Immeuble de Londres: l'affaire connaît des rebondissements
Le tribunal du Vatican doit prochainement publier le détail de la sentence prononcée le 16 décembre 2023 à l’issue du grand procès financier de l’affaire dite «de l’immeuble de Londres», qui avait abouti à la condamnation de neuf des dix accusés, et notamment du cardinal Angelo Becciu.
Alors que cette échéance – qui permettra aux défenses, mais aussi probablement au promoteur de justice, de faire appel – approche, cette affaire judiciaire a connu en ce début du mois de mars 2024 trois importants rebondissements, sur lesquels revient l’agence I.média.
Une enquête sur le frère du cardinal Becciu
Le 16 décembre dernier, le cardinal Becciu, ancien substitut, a été condamné en première instance à cinq ans et demi de prison, notamment pour le détournement de fonds de 125’000 euros que la secrétairerie d’État avait versés à une association caritative diocésaine de son diocèse d’origine, Ozieri (Sardaigne). Le cardinal ne nie pas le versement, mais assure qu’il a servi à financer la fabrication et la distribution gratuite de pain aux familles pauvres de la région.
La coopérative qui a reçu le versement est dirigée par le frère du cardinal, Antonino Becciu, et directement liée à la Caritas – l’organisme caritatif du diocèse, dont est responsable son évêque, Mgr Corrado Melis. En parallèle du procès impliquant le cardinal Becciu au Vatican, le procureur de Sassari en Sardaigne avait procédé à plusieurs perquisitions visant Mgr Melis et Antonino Becciu en 2022.

Des éléments récoltés par les enquêteurs italiens – notamment des enregistrements d’une conversation du pape et du cardinal Becciu – avaient été présentés lors du procès par le promoteur de justice. En avril 2023, Antonino Becciu avait refusé de témoigner lors du procès impliquant son frère, affirmant craindre que ses propos soient utilisés contre lui par la justice italienne.
L’agence de presse italienne ANSA a annoncé le 12 mars dernier qu’une enquête menée par le procureur de Sassari (Sardaigne) visant Antonino Becciu, Mgr Melis, le directeur de la Caritas d’Ozieri et six autres personnes pour des faits de détournement de fonds et blanchiment d’argent était arrivée à sa conclusion – ce qui pourrait ouvrir la porte à un procès prochainement.
Les enquêteurs estiment qu’entre 2013 et 2023, les suspects ont capté plus de 2 millions d’euros d’un impôt religieux italien (le «8 pour mille») destiné au diocèse en les faisant passer par la coopérative Spes. Les représentants des suspects ont pour leur part assuré qu’ils allaient «clarifier les positions» des personnes impliquées, tandis que le cardinal Becciu est sorti de son silence en publiant une lettre dans laquelle il critique vivement la thèse des enquêteurs et soutient publiquement Mgr Melis et son frère.
Le scandale des «listes»
Au début du mois de mars, plusieurs médias italiens ont remarqué que certaines personnalités directement liées au procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’ se trouvaient dans une liste de noms que le lieutenant de la Guardia di Finanza Pasquale Striano a entrés dans une base de données confidentielle exclusivement destinée à la lutte contre la mafia. Parmi ces noms, sur lesquels des recherches ont été faites entre 2019 et 2020, figurent ceux de Raffaele Mincione, Gianluigi Torzi, Cecilia Marogna et Fabrizio Tirabassi – tous condamnés, aux côtés du cardinal Becciu, par la justice vaticane en décembre dernier.
Pasquale Striano se retrouve aujourd’hui au centre d’un scandale en Italie parce qu’il est accusé d’avoir effectué des recherches sur certaines personnalités, notamment des membres du gouvernement de Giorgia Meloni. Il est en outre soupçonné d’avoir transmis ces informations à certains journaux, notamment L’Espresso et Domani.

L’Espresso avait publié une des premières enquêtes sur l’affaire de l’immeuble de Londres quelques jours seulement après que le pape François avait décidé, à la surprise générale, de retirer au cardinal Becciu ses responsabilités et ses droits en tant que cardinal. Interrogé en février 2023 lors du procès qui s’est ensuivi, le rédacteur en chef de Domani et ancien collaborateur de L’Espresso Emiliano Fittipaldi avait affirmé avoir obtenu certaines informations de la part d’un collaborateur d’un accusé – et non de sources judiciaires.
Le promoteur de justice du Vatican a depuis annoncé au quotidien Il Tempo qu’une préenquête sur ces faits avait été ouverte par son bureau. La justice italienne devrait prochainement transmettre au promoteur de justice du Vatican les éléments concernant le Saint-Siège.
Le quotidien italien Il Giornale – qui défend le cardinal Becciu depuis le début de l’affaire – estime pour sa part que ces recherches ont été effectuées à la demande du promoteur de justice, en vertu des pleins pouvoirs que lui avait octroyés le pape François pour son enquête. Il aurait alors, selon le journal, fait appel à Pasquale Striano en lui demandant de «déterrer les amis de Becciu».
Un procès injuste?
En octroyant un pouvoir exceptionnel au promoteur de justice Alessandro Diddi, le pape François a-t-il remis en cause le droit des accusés à un «procès équitable»? C’est la thèse qui est défendue dans une publication, parue en mars dans la revue Stato e Chiese, et intitulée «Le ‘procès du siècle’ au Vatican et les violations du droit».
Le texte est l’œuvre d’un professeur de droit canonique de l’Université de Bologne, Geraldina Boni, par ailleurs consultrice du dicastère pour les Textes législatifs depuis 2011. Selon le site vaticaniste américain The Pillar et l’agence de presse AP, cette canoniste a aussi été consultée par l’équipe en charge de la défense du cardinal Becciu.

La canoniste reproche au pape d’avoir modifié à quatre reprises secrètement la loi du Vatican pour donner «carte blanche» au promoteur de justice pour son enquête, lui accordant dès lors un avantage par rapport aux personnes accusées – parce que ces dernières ne connaissaient pas la nature de ces changements. Cette thèse, soutenue par d’autres universitaires, a été reprise par certains avocats de la défense pendant le procès qui s’est conclu en décembre dernier.
Le vaticaniste et canoniste Ed Condon du site The Pillar réfute néanmoins l’affirmation de Geraldina Boni selon laquelle le pape a «changé la loi», insistant sur le fait que les quatre rescrits du pape «garantissent une exception» en raison du contexte particulier de l’enquête. Le pape a en fait permis au promoteur de justice de ne pas rendre des comptes à la secrétairerie d’État, l’entité sur laquelle il était justement censé enquêter, et de pouvoir outrepasser le secret qui protégeait certaines personnes impliquées. (cath.ch/imedia/cd/bh)