«Il faut une véritable reconversion des mentalités de A à Z»
Côte d’Ivoire : Le Père Germain Gazoa, un artisan de la réconciliation
Fribourg, 29 juillet 2011 (Apic) Connu en Suisse pour ses fréquentes visites en Valais, dans le Jura et à Fribourg, le Père Germain Gazoa, en observateur averti de la société ivoirienne, a élaboré le projet d’un Institut catholique de psychothérapie et des sciences humaines et spirituelles, Humanae Vitae. L’objectif en est la formation, la prévention, la prise en charge psycho-spirituelle, la réinsertion psychosociale et la recherche. Pour ce prêtre ivoirien, la réconciliation doit être un devoir civique.
Le Père Germain Gazoa a été professeur à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest à Abidjan. Il enseigne également parfois à l’Institut Philanthropos à Fribourg et aux Rives du Rhône à Sion. De passage à Villars-sur-Glâne, près de Fribourg, où il assume la présidence des cérémonies religieuses durant les vacances des prêtres, il analyse les conséquences dans son pays des violences qui ont marqué les récentes élections et propose quelques pistes de réconciliation.
Apic : Les troubles qui ont ensanglanté la Côte d’Ivoire après les élections présidentielles ont engendré des blessures très profondes. Voyez-vous une cicatrisation possible ?
Père Germain Gazoa : Face à cette situation traumatisante, tout Ivoirien souhaite ardemment un retour à la normale. Je pense qu’il est possible de s’en sortir, si on le veut vraiment. Chacun, qui reconnaît la nécessité d’un développement durable, saura trouver en lui les ressources adéquates.
Apic : Comment pouvez-vous assumer le fait d’avoir été témoin de violences indescriptibles et d’avoir vu des proches se faire tuer sous vos yeux ?
Père Germain Gazoa : C’est justement à ce niveau qu’on découvre la personne humaine. L’homme, philosophiquement parlant, est quelqu’un de dynamique, appelé tout le temps à se remettre en question, à faire un voyage en lui-même pour se repositionner. L’homme n’est pas fait pour subir son histoire, mais pour la construire. En se focalisant sur le passé, on risque de ne plus vivre vraiment et on risque d’éteindre tous les signaux de l’espérance en la vie. C’est pourquoi il faut de temps à autre se dresser contre son histoire, en l’affrontant pour l’assumer et se donner la force d’aller de l’avant.
Apic : Le 23 mars dernier, vous avez lancé solennellement un appel aux chrétiens à ne pas être des vecteurs de violence, mais plutôt des messagers de paix. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir parlé dans le vide ?
Père Germain Gazoa : En tant que prêtres, nous semons dans le cœur des gens et l’Esprit Saint arrose. Donc, mon devoir est de dire à tout baptisé au nom du Christ que son premier devoir est civique. Notre première identité, c’est la réconciliation. Le chrétien est, par définition, un réconciliateur : la messe est le sacrifice de la réconciliation de Dieu avec sa créature. Donc, celui qui participe à l’Eucharistie est un réconciliateur. Nous n’avons pas le choix. En conséquence, tout chrétien devrait s’approprier l’invitation du président de la République à s’impliquer dans le processus de réconciliation nationale. Il nous revient à nous chrétiens de poursuivre cette tâche.
Cette démarche n’est facile pour personne, mais nous savons que l’Esprit nous aidera. La plus grande difficulté réside dans le fait que dès que l’on parle, on est situé dans un camp ou dans l’autre. C’est le propre d’un cœur profondément blessé que d’être très susceptible. Mais on ne peut en rester là. Il faut que le ciment social prenne au cœur des différentes parties pour que la réconciliation puisse avancer. Je dirai que le message transmis a commencé à faire du chemin dans les cœurs des Ivoiriens parce que les positions ne sont plus aussi tranchées. Les gens réfléchissent à deux fois. Des gens me téléphonent ou viennent me voir pour me dire: «Je n’avais pas compris ceci ou cela». L’exemple le plus poignant est celui de cette femme qui m’a dit: «Ah si ma maman pouvait aussi t’écouter ! Je vois qu’elle n’arrive pas à se remettre de ses blessures. Si tu pouvais lui parler, ce serait bien, parce que depuis que je t’écoute, je commence à comprendre beaucoup de choses.» Pour moi, cette remarque est déjà une satisfaction et la preuve que le message de réconciliation fait son chemin.
Apic : Est-ce le manque de crainte de Dieu qui pousse les gens à être violents, comme on a pu le constater durant la crise postélectorale ?
Père Germain Gazoa : Il y a en partie de cela, mais c’est surtout la conception que l’on a du pouvoir en Afrique. J’en parle dans mon livre «Les conflits en Afrique Noire: quelles solutions? Approches anthropologiques et spirituelles». Le pouvoir politique est-il un service ou autre chose? A-t-on une conception citoyenne de l’exercice du pouvoir? Le problème réside à ce niveau. Mon expérience de la Suisse, que j’estime beaucoup, m’a montré une conception du pouvoir comme service. En Afrique, la plaie, en politique, c’est le népotisme, qui fait du pouvoir une affaire personnelle et de famille. Il faut à tout prix dépasser cette conception népotique et retourner à nos origines. Dans mon livre, je propose des «recettes» purement traditionnelles qui doivent permettre de trouver des solutions à nos problèmes. En Afrique, c’est une conception dégradée du pouvoir, teintée de subjectivisme et d’égoïsme, qui engendre la violence.
Apic : Pour sortir de cette situation, faut-il une nouvelle espèce de politiciens sur le plan du continent et plus particulièrement en Côte d’Ivoire?
Père Germain Gazoa : Il faut reconstruire l’intellect africain. Pour la Côte d’Ivoire, il faut une véritable reconversion des mentalités de A à Z. Ce n’est pas parce que telle personne vient de telle région, qu’elle est mauvaise. Ce n’est pas non plus l’appartenance à un parti politique qui permet de dire si telle ou telle personne est bonne ou mauvaise. Nous devons reconstruire la Côte d’Ivoire et la mentalité de ses habitants, en laissant tomber les masques qui nous dénaturent et nous séparent les uns des autres. Les distinctions et séparations effectuées sur la base de la langue ou de la région sont arbitraires, sataniques. Elles détruisent la mentalité africaine, qui est d’abord communauté, société. Si la foi en Dieu est importante, dans la vie africaine la place et le rôle de la communauté sont essentiels. Ce sont ces valeurs qui se sont estompées jusqu’à disparaître. Auparavant, le voisin n’était pas avant tout un adepte de telle religion, pratiquant telle langue et venant de telle région: il était mon frère. Que s’est-il passé pour qu’il devienne d’un coup quelqu’un de telle religion ou de telle ethnie? Cet être humain dont je dois aujourd’hui me méfier en raison de ces critères ? Cette manière de voir l’autre est une dénaturation de l’Ivoirien. Il est alors indispensable de retourner à notre nature primordiale.
Apic: Quels sont alors les clefs de cette reconversion ? Par quoi doit-on commencer ?
Père Germain Gazoa : La première chose est d’être sincère, honnête avec soi-même. Il faut ensuite panser toutes les blessures. La réconciliation ne peut en effet commencer que par la guérison. Une réconciliation sans guérison ne me semble pas sincère: des cœurs blessés ne peuvent pas vraiment se réconcilier. La guérison doit permettre à la personne de retrouver en elle-même sa place au sein de la société. La sincérité et la volonté de guérir doivent aider à poser les actes nécessaires à la réconciliation dans un esprit citoyen. Dans ces conditions, la paix est possible.
Apic : Vous parlez de guérison. Comment peut-elle s’effectuer ?
Père Germain Gazoa : L’unique remède pour la guérison est le sentiment d’être aimé. Toute forme de violence est elle-même un message, un désir de communication. Mais c’est un déficit de communication. La guérison commencera donc par cette volonté de s’asseoir et de parler à l’autre, de lui dire: «Tu as raison et je te demande pardon». Il faut donc apprendre à vivre ensemble et à s’aimer, se respecter, car c’est par l’amour que l’on peut être soigné. La blessure est toujours une affectivité écorchée, dont le meilleur remède est donc l’affection. Il s’agit alors de montrer à l’autre que l’on est capable du meilleur et d’apporter un plus dans la vie quotidienne. L’amour seul peut désarmer les cœurs. Martin Luther King, Gandhi, Mandela, le prophète Mohamed et le Christ, nous montrent qu’avec l’amour, on peut désamorcer toute sorte de violence et désarmer même les plus réfractaires à la paix. C’est pourquoi j’ai fondé une revue bimestrielle intitulée «Guérir» qui traite de tout de ce qui a trait au psychisme et au spirituel. Son objectif est d’aider tous ceux qui sont blessés intérieurement à s’en sortir. Elle explique aussi comment cheminer dans sa foi. Elle n’est pas uniquement destinée aux catholiques, mais à toutes les personnes qui veulent guérir. D’ailleurs, je ne parle pas d’appartenance religieuse, je parle vraiment de l’homme. Le spirituel, c’est l’énergie qu’on a en nous qui nous permet de sortir de n’importe quelle situation. Les collaborateurs de cette revue sont des spécialistes: psychiatres et neurologues … Le prochain numéro traitera des maladies de l’âme et de la manière de les traiter.
Apic: Un message à l’intention des Ivoiriens ?
Père Germain Gazoa : Comme on le dit chez nous, «j’attrape les pieds» de chaque Ivoirien pour lui dire qu’on peut se construire à partir du néant. Rien n’est trop tard, rien n’est totalement détruit. Que chacun se ressaisisse pour regarder celui qui est en face comme son frère. Pour l’avenir de nos enfants, il faut taire en soi-même toute velléité de domination et regarder l’avenir avec sérénité. Il faut se dire qu’on a beaucoup à apprendre avec nos frères des autres régions et des autres pays. C’est la capacité d’accueillir, de composer avec celui qui est autre qui fait la force d’une Nation.
Encadré
Suite aux crises et guerres civiles traversées par la Côte d’Ivoire, le Père Germain Gazoa se demande comment redonner un sens à la vie des nombreuses populations qui ne croient à plus rien du tout. L’Eglise catholique se doit, selon lui, de travailler à la réconciliation et au pardon au sein de la société ivoirienne. L’Institut Humanae Vitae a été créé dans cet objectif. Le Père Gazoa a obtenu la collaboration de prêtres et de laïcs catholiques ivoiriens et suisses, sous le parrainage des autorités ecclésiastiques de son pays.
L’Institut Humanae Vitae se voudrait, aux dires de son fondateur, une «autre et nouvelle façon d’être Eglise en contexte de crise et misère humaine, un lieu, un espace, qui permet à l’être humain de se redécouvrir comme essentiellement social, de se re-penser pour re-vivre une existence normale pleine de sens et de promesses à réaliser.»
Objectifs
Les fonctions de ce nouvel Institut sont d’encadrer psychologiquement et spirituellement des personnes fragilisées, de prévenir les déséquilibres psychiques, moraux et spirituels, et de promouvoir une plus grande utilisation des sciences humaines et spirituelles.
Pour fonctionner, Humanae vitae compte disposer d’une Unité de Formation, d’un Centre de prise en charge psycho-spirituelle et de réinsertion psycho sociale (Centre Padre Pio) et d’un Observatoire pour la promotion humaine, la cohésion familiale et sociale (Observatoire Jean Paul II).
L’Institut veut renforcer les capacités des religieux et des laïcs en psycho-spiritualité et en sciences humaines sur l’ensemble du territoire ivoirien par des cours, des séminaires, des ateliers et des sessions. Il vise également à renforcer l’encadrement adapté et l’assistance psychosociale des personnes moralement, spirituellement et psychologiquement fragilisées. L’amélioration de la cohésion familiale et sociale par la promotion des valeurs morales (publications, médiations, études, etc.) constitue aussi l’une des approches stratégiques de Humanae Vitae.
L’Institut dispose des compétences d’un riche réseau de spécialistes. Ecclésiastiques, anthropologues, psychologues, psychiatres et neuropsychiatres, experts nationaux et européens, participent à la vie de l’Institut.
Renseignements: Père Germain Gazoa, 06 BP 464 Abidjan 06, Côte d’Ivoire, e-mail : gazoag@yahoo.fr, tél. : + 225 44 29 30 15.
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