Vatican: Immeuble de Londres: retour sur un procès laborieux 2/2
Le procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’ touche à sa fin: entre le 13 et le 16 décembre 2023, le juge Giuseppe Pignatone devrait rendre son verdict, après plus de 80 audiences et près de deux ans et demi de procédure. Voici la suite de l’analyse d’un procès hors norme pour le Vatican.
Camille Dalmas et Isabella de Carvalho/I.Média
Durant le procès, le promoteur de justice a affirmé que les accusés n’avaient pas respecté les normes financières en vigueur au Vatican, notamment celles présentes dans l’ancienne constitution apostolique Pastor Bonus. Les avocats de la défense lui ont rétorqué que ce n’était pas le cas et que la secrétairerie d’État avait en outre déjà effectué des investissements spéculatifs similaires à celui de l’immeuble de Londres auparavant, en plaçant son argent dans le secteur pétrolier ou dans des hedge-funds.
Une secrétairerie d’État défaillante
«C’est un fait incontestable que la secrétairerie d’État gérait des réserves patrimoniales très importantes, et ce avant même l’arrivée de Mgr Becciu», a ironisé un des avocats de la défense, avant d’affirmer: «les marchands du temple, s’il y en avait, étaient là depuis longtemps».
Encore plus qu’une éventuelle malveillance, le procès a peu à peu révélé une forme d’amateurisme présent au plus haut niveau de la Curie romaine, avec des lacunes certaines dans le domaine économique. Pour un dirigeant d’une des structures financières du Saint-Siège consulté par I.Média, c’est cette incompétence fréquente au Vatican qui aurait permis par le passé à certaines personnes d’attirer le Saint-Siège «dans des opérations financières totalement défavorables».
Le procès aura été l’occasion de lever le voile sur une secrétairerie d’État souffrant de réelles défaillances, et parfois déchirée par des tensions importantes. La justice vaticane a en quelque sorte fait le procès d’un système largement réformé depuis.
En effet, le pape François a retiré tout pouvoir économique – notamment sa gestion du Denier de Saint-Pierre – à la secrétairerie d’État dans un motu proprio publié le 28 décembre 2020. Cette décision a ensuite été intégrée dans sa grande réforme de la Curie romaine avec l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium le 1er juin 2022.
Un système judiciaire très remanié
Après le lancement de l’investigation sur les finances de la secrétairerie d’État en juin 2019, le pape François a en outre publié quatre motu proprio qui semblent avoir préparé l’ouverture du procès en juillet 2021. Le but de ces lois était de renforcer l’arsenal judiciaire de l’État de la Cité du Vatican, ou, pour reprendre les mots du pape le 27 mars 2021, de «surmonter des pratiques qui ne répondent pas toujours au besoin de rapidité exigé par la dynamique de l’enquête».
Les motu proprio promulgués par le pape les 16 mars 2020, 9 octobre 2020 et 8 février 2021 ont en fait renforcé l’autorité et l’autonomie du Bureau du promoteur de justice. La défense, au cours du procès, a en outre révélé l’existence de quatre autres «décrets secrets» signés par le pape qui donneraient au promoteur de justice ‘carte blanche’ pour mener son investigation sur les finances de la Curie romaine.

Enfin, le motu proprio du 16 mars 2021, promulgué quelques mois seulement avant le lancement du procès, autorisait l’inculpation d’un cardinal par un tribunal civil, ce qui était jusqu’alors réservé au seul tribunal ecclésiastique de la Signature apostolique. Une décision qui a permis au promoteur de justice d’inculper le cardinal Angelo Becciu quatre mois plus tard – une première dans l’histoire du petit État.
Depuis le début du procès, les avocats de la défense ont affirmé que le code juridique de l’État de la Cité du Vatican privait leurs clients des droits fondamentaux qui sont normalement accordés aux accusés dans des démocraties modernes. Les interventions juridiques du pape et la conduite de l’enquête par le promoteur de justice Alessandro Diddi ont été critiquées à l’intérieur comme à l’extérieur du tribunal.
Lors des plaidoiries, un avocat de la défense a même évoqué le précédent du cardinal Giovanni Morone, emprisonné par le pape Paul IV au XVIe siècle au terme d’une procédure inquisitoriale. Un autre a comparé les rescrits du pontife argentin au Dictatus papae de Grégoire VII, un manuscrit de nature juridique datant de 1075 qui défend le pouvoir absolu des papes.
Danger pour la crédibilité de la justice vaticane
Pour Me Luigi Panella, avocat de l’accusé Enrico Crasso, la réputation internationale du Vatican a été compromise par le procès en raison de l’impossibilité pour les suspects de bénéficier d’un procès équitable et de l’absence d’indépendance du système judiciaire du Vatican.
Ce dernier s’est retrouvé confronté à des défis juridiques très importants depuis le lancement du procès. Les tribunaux britanniques ont notamment statué à deux reprises contre le Vatican en 2021 et 2023 dans des procès intentés par les accusés Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione, qui protestaient contre le traitement que leur réservait la justice vaticane.

La faiblesse de cette dernière sur la scène internationale est aussi apparue lorsqu’elle a fait arrêter par Interpol l’accusée Cecilia Marogna à Milan en 2020. Alors qu’il existe des conventions internationales qui, de l’avis du bureau du promoteur de justice, permettent l’extradition de la jeune femme vers le Vatican, la justice italienne a considéré que le Traité du Latran devait être appliqué, ce qui a poussé le Vatican à retirer in extremis sa demande d’extradition.
Un risque financier pour le Saint-Siège
Le procès pose un autre risque au Saint-Siège, d’ordre financier cette fois-ci. Le promoteur de justice a affirmé lors du procès que le Denier de Saint-Pierre n’avait été utilisé que marginalement et les autorités vaticanes ont insisté ces dernières années sur le fait que le Denier n’avait pas été impacté par les pertes de la secrétairerie d’État.
Reste que les dons des fidèles ont été associés à l’affaire, même si de façon minime et indolore. Un problème important quand on sait que les dons pour le Denier – qui finance grandement le fonctionnement de la Curie – sont en baisse ces dernières années. Une image dégradée du fonctionnement économique du Saint-Siège pourrait ainsi avoir de graves conséquences.
À la veille du verdict, il est difficile de prédire les décisions que prendra le juge Giuseppe Pignatone. Et une procédure d’appel est fortement à envisager: «On peut s’attendre à ce que les accusés le fassent en cas de condamnation», confiait ainsi à I.Média le promoteur de justice Settimio Carmignani en novembre dernier. (cath.ch/imedia/cd/ic/bh)
Le procès de l’affaire dite 'de l’immeuble de Londres’ touche à sa fin: entre le 13 et le 16 décembre 2023, le juge Giuseppe Pignatone devrait rendre son verdict, après plus de 80 audiences et près de deux ans et demi de procédure. Analyse d’un procès hors norme pour le Vatican.