Mgr Perlasca interrogé dans les bâtiments de la gendarmerie vaticane | © Corriere della Sera
Vatican

Importante fuite de vidéos du témoin clé de l’immeuble de Londres

Des extraits vidéo tirés de trois interrogatoires de Mgr Alberto Perlasca – ancien cadre de la Secrétairerie d’État et témoin clé de «l’affaire de l’immeuble de Londres” – ont été publiés sur le site du Corriere della Sera le 3 décembre 2021. Ces interrogatoires, au cœur des débats depuis le lancement du grand procès financier du Vatican en juillet dernier, révèlent d’importants éléments sur cette affaire complexe.

Ces fuites sont tirées de trois interrogatoires différents menés dans les locaux de la gendarmerie vaticane en présence notamment du Promoteur de justice, Alessandro Diddi. Le premier aurait eu lieu le 29 avril 2020, le second le 31 août 2020 et le troisième le 23 novembre 2020. Le visage du témoin est systématiquement flouté. Le montage proposé par le quotidien italien fait près de 14 minutes.

Dès la publication des révélations du Corriere della Sera, dix-huit avocats de la défense ont signé un communiqué rédigé par l’avocat du cardinal Angelo Becciu, Me Fabio Viglione, condamnant fermement ces fuites.

Les avocats soulignent que cette diffusion contrevient à la loi du Vatican qui stipule qu’aucun extrait ne peut être divulgué publiquement s’il n’a pas été présenté lors d’une audience. Ils dénoncent l’établissement d’un «procès parallèle» et critiquent une nouvelle fois le non-respect des procédures dans ce procès.

Ingénuité, superficialité, stupidité

Le premier extrait dévoilé est tiré du premier interrogatoire de Mgr Perlasca, ancien responsabledu bureau administratif de la Première section de la Secrétairerie d’État. Il porte sur la façon dont le Saint-Siège en est venu à confier l’acquisition de l’immeuble de Londres – qui aurait par la suite entrainée des pertes estimée à une somme avoisinant les 100 millions d’euros – à l’homme d’affaire italo-britannique Raffaele Mincione.

Pendant l’entretien, Mgr Perlasca affirme que les membres de la Secrétairerie d’État n’ont pas agi par appât du gain: «On peut parler d’ingénuité, on peut parler de superficialité, on peut parler de stupidité», reconnaît-il, mais nie farouchement toute malveillance.

Selon lui, ils auraient tous été «fascinés» par Raffaele Mincione, qu’il décrit comme un «charmeur». «Peut-être que le projet nous plaisait trop», concède-t-il ensuite. Il réaffirme néanmoins qu’ils ont agi seulement «dans l’intérêt de la Secrétairerie d’État».

Mgr Perlasca se défend

Le second extrait est tiré du même entretien et avait déjà été partiellement mais légalement transmis par Me Viglione. L’entretien porte sur les conditions dans lesquelles la Secrétairerie d’État a négocié un accord avec le courtier Gianluigi Torzi conduisant à lui verser 15 millions d’euros – une extorsion selon la Justice vaticane.

Pendant l’entretien, Mgr Perlasca semble avancer l’idée que l’ordre de négociation avait été acceptée par le pape François, une information que conteste avec véhémence le Promoteur de justice. Le prélat affirme en outre s’être opposé dès le début personnellement à cette négociation, et que c’est pour cette raison que Gianluigi Torzi avait rompu les relations avec lui et qu’il avait ensuite été mis à l’écart par Mgr Edgar Peña Parra, le successeur du cardinal Becciu au poste de substitut de la Secrétairerie d’État.

Changement de stratégie

Le troisième extrait est le début du second interrogatoire pendant lequel Mgr Perlasca semble changer de position. Il déclare ne pas être animé par du ressentiment contre ceux qui ont agi contre lui «de façon très incorrecte». Ces derniers, clame-t-il, lui ont attribué des responsabilités «inimaginables et impensables».

Dans le quatrième extrait, issu du même interrogatoire, il affirme ne pas comprendre pourquoi les autres acteurs n’ont pas été d’accord avec lui pour empêcher l’accord avec Gianluigi Torzi. Il nomme trois des acteurs concernés – deux membres de la Secrétairerie d’État, Fabrizio Tirabassi et Enrico Crasso, et un architecte, Luciano Capaldo – les mettant clairement en cause.

Le cas de Cecilia Marogna

Le cinquième extrait, toujours issu du même interrogatoire, concerne des cadeaux qu’aurait fait le gestionnaire des finances de la Secrétairerie d’État, Enrico Crasso, à Mgr Perlasca. Ce dernier les présente au Promoteur de justice : il s’agit d’une montre encore dans son emballage, d’un iPad, d’un stylo Parker et d’un sac pour ordinateur. Il dit aussi avoir reçu deux billets pour aller voir un opéra dans les arènes de Vérone.

Le sixième extrait, toujours issu du même interrogatoire, concerne le cas du cardinal Becciu et de Cecilia Marogna et les conditions dans lesquelles cette dernière, qui se présente comme une spécialiste en diplomatie informelle, a touché «près de 575.000 euros» en plusieurs versements effectués par Mgr Perlasca.

«Je ne savais même pas que c’était une femme», affirme-t-il, disant l’avoir appris pendant l’interrogatoire «Pour moi cette personne était un numéro», insiste-t-il.

Ayant finalement été informé du problème qu’elle représentait, le prélat explique avoir rendu visite au cardinal Becciu en pensant qu’il «était victime d’un détournement de fonds». Ce dernier, affirme-t-il, lui aurait assuré qu’il connaissait «très bien» Cecilia Marogna et qu’elle travaillait pour lui.

Becciu demande à Perlasca de télécharger Signal

L’extrait s’interrompt alors et reprend plus tard : Mgr Perlasca raconte être retourné voir le cardinal Becciu pour l’informer de l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les versements à Cecilia Marogna. Le haut prélat aurait été «extrêmement troublé» et «serait devenu extrêmement en colère», explique le témoin, et lui aurait reproché d’avoir maintenu les versements à la jeune femme.

Mgr Perlasca lui aurait alors affirmé qu’il ne pouvait pas annuler des versements «ordonnés par le Saint-Père». Une version qui correspond à une autre fuite parue dans la presse italienne il y a plus d’un an. Celle-ci révélait des échanges entre les deux hommes dans lesquels le cardinal Becciu expliquait à Mgr Perlasca que la demande de versement des sommes à Cecilia Marogna venait du pape François en personne.

Le cardinal Becciu aurait alors demandé à Mgr Perlasca de télécharger la messagerieSignalpour leurs futurs échanges. Dans le même entretien, le Promoteur de justice évoque aussi l’existence d’une enveloppe en cash de 14.150 euros demandée par le cardinal Becciu, qui était le supérieur direct de Mgr Perlasca jusqu’en 2018.

Un «trésor» à l’APSA

Le dernier extrait est issu du dernier interrogatoire, plus tardif, et porte sur le transfert entre 2016 et 2017 de pièces d’or et d’argent «abandonnés» dans les locaux de l’Administration du Patrimoine du Siège apostolique – la banque publique du Vatican – vers la Secrétairerie d’État. Certaines étaient frappées des effigies du pape Paul VI et de Jean Paul II, explique-t-il.

L’opération a été effectuée par Mgr Perlasca, qui explique ne pas avoir gardé de traces de ce transfert, la tâche étant «énorme» selon lui. Les pièces devraient être «en bas» dans les locaux de la Secrétairerie d’État, déclare-t-il.

Ce butin en évoque un autre, celui trouvé par la Guardia di Finanzalors d’une perquisition chez l’ancien official de la Secrétairerie d’État Fabrizio Tirabassi le 13 octobre 2020, soit à peine quelques jours avant l’interrogatoire. Outre 600.000 euros en cash, la justice italienne avait mis la main sur une importante quantité de pièces d’or et d’argent de grandes valeurs ainsi que des médailles précieuses.

L’ancien économe de la Secrétairerie d’État avait à l’époque expliqué que ces pièces étaient un héritage lié à l’activité numismatique de son père dans les Abbruzes. (cath.ch/i.media/cd/cmc)

Mgr Perlasca interrogé dans les bâtiments de la gendarmerie vaticane | © Corriere della Sera
5 décembre 2021 | 07:00
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 5 min.
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