Le Frère Conor McDonough est dominicain de la province irlandaise | © Charly Rappo / Unifr
Suisse

Irlande: «Le pape sera parmi nous pour attendre la lumière»

Le pape François sera à Dublin, les 25 et 26 août 2018, à l’occasion de la Rencontre mondiale des Familles. Frère Conor McDonough, religieux irlandais ayant vécu à Fribourg, analyse pour cath.ch les enjeux de cette visite, dans un pays marqué par la sécularisation et les scandales de pédophilie dans l’Eglise.

Quelle est l’atmosphère actuelle en Irlande, à quelques jours de la venue du pape?
Frère Conor: Très tendue. Beaucoup de commentateurs dans les médias ne parlent que des faiblesses de l’Eglise, sans même avoir la volonté de représenter d’une manière adéquate la vie actuelle de l’Eglise irlandaise. Ces même voix ne cessent de répéter que l’Irlande a beaucoup changé – pour le mieux, d’après eux – depuis la dernière visite pontificale, en 1979. Pour eux, la visite – et ses échecs prévus – représente une occasion pour annoncer la fin de la «Catholic Ireland».

Et comment les fidèles catholiques reçoivent ces messages?
Beaucoup d’entre eux en ont peur, sachant que la voix de l’Eglise est très faible en ce moment. En attendant l’arrivée du pape, ces catholiques se demandent: «Qu’est-ce qui pourra encore bien arriver?» Sans compter que deux cardinaux ont déjà dû se retirer de la Rencontre mondiale des Familles, pour diverses raisons. On attend donc d’autres erreurs, gaffes et déceptions.

Mais tous ne sont aussi pessimistes?
Non, bien sûr. Pour beaucoup, la visite du pape ne suscite ni haine, ni peur, mais tout simplement de la curiosité ou de la nostalgie. Ce sont surtout ceux-là qui achèteront les articles commémoratifs qui se vendent partout en ce moment: des drapeaux du Saint-Siège, des salières pontificales ou des «lollipopes», des sucettes décorées avec le visage du pape François.

Quels sont les enjeux de la venue du pape pour l’Eglise en Irlande?
Les marins parlent de «perfect storm» (une tempête exceptionnelle). C’est véritablement le contexte dans lequel s’inscrit cette visite. Car, durant ces vingt dernières années, les Irlandais ont appris des histoires terribles: beaucoup d’enfants ont été abusés par des prêtres. Certaines institutions d’Eglise – des orphelinats, des «Magdalene Laundries», etc. – ont fait preuve de négligence à ce sujet, et certains cas ont été dissimulés par des autorités dans l’Eglise.

«Comment donner espérance aux chrétiens de notre île sans minimiser les crimes de l’Eglise?»

Le premier défi pour le pape: comment faire face à ces histoires, aux victimes et à ces institutions? Et comment donner espérance aux chrétiens de notre île sans minimiser les crimes de l’Eglise? Deuxièmement, on a souvent entendu dire que ce problème était plus ou moins limité à l’Eglise irlandaise, ou à l’Eglise anglophone, mais on est en train de se rendre compte, lentement, que cela n’est malheureusement pas du tout le cas.

Comment les Irlandais perçoivent la dimension mondiale du problème?
Ils voudraient que l’Eglise universelle apprenne de nos erreurs et applique partout les règlements qui sont devenus nécessaires ici. La récente lettre du pape au peuple de Dieu a été jugée insuffisante par beaucoup, surtout à cause de son manque de mesures concrètes. Durant la visite du pape en Irlande, la pression sera maintenue sur cette question. Saura-t-il aller plus loin que le contenu de sa «Lettre au peuple de Dieu»?

Dans ce contexte de scandales de pédophilie, l’enseignement moral de l’Eglise est mis à mal. Est-ce que le message du pape pourrait le rendre à nouveau crédible?
Bien sûr que non! S’il s’agit de la question de la protection des enfants, on attend non seulement des paroles, mais aussi des actions concrètes. S’il s’agit de la question de l’enseignement exigeant de l’Eglise sur des questions sexuelles et familiales, ce n’est pas les paroles du pape qui le rendra crédible, mais l’exemple vivant des familles qui incarne cet enseignement. Le rôle du pape est d’»affermir ses frères» (Luc 22,32) et de «paître les agneaux» du Seigneur (Jean 21,15), mais ce n’est pas lui qui nous donne la foi et la charité. Bref, si on peut comparer l’Eglise irlandaise – traumatisée, craintive, et désorientée – aux apôtres avant la Résurrection, le pape sera parmi nous, il me semble, comme un autre qui attend avec nous la lumière du Ressuscité, et l’Esprit qui souffle.

Le message du pape pourra être audible pour la société contemporaine?
La société irlandaise est en phase de forte sécularisation, c’est un fait. Si la plupart continuent à se définir «catholiques» selon les sondages, le taux de pratique a quant à lui nettement baissé. Beaucoup de baptisés et confirmés ne sont plus vraiment à l’aise dans l’Eglise. Est-il encore possible en parler de culture de vie à une population catholique qui vient de voter pour l’avortement? Peut-on enseigner la théologie du corps dans un pays qui vient de redéfinir le mariage, en y intégrant le mariage homosexuel? Et comment prêcher l’Evangile aux baptisés qui sont habitués maintenant à ne plus écouter les prêcheurs? Ces questions sont celles de l’Eglise en Irlande. Et cette semaine, elles seront aussi celles du pape. (cath.ch/gr)


Même sans billet, Frère Conor participera à la Rencontre des famille

«Tous les billets du WMOF (World Meeting of Families) ont été réservés très vite, déclare Frère Conor. Je n’ai moi-même pas réussi à en trouver un. Mais notre église du centre-ville de Dublin est une des églises choisies pour un petit pèlerinage urbain. Avec une équipe de frères et de laïcs, nous allons accueillir des pèlerins, en leur offrant de l’eau, timbrant leur «passeports» et priant avec eux. Et dimanche, je serai avec les 500’000 autres participants à la messe papale au Phoenix Park, autour de cette croix massive, construite en 1979 pour la visite du Pape Jean Paul II.
Quand Saint Colomban a écrit au pape au sixième siècle, il a parlé des irlandais comme «les habitants du bout du monde, disciples de Saints Pierre et Paul… liés à la chaire de Saint Pierre». Quels que soient les sentiments des Irlandais contemporains sur l’Eglise et la foi catholique, je suis persuadé que la plupart seront émus, au bout du compte, de voir le successeur de Pierre sur notre île». GR


Frère Conor McDonough est originaire de Galway, dans l’ouest d’Irlande. Prêtre de l’Ordre des prêcheurs, il a vécu en Suisse depuis 2015, pour étudier la théologie à l’Université de Fribourg. Il s’est spécialisé dans la théologie dogmatique, principalement dans la pensée de saint Thomas d’Aquin, mais également celle du Réformateur Jean Calvin. Au terme de ses études en 2018, il retourne à Dublin pour enseigner la théologie dogmatique à ses frères étudiants de la province irlandaise, avec des responsabilités pastorales au sein d’une église du centre-ville de la capitale. GR



L’Irlande: pays catholique en voie de sécularisation

Entre 2006 et 2016 – derniers chiffres disponibles – le pourcentage de catholiques irlandais n’a pas diminué selon les chiffres du Saint-Siège: 76% des habitants sont baptisés et en communion avec Rome. Un chiffre qui se traduit donc par une hausse du nombre de fidèles, puisque l’île a gagné des habitants sur la même période. Les Irlandais sont désormais 7 millions.

Organisée en 26 circonscriptions ecclésiastiques, l’Eglise en Irlande compte 56 évêques et 4335 prêtres diocésains ou religieux – contre 5120 en 2006, soit une baisse de plus de 15% en dix ans. Les séminaristes étaient ainsi 253 en 2000, 162 en 2006, 99 en 2010, mais 150 en 2016.

Beaucoup désertent la messe

La participation à la messe dominicale a elle aussi fortement baissé. Dans les années 1970, 91% des catholiques irlandais allaient à la messe tous les dimanches. Ils n’étaient plus que 56% en 2006 et un tiers en 2017. Une chute très importante, mais un taux de participation qui reste néanmoins largement au-dessus de la plupart des pays européens.

Les familles irlandaises font encore très largement confiance à l’éducation catholique pour leurs enfants: 91% des enfants sont ainsi inscrits dans des écoles catholiques en République d’Irlande. Pour toute l’île, ce sont près de 845’000 enfants qui sont accueillis, dans environ 4000 écoles. Pour les études supérieures: moins de 23’000 étudiants se répartissent sur 9 centres d’études. (cath.ch/imedia/xln/gr)

Le Frère Conor McDonough est dominicain de la province irlandaise | © Charly Rappo / Unifr
24 août 2018 | 00:00
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 5 min.
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