Désarroi des partisans du président Aristide

Haïti: nomination d’un nonce apostolique (260192)

Port-au-Prince, 26 janvier(APIC) La nomination d’un nonce apostolique en

Haïti constitue-t-elle un appui diplomatique au gouvernement militaire actuellement en place en Haïti? C’est en tout cas la crainte des partisans du

Père Jean-Bertrand Aristide, premier président démocratiquement élu de

l’histoire d’Haïti. Mais d’autres questions se posent pour le pays: la violence, soutenue par une puissante diplomatie, pourra-t-elle encore longtemps décimer la population. Selon la Commission interaméricaine des droits

de l’homme, 1500 personnes au moins ont été assassinées depuis le coup

d’Etat. 500 ans après Christoph Colomb, la force aura-t-elle encore en 1992

le dessus sur le droit?

Le nouveau nonce apostolique, Mgr Lorenzo Baldisseri, était jusqu’à présent conseiller de la nonciature au Zimbabwe. Il succède à Mgr Guiseppe Leanza, qui avait échappé de justesse à la foule en colère lors de la tentative du coup d’Etat de Roger Lafontant en janvier 1991. le poste de nonce à

Port-au-Prince était vacant depuis juin 1991.

les partisans du Père Aristide constatent que le Vatican n’a guère mis

d’empressement à repourvoir le poste à la nonciature et à normaliser les

relations avec le régime du prêtre-président pendant les huit mois durant

lesquels il a dirigé le pays. Ils y voient la preuve de l’embarras du Vatican devant le succès du Père Aristide qui avait été sommé de renoncer à ses

activités politiques avant d’être finalement exclu de l’ordre salésien.

L’actuel gouvernement, mis en place à la suite du coup d’Etat militaire,

a salué «l’attitude positive du Saint-Siège dans cette période de dures

épreuves». Dans un communiqué du ministre des Affaires étrangères, il relève que le pape a fait preuve «d’une grande compréhension à l’égard du peuple haïtien».

En contradiction avec la politique des autres Etats

Un prêtre de l’Eglise des pauvres, qui a préféré garder l’anonymat,

s’insurge: comment justifier l’»attitude positive» du Saint-Siège alors

qu’aucun pays n’a jusqu’ici renoué de relations formelles avec le gouvernement provisoire du premier ministre Jean-Jacques Honorat? Attristé, ce prêtre constate que la position du Vatican reflète la politique conservatrice

de l’épiscopat haïtien.

Les partisans d’Aristide rappellent aussi que lors de la tentative de

coup d’Etat du mois de janvier 1991, le peuple avait clairement choisi sa

cible. La foule en colère s’était dirigée vers l’Institut pastoral de

l’archevêché et vers l’ancienne cathédrale pour y mettre le feu. La foule

avait cherché à s’emparer de l’archevêque, Mgr François-Wolff Ligonde, puis

du nonce apostolique Mgr Leanza, qui avaient dû leur salut dans la fuite.

Mgr Ligonde se trouve d’ailleurs toujours au Canada.

Tandis que n’ont pu aboutir les négociations menées par l’Organisation

des Etats américains (OEA) en vue de rétablir le président Aristide dans

ses fonctions, c’est un gouvernement «né dans le sang  » que reconnaît aujourd’hui le Vatican, accusent de nombreux prêtres et religieux haïtiens.

Ces derniers, qui ont pris des risques énormes en prenant parti pour le

peuple opprimé, se sentent de plus en plus abandonnés et démunis face à

l’oppression, la corruption, l’exploitation et la terreur.

Pression des évêques haïtiens?

Pour les partisans d’Aristide, il ne fait aucun doute que le Vatican a

agi sous la pression des évêques haïtiens, dont le chef de file est Mgr

François Gayot (Cap Haïtien). Le seul à s’insurger étant Mgr Willy Romélus,

évêque de Jérémie et président de la Commisssion nationale Justice et Paix.

L’attitude des Etats-Unis et de sa diplomatie est également mise en cause. C’est elle qui lors des négociations qui trainent en longueur cherche à

imposer parmi une douzaine de candidats René Théodore, chef d’un parti

communiste sans base ni idéologie, sévèrement battu lors des élections et

connu pour ses vives critiques à l’encontre du président Aristide. Un courant radical du parti républicain, mené par le vice-président Dan Quayle,

qui pense déjà à la réélection de George Bush, semble vouloir empêcher le

développement de l’expérience démocratique en Haïti. Y compris en permettant le retour du président Aristide, mais en le privant alors de son pouvoir. La vive controverse juridique à propos du renvoi des 7’000 réfugiés

haïtiens de la base de Guantanamo sur l’île de Cuba illustre bien cette attitude américaine, estiment les observateurs.

Que réserve 1992 à ce pays dans lequel un Haïtien sur deux à moins de 17

ans? Ce même jeune qui s’était illusionner en voyant, par le jeu de la démocratie, le Père Aristide gagner les élections. Le plan des putschistes a

réussi dans sa première phase: tenir trois mois en espérant que l’embargo

qui frappe surtout le monde des affaires sera levé. Déjà, un tanker de pétrole en provenance de Colombie serait arrivé à Port-au-Prince.

Terrible constat, déplore pour sa part «La Croix»: «Haïti est un petit

pays, noir et pauvre. On peut y appliquer sans vergogne une diplomatie de

force». Haïti n’est pas le Koweit. Et la démocratie si réclamée à l’Est est

là sacrifiée au nom d’intérêts. Pas ceux du peuple assurément.

Pour ce dernier, le bilan depuis le coup d’Etat est lourd: le 21 novembre dernier, la Commission interaméricaine des droits de l’homme faisait

état de 1500 morts par balles; récemment, on a compté 17 nouvelles victimes

dans la capitale en un seul jour; des milliers de blessés qui ont peur de

se faire soigner à l’hôpital où l’armnée entre comme elle veut; autant

d’arrestations et de tortures; plusieurs journalistes enlevés ou tués.

L’école fonctionne à peine dans un pays en panne qui a pour nom Haïti. Pour

son malheur et celui du peuple. (apic/cip/cx/mp/pr)

26 janvier 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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