Exclusion, rejet et oppression au sein même de l’Eglise
Inde: L’Eglise catholique s’engage à oeuvrer toujours davantage pour l’intégration des dalits
Bangalore, 19 mars 2009 (Apic) L’Eglise catholique en Inde a décidé de s’engager toujours davantage pour l’intégration des dalits – «opprimés», «hors castes» ou intouchables» – qui ne sont pas toujours traités avec égalité au sein même de la communauté chrétienne. Ainsi, en avril de l’année passée, un millier de chrétiens «dalits» s’étaient «reconvertis» à l’hindouisme, car ils rencontraient des problème de discrimination entre castes dans l’Eglise locale de la région de Tirunelveli, dans l’Etat indien du Tamil Nadu.
A l’issue d’une session commune, tenue la semaine dernière à Bangalore, dans l’Etat du Karnataka, la Commission pour les dalits et les peuples aborigènes et la Commission «Justice, Paix et Développement» de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) ont publié une déclaration engageant l’Eglise à travailler toujours davantage à l’intégration des dalits.
Le terme » dalit» en sanskrit signifie littéralement «écrasé, piétiné», un concept que revendiquent aujourd’hui les «intouchables» pour décrire leur oppression au sein du système traditionnel des castes de l’Inde (1). En dépit de l’abolition officielle, en 1950, de l’»intouchabilité» et la mise en place d’un système de discrimination positive par le gouvernement indien (2), la société indienne continue de considérer les dalits comme une population à part, note «Eglises d’Asie», le service d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).
Dans leur déclaration de clôture, les commissions épiscopales déplorent que les dalits qui deviennent chrétiens et sont en droit d’espérer vivre «dans une société juste et égalitaire» fassent encore aujourd’hui l’expérience de «l’horreur de l’exclusion, du rejet et de l’oppression», y compris au sein même de l’Eglise.
Huit évêques et 89 représentants de différentes régions de l’Inde assistaient, selon l’agence de presse catholique asiatique Ucanews, à cette session de réflexion, qui avait pour thème: «Construire une communauté non discriminatoire à travers la promotion sociale des dalits».
Trois membres sur quatre de l’Eglise de l’Inde font partie des «intouchables»
La Commission pour les dalits et les peuples aborigènes a proposé d’organiser des séminaires régionaux, ainsi que des sessions de formation pour faire connaître aux prêtres, aux religieuses et aux laïcs la situation des dalits chrétiens et rendre à ces derniers le respect auquel ils ont droit dans l’Eglise. D’autres propositions visaient le développement de la littérature ou de la recherche sur les dalits, ou encore la dénomination d’une «Eglise dalit», étant donné que trois membres sur quatre de l’Eglise de l’Inde font partie des «intouchables».
L’élaboration d’une théologie «davantage axée sur la non-discrimination» a été également un des sujets évoqués, un thème récurrent au sein des Eglises chrétiennes de l’Inde (4). En conclusion, la déclaration affirme que l’Eglise de l’Inde ne peut devenir «un authentique témoin de l’Evangile» que si elle aide le peuple dalit à se libérer en s’identifiant à ses aspirations, ses espoirs et ses luttes.
L’Eglise a toléré des compromis avec le système des castes en son propre sein
Au cours de la session, Mgr Anthonisamy Neethinathan, évêque de Chingleput, dans l’Etat du Tamil Nadu, a souligné le fait que la plupart des missionnaires avaient toléré ou fait des compromis avec le système des castes dans l’Eglise, et que cela continuait aujourd’hui, du moins dans certaines régions. Le prélat, lui-même dalit, se réfère à des événements récents qui se sont produits dans son diocèse, comme un conflit meurtrier en 2008 entre paroissiens dalits et ceux des basses castes, suivis de la conversion spectaculaire de 300 dalits chrétiens à l’hindouisme, essentiellement en raison de la forte discrimination qu’exerçaient contre eux les membres de leur communauté chrétienne appartenant à des castes supérieures.
Les dalits sont l’avenir de l’Inde et de l’Eglise
Mgr Neethinathan a cependant fait part de son espoir que l’Eglise de l’Inde arrive enfin à être «une seule et grande famille» où chacun pourrait trouver sa place, concluant que les dalits sont l’avenir de l’Inde et de l’Eglise.
Le Père G. Cosmon Arokiaraj, secrétaire de la Commission épiscopale pour les dalits et les peuples aborigènes, est, quant à lui, revenu sur la grande nécessité pour l’Eglise d’intégrer les revendications des dalits: «Nous devons mettre en place une option préférentielle pour les personnes marginalisées, spécialement les dalits, dans toutes nos missions». Le prêtre a déclaré que l’objectif de la consultation était de promouvoir l’intégration, l’émancipation et la non-discrimination dans le contexte indien.
La déclaration de la consultation de Bangalore s’inscrit dans une politique menée par l’Eglise depuis déjà de nombreuses années en faveur des dalits. En mars 2006, l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale indienne, par la bouche du cardinal Placidus Telesphore Toppo, rappelait que la marginalisation était le résultat du système des castes. L’archevêque de Ranchi avait ajouté que ce système avait des répercussions sur l’Eglise et qu’il était important de rappeler qu’il était «condamnable et conduisait au péché».
Parmi les dalits, les femmes sont encore moins considérées que les hommes et doivent faire face à une double discrimination. Elles sont les victimes non reconnues d’exactions récurrentes de la part des membres des castes supérieures, subissant violences, viols et même meurtres. Plus de 80 % d’entre elles vivent en zone rurale, où elles ne peuvent généralement avoir accès ni à l’éducation (seules 5 % d’entre elles savent lire au Rajasthan), ni aux soins de santé, ni à aucune promotion sociale ou participation politique. JB/EDA
(1) Le système des castes en Inde divise la société en quatre groupes hiérarchisés dominés par les brahmana (prêtres), suivis des kshatriya (guerriers), puis des vaisya (agriculteurs, propriétaires terriens, artisans, commerçants), et enfin des sudras, au service des autres castes. Les dalits, tout en bas de l’échelle, sont exclus du système: ce sont des avarnas (’hors castes’), considérés comme impurs (’intouchables’), ayant pour fonction d’exécuter les tâches jugées dégradantes. Ils sont, pour ces raisons, contraints à la ségrégation, encore souvent séparés dans les écoles, interdits d’entrée dans nombre de bâtiments publics, magasins, maisons et temples hindous ainsi que sur les lieux d’incinération, et fréquemment interdits d’accès à l’eau potable.
(2) Le dispositif indien de «postes réservés» fonctionne sur la base de quotas pour des emplois dans la fonction publique ou l’enseignement, accordés aux Scheduled Castes ( dalits) et aux Schedules Tribes (ST), peuples aborigènes, lesquels ne sont pas reconnus par le système des castes et sont exclus à la fois socialement et géographiquement.
(4) Par exemple, un colloque international sur la «théologie dalit» s’est tenu en janvier 2008 à Kolkata (Calcutta), dans l’Etat du Bengale-Occidental, organisé par le Conseil OEcuménique des Eglises et le Conseil pour la mission mondiale (Council for World Mission), deux organismes de mouvance essentiellement protestante. (apic/eda/be)