Suisse: Un premier classement éthique des marques du «high tech»
HP et Nokia sur le bon chemin, Samsung et Sony insuffisants
Berne, 9 septembre 2014 (Apic) Des centaines de milliers de personnes sont exploitées à travers le monde pour produire nos téléphones portables. C’est le constat de l’enquête menée par l’œuvre d’entraide catholique Action de Carême (AdC) et protestante Pain pour le prochain (PPP) sur les principales marques du secteur électronique du marché suisse à la lumière de critères éthiques et écologiques. Si HP et Nokia semblent «sur le bon chemin», Samsung et Sony ont reçu la mention «insuffisant».
Les organisations ont présenté, lors d’une conférence de presse, le 9 septembre 2014 à Berne, leur premier guide d’achat éthique à l’attention des consommateurs.
Comme s’ils voulaient se protéger de l’hémoglobine présente dans nos téléphones, deux hommes munis de combinaisons étanches et de masques de protection ont distribué aux journalistes présents au Volkshaus de Berne des petits cartons en formes de mobiles résumant les résultats de l’enquête menée par les organisations chrétiennes. Les petites cartes exposent la liste des dix plus grandes marques de «high tech» présentes sur le marché suisse, classées selon le niveau de «sang» dont elles ont besoin pour produire les smartphones, tablettes et autres ordinateurs que beaucoup d’Helvètes utilisent quotidiennement. La liste indique que l’américain HP et le Finlandais Nokia «sont sur le bon chemin», avec une demie trace de doigt ensanglantée pour le premier et une pour le second. Le bilan est «moyen» pour les Américains Apple et Dell, et «insuffisant» pour le Taïwanais Acer, le Chinois Lenovo, le Sud-Coréen Samsung et le Japonais Sony. Adc et PPP donnent en outre la mention «inacceptable» aux marques taïwanaises Asus et HTC.
Un outil précieux pour les particuliers et les pouvoirs publics
Cette évaluation des grandes marques de l’électronique fournit de précieux renseignements, non seulement aux consommateurs suisses, mais aussi aux acheteurs publics, tels que la Confédération, les cantons et les paroisses, a noté la conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo, présidente de la Fondation pour la protection des consommateurs. Ces acteurs du marché devraient veiller à l’équité lorsqu’ils achètent de tels appareils, affirme la politicienne. Elle explique que ce classement «est un premier pas vers une consommation plus responsable». C’est précisément dans le domaine des marchés publics que Prisca Birrer-Heimo demande au législateur d’adopter des normes contraignantes. «Il faut préciser dans la loi que, lors de l’achat de biens et de services, les critères écologiques et sociaux doivent être évalués et contrôlés au même titre que le prix».
La «malédiction» de la richesse minière
Mgr Fridolin Ambongo Besungu, évêque catholique de Bokungu-Ikela*, au centre de la République démocratique du Congo (RDC) et président de la Commission épiscopale sur les ressources naturelles (CERN), a exposé lors de la conférence de presse, les problèmes liés au premier maillon de la chaîne de production de la plupart de nos téléphones portables et ordinateurs: l’extraction des matières premières qui les composent. Cette activité va souvent de pair avec un déplacement des populations, une pollution de l’environnement et l’émergence de conflits sanglants. Mgr Ambongo Besungu voit ainsi dans l’extrême richesse et diversité du sous-sol congolais une «cause de malheur» pour son peuple. Il relève que l’industrie extractive ne contribue guère à l’amélioration des conditions de vie des habitants des régions minières. L’Etat congolais ne profite pas non plus des richesses de son sous-sol. Selon l’évêque, de nombreuses entreprises présentes dans les zones d’extractions, dont la multinationale suisse Glencore, contournent la législation, notamment en s’appuyant sur la corruption endémique dans le pays, pour éviter de payer les taxes relatives à leurs activités.
Le prélat avertit qu’il ne s’agit pas d’interdire l’exploitation minière dans le pays, mais de sensibiliser la population locale quant à ses droits, et la communauté internationale ainsi que les entreprises quant à leurs responsabilités. Mgr Ambongo Besungu souhaiterait ainsi que l’on crée un système d’exploitation des ressources qui s’inscrive dans un cadre légal internationalement reconnu, profitant finalement au peuple.
Exploitation des travailleurs en Chine
L’activiste chinoise Pui-Kwan Liang a parlé du cas de la Chine, où sont fabriqués un grand nombre des produits «high tech» que l’on trouve en Suisse. Ayant mené l’enquête sur place pour le compte de SACOM, une organisation basée à Hong Kong, Pui-Kwan Liang souligne que l’exploitation et l’absence de droits règnent en maître dans les usines chinoises. Les ouvriers et les ouvrières travaillent jusqu’à 14 heures par jour pour un salaire de misère. L’enquête a en outre découvert que de nombreux employés travaillent dans des environnements dangereux, sans équipements ni formations adéquats. Ils ne bénéficient pas non plus d’une protection sociale ou syndicale suffisante.
Appel à la responsabilité des entreprises
La plupart des marques ont commencé à modifier leur comportement et à prendre des mesures en vue d’améliorer les conditions de production de leurs appareils, a néanmoins noté Daniela Renaud, responsable de la campagne «High Tech- No Rights», d’AdC et PPP. En référence à une étude de 2008 sur le sujet, il apparaît que les multinationales évaluées accordent notamment davantage d’attention aux questions environnementales.
Le bilan est en revanche beaucoup moins satisfaisant en ce qui concerne les conditions de travail dans les usines, surtout dans les domaines de la santé, de la sécurité au travail, du niveau des salaires et des droits du travailleur. «Nous demandons aux marques d’exiger de leurs fournisseurs qu’ils améliorent les conditions de travail et leurs pratiques en matière de protection de l’environnement», a ainsi lancé Daniela Renaud.
Grâce à ce premier guide d’achat, il est désormais possible pour les consommateurs et les consommatrices de choisir un appareil produit dans de meilleures conditions, a noté la responsable de campagne. (apic/rz)
Pour en savoir plus:
http://www.fastenopfer.com/data/media/medien/einblick/Reperes_02_14_portables.pdf
*Voire interview Apic du 9 septembre 2014