Le procès dit "de l'immeuble londonien" s'est ouvert au Vatican en 2021 | © Vatican Media
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Immeuble de Londres: le promoteur de justice accusé de complotisme

Lors de la 73e audience du procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’ le 19 octobre 2023, la défense de Fabrizio Tirabassi a enjoint la justice vaticane à ne pas céder à la logique du «bouc émissaire» à l’encontre de l’ancien official de la secrétairerie d’État. «La raison d’État plane sur cette enquête», a-t-elle dénoncé, déplorant une absence de preuve.

Depuis 2021, le tribunal du Vatican se penche sur les responsabilités de dix personnes, dont plusieurs ex-membres de la Curie romaine, dans les irrégularités observées autour de l’acquisition et la gestion d’un immeuble situé à Londres. Selon le promoteur de justice, l’investissement aurait entraîné entre 139 et 189 millions d’euros de pertes pour le Saint-Siège.

Fabrizio Tirabassi, qui a travaillé dans la première section de la secrétairerie d’État sous les ordres du substitut Angelo Becciu, lui aussi assis sur le banc des accusés, fait l’objet de 18 chefs d’inculpation parmi lesquels ceux d’abus de pouvoir, de corruption et d’extorsion. Le promoteur de justice a notamment requis à l’encontre de l’ancien fonctionnaire 13 ans et 3 mois de prison, une interdiction perpétuelle de la charge publique et 18’750 euros d’amende.

Me Cataldo Intrieri, l’avocat de l’expert-comptable italien, a contesté l’ensemble des chefs d’accusation. Tout au long de sa plaidoirie, il s’est attaché à déconstruire le réquisitoire du promoteur de justice Alessandro Diddi, affirmant qu’il a transformé cette affaire en une «colossale conspiration».

Revenant sur la genèse de l’affaire judiciaire, il a estimé qu’elle résultait de la «dénonciation folle» de Gian Franco Mammi, directeur de l’Institut des œuvres de religion (IOR), effectuée auprès du bureau du promoteur de justice en juillet 2019 – qui est à l’origine du procès. Pour l’avocat, cette plainte aurait alors engendré «un tremblement de terre institutionnel, qui provoque la déloyauté, la discorde, qui divise les institutions de l’État…».

C’est dans cette tourmente comparable à une «guerre civile» qu’a été alors pris son client, mais sans réel motif , a affirmé l’avocat. Me Intrieri a insisté sur le fait que Fabrizio Tirabassi n’avait jamais pris une décision sans en référer à son supérieur direct, Mgr Alberto Perlasca. Ce dernier, considéré comme un des témoins clés de ce procès, dirigeait le bureau chargé des investissements au sein de la secrétairerie d’État. «On ne peut pas se décharger sur le subordonné incapable pour continuer à s’en sortir», a insisté l’avocat.

Me Intrieri a aussi rappelé que son client avait prévenu l’actuel substitut, Mgr Edgar Peña Parra, d’avoir été trompé par Gianluigi Torzi dans une note envoyée dès décembre 2018. À la suite de négociations à Londres auxquelles Fabrizio Tirabassi avait participé, le Saint-Siège avait en effet perdu le contrôle de la gestion de l’immeuble au profit du courtier Torzi, ce dernier en profitant pour réclamer une forte compensation au Saint-Siège.

Me Intrieri a ensuite dénoncé les liens qui unissent Mgr Perlasca à Genoveffa Ciferri, une proche de ses parents, et à Francesca Immacolata Chaouqui, personnalité déjà condamnée par la justice vaticane. Selon l’avocat, ces dernières auraient discrètement œuvré contre le cardinal Becciu, Enrico Crasso (autre accusé) et son client ; et ainsi, elles auraient influencé le procès.

«Personne ne peut affirmer que nous avons mis une lire dans notre poche grâce à cette histoire», a encore souligné l’avocat italien, déplorant que le promoteur de justice reproche à son client les pertes financières résultant de l’investissement dans l’immeuble londonien. «S’il avait permis à l’Église de réaliser un profit, ce type d’investissement aurait-il été contesté par quelqu’un comme étant un détournement de fonds?», s’est-il interrogé rhétoriquement, rappelant qu’un «mauvais investissement n’est pas un délit».

De 2004 à 2009, Fabrizio Tirabassi aurait touché plus de 1,3 million d’euros en rétrocessions versées par la banque suisse UBS, en tant que mandataire administratif de fonds appartenant à la secrétairerie d’État. Une méthode que le promoteur de justice du Vatican considère aujourd’hui comme de la corruption. Cependant, Me Intrieri a affirmé que ces rétrocessions étaient d’une part légitime, car autorisées par deux substituts successifs – les cardinaux Sandri et Filoni – et d’autre part sans rapport avec la transaction impliquant Sloane Avenue.

L’avocat a aussi minimisé la valeur des médailles – provenant du Vatican – que les enquêteurs ont trouvées chez Fabrizio Tirabassi.

Soulignant enfin la «forte charge symbolique» du procès dans un contexte de réforme des structures économiques du Saint-Siège lancée par le pape François, Me Intrieri a mis en garde contre le risque qui pèse sur le procès de s’en prendre à des «boucs émissaires». «Lorsqu’un système entre en crise parce qu’il n’a pas la capacité de s’autocritiquer et qu’il n’est pas en mesure de gérer les conflits qui surgissent en son sein, le choix d’une victime sacrificielle est la solution la plus simple pour rétablir l’équilibre perdu», a-t-il insisté.

Si Me Intrieri a fini son intervention, la défense de Fabrizio Tirabassi n’en a pas encore terminé, un second avocat, Me Massimo Bassi, devant conclure la plaidoirie le 6 décembre. Ce 20 octobre, le procès se poursuit: le tribunal entend la défense de l’avocat Nicola Squillace. Il est notamment accusé d’escroquerie aggravée, de détournement de fonds aggravé et de blanchiment d’argent. (cath.ch/imedia/cd/gr)

Le procès dit «de l'immeuble londonien» s'est ouvert au Vatican en 2021 | © Vatican Media
20 octobre 2023 | 15:19
par I.MEDIA
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