La tragédie se préparait depuis longtemps
Indonésie: Selon l’Eglise, près de 3’000 Madurais décapités, des dizaines de milliers en fuite
Palangkaraya/Rome, 5 mars 2001 (APIC) Les affrontements entre autochtones Dayaks et immigrés Madurais au Kalimantan, dans le centre de la partie indonésienne de l’île de Bornéo, ont déjà fait des milliers de morts et jeté sur les routes des dizaines de milliers de personnes. Tous les Madurais tués – près de 3’000 ! – auraient été décapités, comme le veut une coutume sauvage, courante chez les populations Dayaks, qui défilent avec les têtes coupées en suivant un rite appelé «Tiwah», selon des sources de l’Eglise catholique locale.
La tragédie que vivent les Madurais installés à Bornéo trouve ses causes dans la politique de «transmigration» de l’ancien dictateur Suharto, qui a déplacé des populations de régions surpeuplées, comme l’île de Madura, vers d’autres moins peuplées, créant des antagonismes entre nouveaux immigrants et autochtones.
Dans un témoignage diffusé lundi par l’agence d’information vaticane FIDES, le Père Willibard Pfeiffer, missionnaire de la Sainte Famille et administrateur diocésain de Palangkaraya, décrit les derniers affrontements qui ensanglantent Bornéo depuis plusieurs mois. Le Père Pfeiffer a envoyé une lettre en fin de semaine aux évêques d’Indonésie pour les informer de la gravité de la situation.
«Dieu seul sait ce qui s’est réellement passé dans le port de Sampit, à Kalimantan, et dans les environs. Le sang et les larmes ne semblent plus avoir de sens. On entend des plaintes de partout. La tuerie a duré une semaine entière», écrit le missionnaire. Les massacres ont commencé quand les Madurais se sont mis à préparer des armes, y compris des bombes de fabrication artisanale, pour se venger des Dayaks. Les Madurais avaient été la cible d’émeutes au mois de décembre 2000 dans la région de Kareng Pangi, dans le district oriental de Kotawaringin, à 100 km environ au sud de Palangkaraya.
La ville de Sampit reprise aux Madurais, les Dayaks ne font pas de quartier
Quand les Madurais jugèrent que c’était le bon moment, dans la nuit du samedi 17 février, ils ont attaqué les Dayaks tout à fait à l’improviste, rapporte le Père Pfeiffer. De nombreux Dayaks, pris de panique, se sont alors enfuis pour se réfugier à Palangkaraya, à Banjarmasin (capitale du Kalimantan Oriental), ou dans l’arrière-pays. Plusieurs ont été tués pendant leur fuite. Les Madurais se sont emparés de Sampit et y sont restés jusqu’au lundi 19 février. Mardi et mercredi matin, les Madurais ont attaqué en force les Dayaks et placé des bombes dans plusieurs établissements. Dans le même temps, les Dayaks sont arrivés à Sampit venus des cours supérieurs des rivières de l’arrière pays du Kalimantan-Central, de la région de Barito, de Pangkalan Bun au Kalimantan-Oriental, mais aussi des provinces du Kalimantan-Occidental.
Le mercredi soir, les Dayaks, en reprenant Sampit aux Madurais, n’ont pas fait de quartier: les Madurais qui n’avaient pas pu s’enfuir ou qui se trouvaient là ont été tués sur le champ. Les maisons des Madurais, le long de la route qui va de Sampit à Palangkaraya, ont été détruites et incendiées. «J’ai entendu des militants Dayaks dire que, le samedi 17 février, ils possédaient 700 têtes environ. C’est une tradition chez eux de tuer en décapitant et de montrer les têtes aux chefs. Les têtes ont probablement servi aussi au rite ’Tiwah’», témoigne le Père Pfeiffer.
Les réfugiés se trouvent dans une situation épouvantable
Jusqu’à présent, on estime que de 2’000 à 3’000 personnes ont été tuées. Impossible de connaître le nombre réel des victimes, car la situation est toujours très tendue. Des dizaines de milliers de réfugiés ont été évacués vers les bâtiments du gouvernement local ou dans les postes de police les plus proches, dans l’attente d’être évacués vers leurs villages d’origine dans l’île de Madura. Leur situation est épouvantable: les camps sont trop exigus, il n’y a pas assez de tentes, et nombre de réfugiés sont exposés dehors aux intempéries. Six personnes seraient déjà mortes dans les abris, dont une femme en train d’accoucher. La nourriture et l’eau commencent à manquer, ce qui rend la situation plus difficile encore. D’après l’administrateur diocésain de Palangkaraya, la décision d’évacuer les Madurais vers Java arrive beaucoup trop tard.
Les Dayaks, aux cris de «Les Madurais doivent disparaître du Kalimantan», veulent faire partir tous les Madurais installés à Bornéo dans le cadre de la politique de «transmigration» de l’ancien dictateur Suharto. Le dimanche 25 février, les massacres ont commencé à Palangkaraya, écrit le Père Willibard Pfeiffer dans la lettre aux évêques indonésiens. Et de conclure son appel de façon désabusée: «Dieu seul sait ce qui se passe réellement. Que Dieu leur pardonne, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font!» (apic/fides/be)