue à fond dans cet amas de contradictions et tire les cartes au bon moment pour respecter l’équilibre du
jeu. Depuis le temps que cela dure, une sorte de retour cyclique de gestes
bénéfiques, de discours, de conférences, de belles promesses, de déclarations d’intentions, nous laisse avec une impression de déjà vu et nous signale que nous sommes toujours au point de départ…»
Mauvais cheval (de Troie)
Aux yeux des religieux, l’idée d’une Conférence nationale de Réconciliation (CARENA) est, dans les circonstances présentes, une «magouille» parmi
d’autres, une «conspiration antidémocratique», un «acte de vengeance visant
à faire payer l’audace des couches populaires de contredire la toute puissante minorité dans des élections libres et démocratiques».
Le document poursuit: «La CARENA, malgré ces protestations d’objectivité
et d’ouverture à tous, ne cherche qu’à nous faire oublier l’illégalité et
l’inconstitutionnalité des décisions auxquelles elles pourrait aboutir. Le
silence de la Communauté Internationale sur cette question nous renseigne
amplement. Cette grande amie de la démocratie et d’Haïti était en faveur de
la Conférence organisée par Malval; elle était contre celle proposée par
Aristide (même si finalement elle y a participé); elle ne dit rien à propos
de la CARENA. La démocratie doit-elle exister en dehors de la légitimité?
Ou bien y a-t-il d’autres instances que le peuple à accorder la légitimité?
La CARENA n’est qu’un cheval, mais un mauvais cheval de Troie.
Les religieux font état de rumeurs «persistantes et convergeantes» selon
lesquelles la CARENA viserait à imposer au Président «trois noms de personnages connus pour leurs magouilles politiques et leurs procédés antidémocratiques, représentant leurs candidats au poste de Premier Ministre». Elle
réclamerait en outre six ministères. Si elle ne peut pas atteindre cet objectif, elle imposera carrément son Président. Bref, «c’est la course à
l’aventure et à l’usurpation du pouvoir». En attendant ce «triomphe de la
’démocratié réconciliatrice», la majorité se trouve «muselée et anéantie
par tous les moyens et voies de fait».
Quelle réconciliation?
Ceux qui réclament la réconciliation, observent encore les religieux, ce
sont ceux qui ont créés la crise et la maintiennent par tous les moyens.
«Ils réclament la réconciliation, écrivent-ils, comme pour culpabiliser les
victimes, appeler à leur conscience chrétienne pour qu’ils acceptent ou
continuent d’accepter d’être toujours des victimes. On anticipe à dessein
sur la réaction des victimes comme pour mieux prévenir toute vengeance ou
toute rancune. C’est aussi une façon pour eux de se donner un air de victime… Il ne manque pas de gens pour prendre leur défense par anticipation.
Ainsi, ils auront toujours le dessus. C’est la manière classique de réagir
au fantasme du retour de la victime.»
Les religieux protestent aussi quand ils entendent parler d’une «crise
de maturité». Il n’en est rien, disent-ils, tout au moins, ce ne serait que
«la manifestation de la maturité de la majorité désormais fixée sur des
véritables enjeux politiques de la Nation». Ils préfèrent parler de crise
morale, d’une crise d’éthique sociale. Ils ajoutent: «La crise haïtienne,
c’est l’échec d’une politique internationale et d’une conception pyramidale
du monde. De ce fait, cette crise est aussi une crise des valeurs spirituelles bafouées par tous ceux-là qui devraient en être les promoteurs et qui
profitent de leurs positions de force pour imposer des critères matérialistes du pouvoir et de l’avoir. Partant, toutes nos institutions en portent
la marque.» Les deux pages qui concluent le document (qui en compte huit)
contiennent un vibrant appel à la conversion et à la vraie réconciliation.
Après un commentaire de la parabole du fils prodigue et du bon larron,
les religieux lancent un appel: «Malgré des meurtrissures qui la rendent
méfiante, la majorité vous tend les bras et attend de vous un geste authentique de sincérité. Elle n’a aucune intention de vous remettre une pierre.
Il dépend donc de vous de dire oui… Revenez. Payez honorablement et équitablement vos taxes et impôts; ne cherchez pas que des profits raisonnables, n’imposez pas de fardeaux aux pauvres et aux malheureux, payez des
salaires justes et raisonnables, créez d’autres emplois avec vos avoirs à
l’étranger, réclamez le retour à l’ordre démocratique et constitutionnel,
refusez votre appui à l’internationale du crime et des coups d’Etat…»
(apic/cip/pr)