Immeuble de Londres: un avocat demande de «réinitialiser» le procès
Me Luigi Panella, l’avocat de l’accusé Enrico Crasso, a demandé à la justice vaticane de «respecter» et d’«appliquer la loi» pour juger son client, soulignant que des normes promulguées récemment par le pape François ont affecté le déroulé du procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’, lors de la 76e audience qui s’est déroulée le 9 novembre 2023.
Enrico Crasso est un banquier romain résidant en Suisse. Principal gestionnaire du patrimoine de la secrétairerie d’État entre 1993 et 2020, il est aujourd’hui accusé de fraude, détournement de fonds, abus de pouvoir, corruption, blanchiment d’argent et extorsion. Le promoteur a notamment requis à son encontre neuf ans et neuf mois de réclusion, une interdiction perpétuelle de l’exercice de la charge publique et 18’000 euros d’amende.
La procédure, a insisté l’avocat d’Enrico Crasso, est «caractérisée dès l’origine par une dérogation ad causam aux principes de liberté et de respect des droits de la défense». «Nous sommes complètement en dehors du code de procédure pénale», a-t-il déploré, parlant d’un procès suivant «d’autres règles», et rappelant que le Saint-Siège s’était engagé à défendre les valeurs des Droits de l’Homme.
Dans un registre parfois lyrique, Me Panella a en particulier dénoncé la façon dont le promoteur de justice Alessandro Diddi a abusé de la plenitudo potestatis – la plénitude du pouvoir, en latin – dont jouit le pape au Vatican. Il a accusé Diddi d’avoir poussé le pape à publier des rescrits qui délimitent sa fonction de promoteur de justice; l’avocat considère en effet que ces changements promulgués entre 2019 et 2020 sont problématiques puisque les enquêtes étaient déjà en cours.
Il a comparé les rescrits du pape au Dictatus papae de Grégoire VII, un manuscrit de nature juridique datant de 1075 dans lequel le pouvoir absolu papal s’affirme. «Je vous demande, Messieurs de la cour, de revenir à 2023», s’est enfin exclamé l’avocat italien, réclamant au juge Pignatone qu’il révoque l’ordonnance du 1er mars 2022 par laquelle il avait écarté toutes les voies d’exception présentées par la défense, notamment celle concernant ces rescrits, et de «réinitialiser» tout le procès.
La ‘confusion’ du promoteur de justice
Dans un second temps, Me Panella s’est attaché à démonter méthodiquement l’ensemble du réquisitoire du promoteur de justice Alessandro Diddi, qui accuse son client d’avoir mal géré l’argent que lui a confié le Saint-Siège. Il a insisté sur le fait qu’Enrico Crasso gérait l’argent du Saint-Siège en tant qu’employé du Crédit Suisse – puis, dans un second temps, d’une autre entreprise qu’il avait fondée, la SOGENEL – mais jamais en tant qu’agent public du Saint-Siège.
L’avocat a accusé le promoteur de « confondre expressément la gestion des investissements de la secrétairerie d’État avec la gestion du client ›secrétairerie d’État’». «Il n’a jamais reçu un centime de la secrétairerie d’État», a-t-il insisté, déplorant une confusion qui permettrait selon lui d’écarter 12 chefs d’accusation sur les 20 dont son client est accusé.
Dans son réquisitoire, le promoteur de justice Alessandro Diddi avait clairement dénoncé le recours à un «crédit lombard», affirmant que cette forme d’emprunt constituait une violation des normes du droit canon et de la Constitution apostolique Pastor Bonus. Une position qu’a contestée Me Panella, affirmant que le recours à un tel crédit était «irréfutablement» une «excellente solution pour la secrétairerie d’État» parce qu’elle lui assurait une «plus-value de 16 millions d’euros». «Qu’aurait dit le Seigneur de la parabole des talents d’une telle situation?», a-t-il demandé rhétoriquement.
L’avocat a aussi affirmé que ce type d’investissements dans des fonds d’investissements n’était pas inhabituel au sein de la secrétairerie d’État. Il a même avancé qu’on pouvait trouver des investissements «comparables» à l’époque où le cardinal Leonardo Sandri était substitut – entre 2000 et 2007 – et même depuis «les années 1990».
Me Panella a finalement récusé l’accusation selon laquelle Enrico Crasso avait été complice du courtier Gianluigi Torzi. C’est ce qu’avait affirmé le promoteur, qui considère que Crasso et l’official Fabrizio Tirabassi ont facilité la signature d’un contrat en novembre 2018 qui a donné le contrôle de l’immeuble londonien à Torzi. Cette opération aurait, selon le promoteur, facilité l’extorsion dont est accusé ce dernier quand le Vatican a tenté de reprendre le contrôle de son bien.
Me Luigi Panella continue sa plaidoirie le 10 novembre. La défense de Mgr Mauro Carlino sera entendue le 20 novembre, suivie par celle de Gianluigi Torzi le 21 novembre et par celle du cardinal Angelo Becciu le 22 novembre. (cath.ch/imedia/cd/ic/bh)