Pakistan: Pour la première fois un tribunal condamne une chrétienne à mort pour blasphème
Indignation dans le monde contre ces pratiques d’un autre âge
Lahore, 14 novembre 2010 (Apic) La condamnation à mort par pendaison d’Asia Bibi, une chrétienne pakistanaise, mère de famille âgée d’une quarantaine d’années, suscite de vives réactions dans le monde. L’accusation de blasphème envers Mahomet, en vertu de laquelle elle a été condamnée, est fausse, de l’avis de Mgr Bernard Shaw, évêque auxiliaire de Lahore. C’est dans son diocèse que se déroule cette affaire d’un autre âge, où pour la première fois une chrétienne est condamnée à mort pour blasphème.
Asia Bibi, qui attendait son jugement depuis 2009, a été condamnée à la peine capitale lundi 8 novembre par le tribunal de Sheikhupura dans la province du Punjab. Mgr Shaw, un évêque franciscain, a lancé «un appel éploré au Saint-Père Benoît XVI afin qu’il puisse prier, intercéder et se prodiguer en faveur d’Asia Bibi, la chrétienne condamnée à mort injustement pour blasphème».
L’évêque auxiliaire de Lahore demande la libération de cette mère de famille et invite la communauté internationale «à hausser le ton, à faire des pressions et à œuvrer à tous les niveaux en faveur du salut de cette femme qui est innocente. Nous disons à toutes les mères pakistanaises: Asia est une maman comme vous, défendez-la, ne permettez pas que ses enfants deviennent orphelins !».
D’après les informations d’»Eglises d’Asie», l’agence de presse des Missions Etrangères de Paris (MEP), l’affaire remonte à plus d’un an et s’est déroulée dans le village d’Ittanwalli au Punjab, où la famille de la jeune femme vit depuis des générations. Le 19 juin 2009, alors qu’elle travaille dans les champs, Asia Bibi est priée d’aller chercher de l’eau pour désaltérer le groupe. Mais les autres ouvrières, musulmanes, refusent de boire une eau impure apportée par une chrétienne.
Menaces pour qu’Asia Bibi renonce à sa foi
Les différentes versions des événements font état de menaces de la part du groupe de femmes sur Asia Bibi pour qu’elle renonce à sa foi. Celle-ci aurait ensuite été frappée avant d’être emmenée par une foule en colère devant les responsables religieux. «Release International», un groupe protestant de défense des chrétiens persécutés, qui recueilli des témoignages sur place, relate qu’Asia a été battue et ses deux filles molestées. La jeune femme aurait également été violée par un groupe de musulmans, dont des religieux. Alors que la foule avait décidé de la lyncher, des chrétiens du village ont appelé la police qui a alors arrêté Asia Bibi pour blasphème selon l’article 295 C du code pénal pakistanais.
La loi anti-blasphème punit de la prison à perpétuité les auteurs d’une profanation envers le Coran, et de la peine capitale toute insulte envers le Prophète (1). Ces derniers mois, les violences antichrétiennes commises au nom de cette loi se sont multipliées, en particulier au Punjab.
Le juge Naveed Iqbal, qui a prononcé le verdict, a déclaré avoir condamné la chrétienne en écartant «totalement toute circonstance atténuante». Pour être exécutée, la condamnation doit encore être validée par la Haute Cour de Lahore. Le mari d’Asia, Ashiq Masih, 51 ans, a déjà déclaré qu’il ferait appel de la sentence.
Selon «Release International» et d’autres associations de défense des droits de l’homme, il s’agirait de la première condamnation à mort pour blasphème prononcée par une cour de justice au Pakistan. Jusqu’à présent, bien qu’elle soit potentiellement applicable, la peine capitale pouvait être commuée en emprisonnement à vie, mais il arrive aussi fréquemment qu’une foule fanatisée décide de «faire justice» elle-même. Il s’agit alors d’un lynchage, une exécution extrajudiciaire sur laquelle les forces de l’ordre ferment habituellement les yeux. Il arrive aussi que le condamné meure en prison dans des circonstances troubles (2).
Un véritable outrage à la dignité humaine et à la vérité
A l’annonce de la sentence, plusieurs associations chrétiennes ont appelé les différentes instances du Pakistan ainsi que la communauté internationale à réagir. «Il s’agit d’un véritable outrage à la dignité humaine et à la vérité. Nous ferons tout pour que le jugement soit cassé en appel», a déclaré à l’agence vaticane Fides Peter Jacob, secrétaire exécutif de la Commission «Justice et Paix» de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan.
Vendredi 12 novembre, le «Pakistan Christian Congress» a demandé à l’Union Européenne de faire pression sur le gouvernement pakistanais pour qu’Asia Bibi soit libérée et que les lois anti-blasphèmes soient abrogées. Le Parlement européen a adopté il y a quelques mois une résolution «sur la liberté religieuse au Pakistan» dans laquelle il dénonce les lois anti-blasphème qui «peuvent entraîner la peine de mort».
La sentence du tribunal a également été condamnée par des associations humanitaires et des ONG non-confessionnelles telle «Human Rights Watch», dont le représentant au Pakistan, Ali Dayan Hasan, a réclamé l’abrogation d’une loi «utilisée contre les groupes les plus vulnérables, discriminés politiquement et socialement». Quant au ministre italien des affaires étrangères, Franco Frattini, en visite à Islamabad, il a fait part, au nom de son gouvernement, de l’indignation provoquée par la nouvelle du verdict.
C’est dans ce contexte tendu, que le 11 novembre, le gouvernement du Pakistan a annoncé la suppression du Ministère des minorités, une institution qui, malgré son silence remarqué des derniers mois, se présentait comme la seule et unique voix des communautés souffrant de discriminations. «Shahbaz Bhatti, ministre fédéral pour les minorités, clame depuis deux ans qu’il va faire réviser la loi anti-blasphème mais au lieu de cela, il a pris part à la réunion ministérielle qui a aboli la fonction de ministre des minorités», a commenté, non sans ironie, Nazir S. Bhatti du «Pakistan Christian Congress».
La condamnation à mort qui frappe Asia Bibi semble symboliser aujourd’hui le «franchissement d’une limite», créant un précédent à la fois historique et juridique dont les conséquences inquiètent les défenseurs des droits de l’homme. Cette issue tragique pourrait alors devenir celle d’une autre chrétienne, Martha Bibi Masih, actuellement jugée à Lahore pour blasphème envers le prophète Mahomet, commente «Eglises d’Asie». (5).
(1) La loi sur le blasphème promulguée sous la dictature militaire en 1986, condamne «ceux qui, par des paroles ou des écrits, des gestes ou des représentations visibles, avec des insinuations directes ou indirectes, insultent le nom sacré du Prophète». Selon la commission «Justice et Paix» du Pakistan, elle aurait fait condamner, entre 1986 et 2009, au moins 974 personnes dont 479 musulmans, 340 ahmadis, 119 chrétiens, 14 hindous et 10 autres croyants appartenant à d’autres religions.
(2) En juillet dernier, toujours au Punjab, deux chrétiens ont été abattus à la sortie du tribunal d’où ils venaient d’être blanchis d’une accusation de blasphème. Des centaines de manifestants musulmans avaient saccagé le quartier chrétien de Faisalabad pour réclamer leur exécution. En 2009, un jeune catholique emprisonné pour blasphème est mort dans des circonstances toujours non élucidées.
(3) Martha Bibi, 45 ans, mère de 6 enfants, louait avec son mari du matériel de construction, lorsqu’elle a été arrêtée en 2007. Les responsables d’une mosquée auquel elle avait loué du matériel ayant refusé de la payer, elle avait voulu récupérer son bien et avait été frappée par les ouvriers. L’imam avait alors accusé Martha de blasphème et elle avait été jetée en prison. Après une première libération sous caution, elle a été de nouveau emprisonnée et attend aujourd’hui le verdict du tribunal. (apic/eda/be)