Inde: Jean Paul II offre aux évêques catholiques asiatiques les fruits du Synode pour l’Asie

Publication de l’exhortation post-synodale «Ecclesia in Asia»

De notre envoyée spéciale Caroline Boüan

New Delhi, 7 novembre 1999 (APIC) Le pape Jean Paul II a offert samedi aux évêques d’Asie rassemblés à New Delhi les fruits de l’assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Asie, qui s’est tenue à Rome du 18 avril au 14 mai 1998. Signée officiellement par Jean Paul II le 6 novembre 1999 dans la capitale indienne, ce document important intitulé «Ecclesia in Asia» conclut le Synode pour l’Asie dont le thème était: «Jésus-Christ le Sauveur, et sa mission d¹amour et de service en Asie».

«Vous évêques, vous êtes appelés à vous engager toujours plus pour répandre l’Evangile du salut dans toute l’Asie», a lancé Jean Paul II samedi soir dans la cathédrale du «Sacré Cœur» de New Delhi, construite en pierres rouges dans les années 30. Le pape s’adressait en anglais à quelque 300 évêques vêtus de soutanes blanches. Venus d’une quarantaine de pays d’Asie – 150 d’entre eux étaient Indiens -, ils étaient entourés de laïcs, prêtres et religieuses, certaines d’entre elles étant habillées de saris, à l’instar de quelques sœurs Missionnaires de la Charité, la congrégation fondée par Mère Teresa de Calcutta.

Une profession de foi ardente en Jésus Christ le Sauveur

Avant de signer solennellement l’exhortation apostolique «Eglise en Asie», concluant le Synode qui s’était tenu au printemps 1998 au Vatican, Jean Paul II a lancé un nouvel appel en faveur des victimes du cyclone dans l’Etat indien d’Orissa, invitant la communauté internationale à leur apporter une aide urgente. Abordant ensuite la question du Synode, le pape a souligné que l’assemblée réunie un an et demi auparavant avait donné lieu à «une profession de foi ardente en Jésus Christ le Sauveur».

Le Synode «reste un appel à la conversion, pour que l’Eglise en Asie puisse devenir toujours plus digne de la grâce constamment donnée par Dieu», a-t-il déclaré. «La question n’est pas de savoir si l’Eglise a quelque chose de fondamental à dire aux hommes et aux femmes de notre temps, mais comment elle peut le dire de manière claire et efficace».

Les fondamentalistes hindous n’acceptent pas l’évangélisation

Un tel discours et cette exhortation vont faire réagir les fondamentalistes hindous qui refusent que le pape parle d’évangélisation et de conversion, a confié à Caroline Boüan, envoyée spéciale de l’APIC en Inde, Thomas Dominic, journaliste indien chargé de couvrir la visite de Jean Paul II à New Delhi pour le quotidien national «Malayala Manorama». «Il y aura des réactions dans la presse à la suite d’un tel discours», confirme à l’APIC le Père Dominique Emmanuel, porte-parole de la Conférence épiscopale indienne. «De nombreux non-chrétiens en Asie ne peuvent pas accepter que le Christ soit présenté comme l’unique sauveur de l’humanité», précise-t-il. Mais pour le porte-parole indien, «le pape a le droit de dire que telle est notre foi». «Jean Paul II s’oppose lui-même aux conversions forcées», fait-il remarquer, «et il défend la liberté de conscience pour chacun au plan religieux».

Le même jour en effet, le quotidien «Times of India» publiait une lettre ouverte au pape, écrite par un théologien hindou renommé, Swami Dayananda Saraswati, accusant l’Eglise catholique – sans toutefois la nommer – d’avoir «un programme planifié de conversions». «Du fait que certaines religions et cultures ne convertissent pas, les tentatives pour les convertir sont des agressions unilatérales», écrit Swami Dayananda Saraswati à Jean Paul II. «En convertissant, vous convertissez aussi les non-violents à la violence».

La lettre du théologien hindou a trouvé indirectement une réponse lorsque Jean Paul II a pris la parole dans la cathédrale de New Delhi. «Que personne ne craigne l’Eglise, a en effet lancé le pape. «Son unique but est de poursuivre la mission de service et d’amour du Christ». «Les chrétiens asiatiques se consacrent toujours plus à la défense de la dignité humaine et à la recherche de la justice», a encore souligné Jean Paul II. «Ma pensée se tourne vers les fidèles des autres religions qui regardent avec intérêt et respect cette rencontre», a-t-il assuré. «Que la paix soit avec vous tous !».

Plaidoyer du pape pour la liberté religieuse

Soulignant alors que «dans certains cas, les chrétiens asiatiques vivent dans des terres déchirées par des confits parfois présentés comme des effets de la religion», le pape les a encouragés à tout faire pour que la liberté de croyance et la liberté de culte soient respectées sur l’ensemble du continent. «Si ces droits fondamentaux sont niés, c’est alors tout l’édifice de la dignité et de la liberté humaine qui est ébranlé», a-t-il expliqué, en déplorant que dans certaines parties de l’Asie, la proclamation explicite de l’Evangile soit interdite. Pour le pape en effet, le dialogue interreligieux doit comporter une annonce claire du Christ comme celui en qui se trouve «la plénitude de la vie à laquelle l’humanité aspire» et que l’Asie a «toujours recherchée avec un ferveur particulière».

Une exhortation de 150 pages

En quelque 150 pages et sept chapitres de son exhortation post-synodale, le pape parle fréquemment à la première personne, mais évoque paragraphe après paragraphe les propositions faites par les évêques lors de l’Assemblée synodale. Dès l’introduction, le document souligne que si c’est en «terre asiatique» que Dieu «a choisi de commencer son plan de salut», c’est là aussi que «se pose plus intensément la question de la rencontre du christianisme avec les cultures et les religions locales très anciennes». Ce grand défi pour l’évangélisation a été abordé par les évêques lors du Synode, rappelle Jean Paul II, qui déplore que les évêques de Chine n’aient pas pu y participer.

C’est en Asie, souligne d’emblée le document, que des croyants ont commencé à découvrir le Dieu dont parle la Bible. De même, c’est dans une petite «portion de l’Asie de l’Ouest» que Jésus est né et a vécu. «Jésus a connu et aimé cette terre. Il a fait siennes l’histoire, les souffrances et les espérances de son peuple. Il a aimé ce peuple et adopté ses traditions et son héritage juifs.» Comment se fait-il qu’après 2000 ans Jésus ne soit pas mieux connu sur le continent qui l’a vu naître? «Mystère», répond le pape, qui en tire aussitôt la conclusion qui a provoqué la convocation du Synode des évêques pour l’Asie: l’évangélisation, mission essentielle de l’Eglise appelée à «mieux faire connaître Jésus Christ à tous», «doit être une priorité absolue».

Décrivant les réalités «diverses et complexes de l’Asie», le document qui présente le résultat des réflexions des Pères du Synode relève que l’Asie est le continent le plus étendu de la terre, habité par environ deux tiers de la population mondiale, la Chine et l’Inde comptant près de la moitié de la population totale du globe. La présence chrétienne y est très minoritaire. Parlant des difficultés de certains pays liées à la croissance de leur population, le pape insiste sur le problème moral posé, lorsqu’on met en œuvre de «fausses solutions qui menacent la dignité et l’inviolabilité de la vie» comme les avortements dont sont victimes surtout les filles. Ces dernières sont parfois même tuées après leur naissance.

Respect des autres religions, mais leur accomplissement est en Jésus-Christ

Sur le plan religieux, le document rappelle que l’Asie est le berceau des plus grandes religions du monde ­ judaïsme, christianisme, islam et hindouisme, des traditions spirituelles comme le bouddhisme, le taoïsme, le confucianisme, le zoroastrisme, le jaïnisme, le sikhisme et le shintoïsme, et qu’en outre, des millions de personnes adhèrent à des religions traditionnelles ou tribales. «L’Eglise a le respect le plus profond pour ces traditions et elle cherche à engager un dialogue sincère avec leurs adeptes», affirme le pape, mais «les valeurs religieuses qu’elles enseignent attendent leur accomplissement en Jésus-Christ «.

Le document salue le «sens spirituel inné» et la «sagesse morale» caractéristiques de l’âme asiatique qui, bien que résistant à l’influence de la modernisation et de la sécularisation, sont menacées par des médias et des industries du spectacle qui mettent en cause les valeurs traditionnelles, en particulier le caractère sacré du mariage et la stabilité de la famille.

Certes, relève le document romain, si les peuples asiatiques sont connus pour leur esprit de tolérance religieuse et de coexistence pacifique, on doit toutefois constater en Asie l’existence de tensions exacerbées et de conflits violents. Sur le plan économique, l’exhortation post-synodale mentionne les grandes disparités entre les différents pays. Le pape se réjouit de la croissance économique récente de nombreuses sociétés asiatiques mais fait remarquer que «tout n’est pas stable ni solide dans ces progrès», comme cela est apparu dans les récentes et graves crises financières. Le pape dénonce la corruption et insiste sur la réalité persistante de la pauvreté et de l’exploitation dans les pays asiatiques, le développement du crime organisé, du terrorisme et de la prostitution, et «l’exploitation des catégories les plus faibles de la société». Le document signale également l’influence parfois «dévastatrice» que peut avoir le tourisme, notamment par la prostitution des femmes et des enfants.

Jérusalem, clef de la coexistence pacifique

Sur le plan politique, le document note que les dictatures militaires et les idéologies athées sont restées très présentes en Asie, et déplore le manque de liberté religieuse dans certains pays ­ et en particulier la Chine -, où les chrétiens notamment n’ont pas le droit de pratiquer librement leur foi. Le pape souligne à quel point la tâche de l’Eglise est rendue plus difficile du fait qu’elle est minoritaire en Asie, sauf aux Philippines. Il rend hommage au «témoignage héroïque» de l’Eglise en Chine, aux efforts de l’Eglise en Corée du Sud pour venir en aide aux habitants de la Corée du Nord, et à «l’humble détermination» de la communauté catholique du Vietnam. Il déplore également «l’isolement» des chrétiens dans des pays comme le Laos et le Myanmar, et «la difficile coexistence avec la majorité» dans certains Etats à prédominance islamique. Enfin, Jean Paul II accorde une attention spéciale à la situation de l’Eglise en Terre Sainte et à Jérusalem, en réaffirmant son ardent désir de s’y rendre en pèlerinage. Il exprime la conviction que la paix dans la région et même dans le monde «dépend en grande partie de la paix et de la réconciliation qui, depuis si longtemps, sont restées lettre morte à Jérusalem».

Dans le deuxième chapitre, intitulé «Jésus, le Sauveur, un don pour l’Asie», le document souligne les difficultés que représente le fait d’annoncer le Christ comme «unique Sauveur» en Asie, du fait qu’il est souvent perçu comme étranger, et que beaucoup de religions asiatiques enseignent qu’elles sont elles-mêmes «des manifestations de Dieu qui procurent le salut». Pourtant, «partager la vérité de Jésus Christ avec les autres est le devoir solennel de ceux qui ont reçu le don de la foi», affirme le pape. «En lui, les valeurs authentiques de toutes les traditions religieuses et culturelles (…) trouvent leur plénitude et leur réalisation».

Appel à de nouveaux efforts missionnaires en Asie

La grande question est donc de savoir comment annoncer «la Bonne Nouvelle de Jésus Christ»: il ne peut y avoir de véritable évangélisation sans annonce explicite que Jésus est le Seigneur, affirment ensemble le pape et les Pères synodaux. «Cette insistance sur l’annonce ne vient pas d’un accès de sectarisme ni d’un esprit de prosélytisme, ni du moindre sens de supériorité», assurent-ils, mais «l’Eglise évangélise par obéissance au commandement du Christ, sachant que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu». Et de souligner que l’annonce qui respecte le droit des consciences ne viole pas la liberté, car la foi demande toujours une libre réponse de la part des personnes.

Le respect et l’estime envers les religions asiatiques ne suppriment pas «la nécessité d’une annonce explicite et intégrale de l’Evangile». Les Pères synodaux lancent donc un appel pour de «nouveaux efforts missionnaires dans les années à venir», spécialement en Sibérie et dans les pays de l’Asie centrale qui ont récemment obtenu leur indépendance, tels que le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et le Turkménistan.

Les Conférences épiscopales invitées à resserrer les liens avec Rome

Des remarques concrètes sont énoncées pour cette annonce du Christ. Jean Paul II encourage en effet les traductions de la Bible dans les langues locales, incite les théologiens à développer une «théologie inculturée», et invite à mettre l’accent sur la liturgie, du fait du «sens asiatique du culte et de la prière». Dans ce domaine, le pape encourage les Conférences épiscopales à œuvrer en «contact plus étroit» avec la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, parce que, affirme-t-il, la liturgie étant liée à la «foi unique professée par tous», elle ne peut pas «être déterminée par les Eglises locales isolément».

Comment parler du Christ en revanche dans les pays où l’annonce explicite de l’Evangile est interdite ? L’unique moyen est alors «le témoignage silencieux», affirme le pape, mais l’Eglise ne doit pas se lasser en même temps d’attirer l’attention des gouvernements et de réclamer d’eux la reconnaissance de la liberté religieuse comme un droit humain fondamental. Mentionnant la Chine, Jean Paul II encourage les diverses Conférences épiscopales nationales en Asie à créer un service pour aider les Eglises qui n’ont pas une totale liberté.

La nécessaire unité de l’Eglise

Insistant sur la nécessité de l’unité de l’Eglise à tous les niveaux, il encourage celle des diocèses et des paroisses, dans lesquels doivent s’insérer les «communautés ecclésiales de base» «en ne laissant aucune place à l’isolationnisme ou à une exploitation idéologique», et les «mouvements de renouveau», qui ne doivent pas se présenter comme une substitution des structures diocésaines et de la vie paroissiale.

Abordant le dialogue interreligieux, le pape relève que seuls ceux qui sont dotés d’une foi chrétienne mûre et convaincue sont qualifiés pour s’impliquer dans un dialogue interreligieux authentique. Le pape propose, avec les Pères synodaux, de rédiger un directoire pour le dialogue interreligieux. Au chapitre du service de la promotion humaine, le pape met l’accent sur le travail pastoral de l’Eglise vis-à-vis des pauvres et des opprimés, des populations indigènes et autochtones, et de ceux qui subissent des discriminations. Il insiste sur les souffrances des enfants et des femmes, celles-ci étant particulièrement victimes de l’analphabétisme, ou traitées comme de simples objets pour la prostitution, pour le tourisme et pour l’industrie du loisir. «L’Eglise en Asie deviendrait un soutien plus visible et plus efficace de la dignité et de la liberté des femmes en encourageant leur rôle dans la vie de l’Eglise, y compris sa vie intellectuelle», affirme encore le pape.

Mettre un terme à l’usage des mines antipersonnel et des armes nucléaires et chimiques

Le document rappelle également la nécessité pour les chrétiens d’Asie de tout faire pour que soit respectée la vie des enfants à naître dans leurs pays respectifs. Il les encourage également à s’engager auprès des handicapés et des malades ­ en particulier ceux qui sont victimes du sida -, et à travailler dans le domaine de l’éducation, spécialement au sein des écoles catholiques, pour favoriser la promotion humaine notamment des pauvres et des marginaux.

Enfin, le pape lance un appel à ceux qui ont des responsabilités dans le gouvernement des nations pour qu’ils favorisent le désarmement et travaillent à mettre fin à l’usage des mines antipersonnel et des armes nucléaires, chimiques et biologiques. Jean Paul II mentionne alors spécialement l’Irak, et exprime sa solidarité face aux souffrances de sa population – et en particulier des enfants – victimes de l’embargo qui leur est imposé. Il lance également un nouvel appel pour l’allégement, sinon la suppression, de la dette des pays en voie de développement en Asie.

Soutien aux médias catholiques

Enfin, évoquant la nécessité d’intégrer le message de l’Evangile dans les moyens de communication sociales, le pape rend hommage, avec les Pères du Synode, à Radio Veritas Asia, la seule station radio continentale pour l’Eglise en Asie, qui existe depuis près de trente ans. Jean Paul II encourage les Conférences épiscopales et les diocèses d’Asie à la soutenir selon leurs possibilités, ainsi que les autres organes de presse catholiques qui existent. Le dernier chapitre de l’exhortation est un encouragement spécifique aux différents «témoins de l’Evangile» que sont les évêques, les prêtres et les diacres, les Instituts de vie consacrée et les sociétés missionnaires, les laïcs, la famille, les jeunes. Le pape y évoque le témoignage des martyrs, dont il souhaite qu’il soit «maintenant et toujours semence de vie nouvelle pour l’Eglise dans tout le continent.» (apic/imedia/be)

7 novembre 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 11  min.
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