Harald Rein, évêque catholique-chrétien de Suisse | © Maurice Page
Suisse

Harald Rein: «L'unité avec Rome a une chance»

L’évêque catholique-chrétien de Suisse Harald Rein (65 ans) estime que le dialogue entre l’Eglise catholique-romaine et l’Eglise catholique-chrétienne au niveau mondial est positif. «L’unité des deux Eglises a une chance», estime-t-il. Même si la question de l’ordination des femmes reste une pierre d’achoppement sur le chemin.

Jacqueline Straub kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

Harald Rein

Harald Rein est évêque de l’Eglise catholique-chrétienne de la Suisse depuis 2009. Né en 1957 en Allemagne, il est devenu citoyen suisse en 2001. Il a acquis sa formation théologique en Allemagne puis a terminé ses études à l’Institut de théologie catholique-chrétienne de l’Université de Berne en 1983. La même année, il est entré dans le clergé de l’Eglise catholique-chrétienne de Suisse. En 1986, il a obtenu le doctorat à l’Université de Lucerne avec un travail de théologie pastorale. Il a été curé de Obermumpf-Wallbach (AG) (1983 – 1993), puis à Zurich jusqu’en 2009. Dès 2001, il a été vicaire épiscopal pour la Suisse alémanique.

En tant qu’évêque catholique-chrétien, quel regard portez-vous sur l’Eglise catholique romaine?
Harald Rein: Pour moi, c’est une Eglise sœur. Le dialogue entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise catholique chrétienne au niveau mondial est maintenant provisoirement achevé avec le document IRAD II. (publié en 2016 ndlr). Rome vient d’en publier les résultats de son point de vue. Les résultats sont positifs. Il reste néanmoins un point très triste, qui saute aux yeux.

Lequel?
En fait, le dialogue entre catholiques chrétiens et catholiques romains résulte d’un conflit familial. Rome nous a fait savoir qu’en l’état actuel des choses, nous pourrions à nouveau être une Eglise unie, respectivement conclure une communauté ecclésiale. Cela signifierait: une communauté de ministère et de sacrements, tout en conservant notre indépendance, avec l’élection d’un évêque et le pape comme primat d’honneur. Mais il y a une condition existentielle: nous, catholiques chrétiens, devrions cesser d’ordonner des femmes prêtres.

«Nous continuerons à ordonner des femmes diacres et prêtres et, espérons-le, bientôt évêques»

Lors des discussions, aucune exigence n’a-t-elle été formulée à l’égard de Rome pour qu’elle ouvre les ministères ordonnés aux femmes?
Bien sûr, nous en avons discuté. Mais un dialogue est d’abord une discussion. Ensuite, les directions des Eglises et les synodes décident s’ils peuvent et veulent suivre ces résultats. Chez les catholiques chrétiens, les résultats du dialogue doivent être confirmés par les synodes et les évêques. Il s’agit de processus complexes.

Comment l’Eglise catholique chrétienne va-t-elle se décider? Pour Rome et contre l’accès des femmes aux ministères ordonnés ou contre la communion avec Rome?
Bien sûr, nous continuerons à ordonner des femmes diacres et prêtres et, espérons-le, bientôt évêques.

Qu’en est-il du célibat sacerdotal? Les prêtres catholiques-chrétiens recevraient-ils alors une dispense du pape?
Le célibat est une pure question de discipline. Les ecclésiastiques catholiques chrétiens pourraient continuer à se marier et l’Eglise catholique romaine est libre de gérer cela comme elle le souhaite. Toutefois, dans le cas d’une communauté ecclésiale officielle, je ne devrais plus reprendre de prêtres catholiques romains si le célibat était la raison d’un changement, du moins tant que l’Église catholique romaine le maintient.

«Du point de vue actuel, l’infaillibilité de l’Eglise n’est plus un motif de séparation».

Et qu’en est-il de la reconnaissance de l’infaillibilité du pape qui avait été la principale cause de séparation à la fin du XIXe siècle?
Nous avons trouvé un consensus sur ce point. Mais l’expliquer plus précisément dépasserait le cadre de cette interview. Dans la perspective actuelle, l’infaillibilité n’est plus la raison de la séparation. La question est de savoir jusqu’où va la synodalité de chaque Église locale, respectivement l’autonomie d’un diocèse. Que ce soit pour l’élection des évêques ou pour les questions de vie ecclésiale liées à la culture.

Dans quelle mesure est-il réaliste d’imaginer une réunification de l’Église catholique chrétienne et de l’Église romaine?
Il est d’usage à Rome que les dialogues conclus par le Secrétariat de l’unité soient examinés par la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). L’expertise correspondante du cardinal Gerhard Müller (ancien préfet de la CDF ndlr) n’a pas le «nihil obstat» du pape François. La question de l’ordination des femmes reste donc ouverte. Car personne d’autre que le cardinal Ratzinger n’a confirmé que les déclarations de Jean Paul II dans son exhortation Ordinatio sacerdotalis constituent une décision définitive du point de vue doctrinal. Dans cette mesure, l’unité des deux Eglises a une chance. Mais pas demain, bien sûr.

Le cardinal suisse Kurt Koch est le responsable de l’œcuménisme du Vatican. Comment l’avez-vous vécu lors du dialogue?
Je connais Kurt Koch depuis 40 ans et je l’apprécie personnellement, ainsi que ses réflexions théologiques. Nous avons fait notre doctorat à la faculté de théologie de Lucerne à la même époque. Dans le dialogue œcuménique, je le trouve toujours bienveillant et très intéressé, mais plus réservé et prudent quant à ce qui constitue l’enseignement catholique et ce qui est modifiable ou non.

«Le nombre de ministres diminue. C’est une évolution naturelle».

L’Église catholique romaine n’est pas la seule à être confrontée à des défis, l’Église catholique chrétienne l’est aussi.
C’est vrai. Mais en fait, le nombre de nos membres reste stable.

Où voyez-vous des problèmes?
De nombreuses personnes ne veulent ou ne peuvent plus croire aux valeurs ou à ce que croit l’Eglise. Cela concerne toutes les générations, mais surtout les jeunes. De ce fait, la part de ceux qui se décident à faire des études de théologie diminue également. Parallèlement, le nombre de ministres du culte diminue. Dans un avenir proche, il y aura de nombreux départs à la retraite. C’est une évolution naturelle.

L’église catholique-chrétienne est voisine du Rathaus de Berne (photo Regula Pfeifer)

Comment allez-vous faire face à ce défi?
Nous allons mener des campagnes pour attirer des jeunes et des personnes qui changent de voie vers les études de théologie.

L’Église catholique chrétienne a tout ce que de nombreux catholiques souhaitent, comme le célibat volontaire pour les prêtres ou les femmes dans les ministères ordonnés. Pourtant, rares sont ceux qui se convertissent à l’Eglise catholique chrétienne. Comment l’expliquez-vous?
La personne qui, encore aujourd’hui, est activement engagée dans une Eglise souhaite en premier lieu changer sa propre Eglise et ne veut pas adhérer ailleurs.

Pourquoi l’Eglise catholique chrétienne ne fait-elle pas de prosélytisme?
Nous le faisons très bien. Nous essayons d’enthousiasmer les gens pour le royaume de Dieu. Mais la direction va clairement vers les personnes sans confession. En effet, en signant la Charta Œcumenica, toutes les Eglises de Suisse ont convenu qu’elles ne feraient pas de prosélytisme auprès des membres des autres Eglises et qu’elles ne s’immisceraient pas dans leur jardin. Les chrétiens ne doivent pas se faire concurrence entre eux. (cath.ch/kath.ch/js/mp)

L’Eglise catholique chrétienne de Suisse

L’Eglise catholique-chrétienne s’est constituée en Suisse entre 1871 et 1876 dans le contexte du Kulturkampf (combat pour la civilisation) et de la crise qui a opposé les courants libéraux et conservateurs au sein du catholicisme en cette fin du XIXe siècle. Le point de rupture fut le Concile de Vatican I en 1870, qui a proclamé l’infaillibilité et la primauté du pape.
Une partie des catholiques refusèrent ces nouveaux dogmes et furent excommuniés.
Les raisons du schisme en étaient aussi bien politiques que religieuses, les dissidents critiquant l’ultramontanisme, à savoir la priorité accordée à l’autorité du pape, et refusant la juridiction universelle de l’évêque de Rome. Ils souhaitèrent toutefois «rester catholiques» en se donnant comme modèle l’Eglise des premiers siècles, d’où leur nom de «vieux-catholiques».
L’Eglise catholique-chrétienne est reconnue par l’Etat au même titre que les Eglises catholique-romaine et protestante. Elle compte actuellement quelque 13’500 membres à travers toute la Suisse. Elle a des paroisses à Genève, Lausanne, Neuchâtel ainsi qu’en Suisse alémanique, notamment en Argovie, à Bâle, Berne, Zurich et Soleure.  JB

Le dialogue entre les vieux-catholiques et les catholiques-romains (IRAD)

Les chrétiens vieux-catholiques se composent de trois sections: l’Église d’Utrecht, née en 1724 quand le chapitre de l’Église défendit son droit ancien d’élire l’archevêque; les Églises vieilles-catholiques d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, qui refusèrent d’accepter l’infaillibilité pontificale définie par le Concile Vatican I en 1870. Ils sont rejoints par plusieurs petits groupes d’origine slave.
La première commission internationale de dialogue catholique romain – vieux-catholique (IRAD I) a commencé ses travaux en 2004. L’évêque catholique-chrétien de Suisse Fritz-René Müller et l’évêque catholique romain émérite de Würzburg Paul-Werner Scheele en ont été les co-présidents. Au cours de onze réunions entre 2004 et 2009, l’IRAD I a élaboré le document Église et communion ecclésiale. 
En 2012, la commission a ouvert une deuxième ronde de discussions (IRAD II) qui a rendu son rapport en 2016. Il a été l’objet de nombreuses discussions internes aux vieux-catholiques. MP

Harald Rein, évêque catholique-chrétien de Suisse | © Maurice Page
30 mars 2023 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 6 min.
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